Retour page d'accueil

F & C Infos

 

L’indépendance des avocats et des magistrats :

une condition de l’état de droit. [1]

Bertrand FAVREAU *

Seminar on promoting the rule of law as part of sustainable development

Brussels 3 & 4 July 2003

 

Au commencement il y a la primauté du droit. Et c'est dans la sécurité juridique qu'Habermas trouve une bonne part du contenu substantiel que l'on reconnaît généralement à l'Etat de droit.

 

Selon Jürgen Habermas : « la contribution que le pouvoir politique apporte à la fonction propre du droit, et donc à la stabilisation des attentes du comportement, consiste à produire une sécurité juridique qui permet aux destinataires du droit de calculer à la fois les conséquences de leur propre comportement et celles du comportement d'autrui »[2] .

 

Les aspects de cet état de droit sont multiples et touchent aussi bien les libertés et droits fondamentaux que les rapports entre le droit des individus et l’orientation communautaire de nombreuses sociétés, les droits des femmes et leur accès à l’éducation ou les rapports entre le caractère laïque de la déclaration universelle des droits de l’homme et le caractère religieux de certaines communautés.

 

La Déclaration universelle des droits de l'homme, adoptée en 1948, énumère certains éléments essentiels à la dignité humaine et à l'ordre social. Elle affirme que tous ont droit à une égale protection de la loi, que toute personne accusée d'un acte délictueux est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie, équitablement et publiquement, par un tribunal "indépendant et impartial"; et que nul ne peut être arbitrairement arrêté, détenu ni exilé.

 

Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, adopté en 1966, consacre les normes judiciaires comme règles de droit, au-delà du simple principe. Elles incluent le droit de toute personne à un procès équitable et l'immunité d'arrestation arbitraire et de sentences rétroactives.

 

Il s’agit bien d’un principe fondamental dans un Etat de droit garanti par les traités internationaux auxquels les Etats sont parties.

 

En d'autre temps un haut magistrat français, le chancelier d'Aguesseau, avait très justement observé que le barreau était aussi ancien que la magistrature et que celle-ci avait fait naître celui-là. De fait l’indépendance du juge et celle de l’avocat sont indissociables. Dans une société démocratique les juges sont les gardiens des libertés fondamentales dont les avocats sont les garants. Et de même qu’il n’y a pas d’état de droit sans juges et avocats indépendants, de même l’indépendance des premiers est l’interface ou la garante de celles des seconds. Il ne saurait y avoir de magistrats véritablement indépendants si le barreau ne l’est pas. Mais un barreau ne peut l’être et le demeurer qu’avec des juges suffisamment indépendants pour sanctionner les violations éventuelles de cette indépendance. Ainsi, en tous lieux et en tous temps, le degré constaté d’indépendance des juges et des avocats restera-t-il l’un des meilleurs critères du respect de l’Etat de droit.

 

Cette indépendance judiciaire semble être une des préoccupations de la société internationale puisque les textes - principes de base, recommandations, chartes, déclarations ou statuts toujours à valeur déclarative- se sont multipliés depuis les années quatre-vingt et qu’ils revendiquent tous pour fondement la Déclaration universelle de 1948 et les textes qui ont suivi relatifs aux droits de l’homme.

 

C'est en effet en se référant :

 

·                    à la Charte des Nations Unies, par laquelle - «  les peuples du monde se sont déclarés résolus notamment à créer les conditions nécessaires au maintien de la justice et à réaliser la coopération » internationale en développant et en encourageant le respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales sans aucune discrimination »;

·                    aux articles 7, 8, 10 et 11 de la Déclaration Universelle des droits de l'homme qui « énonce les principes de l'égalité devant la loi, de la présomption d'innocence et du droit qu'a toute personne à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal compétent, indépendant et impartial créé par la loi; »

·                    au Pacte international relatif aux droits civils et politiques garantit en outre le droit d'être jugé dans un délai raisonnable;

·                    et plus généralement aux Pactes internationaux relatifs aux droits économiques, sociaux et culturels et aux droits civils et politiques qui « garantissent l'un et l'autre l'exercice de ces droits »

que l'ONU a proclamé :

 

d’abord pour les juges, en 1985, les « Principes fondamentaux relatifs à l'indépendance de la magistrature » adoptés par le septième Congrès des Nations Unies pour la prévention du crime et le traitement des délinquants qui s'est tenu à Milan du 26 août au 6 septembre 1985 et confirmés par l'Assemblée générale dans ses résolutions 40/32 du 29 novembre 1985 et 40/146 du 13 décembre 1985 (ci-après « Principes fondamentaux »)[3].

 

puis pour les avocats, en 1990, les « Principes de base relatifs au rôle du barreau », principes destinés à aider les Etats dans la promotion et la concrétisation du juste rôle de l'avocat dans la société. le huitième congrès des Nations Unies pour la prévention du crime et le traitement des délinquants, avait adopté à La  Havane, en septembre 1990,(ci-après « Principes de base »)[4] .

 

Adoptés en 1985, les Principes fondamentaux demandent que les juges soient investis d'une totale autorité d'action, libres de toutes pressions et menaces, convenablement rémunérés et dotés de moyens leur permettant d'exercer leurs fonctions. Bien que cet ensemble de normes n'ait pas force de loi, il peut servir de modèle aux législateurs du monde entier, ces derniers étant encouragés à les inclure dans leur constitution nationale et à en faire des lois. L'Organisation des Nations Unies a également promulgué les Principes directeurs applicables au rôle des magistrats.

 

On notera d’ailleurs qu’alarmée par l'augmentation des atteintes portées à l'indépendance des avocats et des juges dans les années 90 dans de nombreux pays et par un apparent affaiblissement général du respect des droits de l'homme, la Commission des droits de l'homme de l'ONU a nommé en mars 1994, un « Rapporteur spécial sur la question de l'indépendance des juges et des avocats », marquant ainsi qu’il s’agit bien des deux facettes d’un même combat, l'indépendance des avocats allant de pair avec l'indépendance des juges, et la première n’allant pas sans l’autre.[5]

 

Le mandat du Rapporteur spécial (RS) sur la question de l'indépendance des juges et des avocats a été établi par la Commission à sa session de 1994, et comprend les tâches suivantes : « soumettre à un examen toute allégation d'interférence dans le processus judiciaire; identifier et recenser les atteintes à l'indépendance du pouvoir judiciaire, des avocats et des personnels et auxiliaires de justice; cataloguer les mesures positives prises par les gouvernements pour protéger et renforcer l'indépendance des magistrats et des avocats; et présenter des propositions sur les moyens d'accroître leur indépendance ».

 

Ces principes ont connu des versions « régionales » qui se réfèrent aux mêmes fondements. Plusieurs années après, après les « Principes » de l’ONU, ont vu le jour au niveau du Conseil de l’Europe, en 1994, la Recommandation n° R (94) 12 du Comité des ministres aux états membres sur l'indépendance, l'efficacité et le rôle des juges. (ci-après « Recommandation n° R (94) ») [6] Puis la Charte européenne sur le statut des juges adopté par la réunion multilatérale sur le statut des juges en Europe, organisée par le Conseil de l'Europe les 8 - 10 juillet 1998 qui se réfère à l'article 6 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales et aux Principes fondamentaux relatifs à l'indépendance de la magistrature, (ci-après « Charte »).[7]

De même, c’est en se référant aux « Principes de base des Nations Unies relatifs au rôle du barreau » des Nations Unies mais aussi à la « Recommandation n° R (94) 12 sur l'indépendance, l'efficacité et le rôle des juges » qu'elle vise et de la nécessité d'un système judiciaire équitable qu'est intervenue dans le prolonhement la Recommandation du Comité des Ministres du Conseil de l'Europe sur la liberté d'exercice de la profession d'avocat" dénommée Rec. (2000 21) (2000 21) adoptée le 25 octobre 2000. (ci-après « Rec. (2000 21) (2000 21)  »)..[8] "

 

Elle précise qu’elle a pour objet de «  promouvoir la liberté d'exercice de la profession d'avocat afin de renforcer l'Etat de droit, auquel participe l'avocat, notamment dans le rôle de défense des libertés individuelles. Et donc de mettre en oeuvre «  un système judiciaire équitable garantissant l'indépendance des avocats dans l'exercice de leur profession sans restriction injustifiée et sans être l'objet d'influences, d'incitations, de pressions, de menaces ou d'interventions indues, directes ou indirectes, de la part de qui que ce soit ou pour quelque raison que ce soit ».

 

Un droit effectif d’accès à la justice suppose un juge indépendant et impartial et une défense libre de ses droits. Réalité concrète qui présente encore trop fréquemment - comme le rappelle les Principes fondamentaux - « un décalage entre l'idéal que visent ces principes et la situation réelle », aucun pays, de quelque continent qu’il soit, ne pouvant se déclarer à l’abri de critique à cet égard.

 

La première question qui se pose consisterait à savoir ce qu'est l'indépendance.

 

En 2003, le Rapporteur spécial de l’ONU a mis en évidence la situation de certains pays dans les pays en transition, en particulier en Europe orientale et centrale et en Asie, doit être surveillée de près, et ces pays ont besoin d’une assistance technique pour structurer ou restructurer leurs institutions afin d’assurer efficacement l’administration de la justice, et notamment de mettre en place un appareil judiciaire indépendant et impartial crédible »[9].

 

Ainsi, peut-on constater qu’à l’échelle des pays du Conseil de l’Europe, une jurisprudence nombreuse a du venir rappeler ce qu’était un juge "indépendant », la Cour se réservant notamment d’examiner les modalités de nomination des juges, la durée de leur mandat, leur irrévocabilité ou l’impossibilité juridique de leur donner des ordres etc. C'est donc à la fois une norme sociale ou institutionnelle et c’est aussi une exigence éthique pour le juge a contrario. Puisque selon la Cour, il y va de la "confiance que la justice doit inspirer dans une société démocratique."

 

En 2003, une société ne peut se réclamer du principe de l’Etat de droit, que si elle garantit une indépendance effective aux juges et aux avocats - avec des modalités spécifiques pour chacun - contre toute contrainte administrative, politique ou autres influences (I) mais aussi si elle préserve cette même indépendance au regard des forces économiques. (II).

 

1- L'INDEPENDANCE : GARANTIE EFFECTIVE CONTRE TOUTE CONTRAINTE ADMINISTRATIVE OU POLITIQUE

 

Ainsi le veut le respect de l’Etat de droit : l’indépendance de l’individu est indissociable de l’indépendance du corps auquel il appartient. De même qu’il n’y a pas de juges indépendants sans une magistrature indépendante, il n'y a pas d'avocat indépendant, sans un barreau indépendant. Car il n'y a pas de magistrature ou de barreau indépendant, si les membres du corps, les juges et les avocats n'ont pas eux-mêmes les garanties de leur indépendance à titre individuel.

 

A/ L’indépendance du corps ou de l’organisation professionnelle :

 

1°/ L’indépendance de la justice :  :

 

Il n'y a pas de justice indépendante sans deux garanties préalables essentielles : l'inamovibilité des juges et la non-interférence du pouvoir exécutif dans la gestion de la carrière des magistrats.

 

L’histoire de la justice en France offre toute une variation de situation à cet égard. La conquête de l'indépendance des juges s'est faite très lentement jusqu'au XIXème siècle. Sous l'Ancien Régime, la justice est royale, seigneuriale ou ecclésiastique et où le roi de France lui-même rend justice, à l'image de Saint Louis, sous son chêne. Sous Henri IV, on achète le droit d'être juge : c'est le système de la paulette.

 

. Les juges étaient aux ordres du pouvoir qui n'hésitait pas à se débarrasser des magistrats indociles ou rebelles. Dans la nuit du 4 août 1789, pour garantir leur indépendance, on décide d’élire les juges mais cela ne survécut pas à Napoléon, qui devait recréer les magistrats nommés à vie. Puis, sous la IIIème République, afin de retrouver une véritable indépendance des juges on décide de les recruter sur concours dès 1906. Aujourd’hui l’indépendance des juges en France est garantie par la Constitution de 1958. L'article 64 le proclame "les juges sont inamovibles".

 

·                    Les textes internationaux :

 

-                     Principes fondamentaux relatifs à l'indépendance de la magistrature adoptés par le septième Congrès des Nations Unies pour la prévention du crime et le traitement des délinquants qui s'est tenu à Milan du 26 août au 6 septembre 1985 et confirmés par l'Assemblée générale dans ses résolutions 40/32 du 29 novembre 1985 et 40/146 du 13 décembre 1985 auxquels il faut ajouter  les Principes directeurs applicables au rôle des magistrats du parquet (1990) adoptés par l’Organisation des Nations Unies

 

-                     et, à l’échelle régionale,

 

les normes du Conseil de l’Europe relatives à l’indépendance, l’impartialité et la compétence des juges, notamment la Recommandation no R (94) concernant l’indépendance, l’efficacité et le rôle des juges adoptée de 1994 et la Charte européenne sur le Statut des Juges de 1998

 

ou encore la Déclaration de principes de Beijing sur l’indépendance de la magistrature dans la région LAWASIA (1995) fixent des repères minimums permettant de mesurer le degré d’indépendance des juges et des avocats dans les États membres

 

Ajoutons que le Conseil Central de l'Union Internationale des Magistrats lors de sa réunion à Taipei (Taiwan) le 17 novembre 1999). a approuvé à l'unanimité un Statut Universel du Juge (UIM) qui fixe les règles minimales d’une magistrature indépendante.

 

a) Les fondements :

 

Les « Principes fondamentaux relatifs à l'indépendance de la magistrature » des Nations Unies fixent clairement les fondements dans leur exposé des motifs puisqu’ils déclarent :

 

« Considérant que la Déclaration universelle des droits de l'homme énonce les principes de l'égalité devant la loi, de la présomption d'innocence et du droit qu'a toute personne à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal compétent, indépendant et impartial créé par la loi  » 

 

« Considérant que les Pactes internationaux relatifs aux droits économiques, sociaux et culturels et aux droits civils et politiques garantissent l'un et l'autre l'exercice de ces droits et que le Pacte international relatif aux droits civils et politiques garantit en outre le droit d'être jugé dans un délai raisonnable; « 

 

« Considérant que les règles applicables aux magistrats dans l'exercice de leurs fonctions doivent viser à leur permettre d'agir conformément à ces principes; »

 

Ils insistent sur la gravité des décisions prises par les magistrats :« Considérant que les juges se prononcent en dernier ressort sur la vie, les libertés, les droits, les devoirs et les biens des citoyens ». 

 

L’avant propos de la Charte européenne sur le Statut des Juges de 1998 se réfère à la Convention européenne des droits de l’homme aux recommandations et se déclare « soucieux de voir rendue plus effective la promotion de l’indépendance des juges, nécessaire au renforcement de la prééminence du droit et de la protection des libertés individuelles au sein des Etats démocratiques », indépendance qui est évoquée aux articles 1.1 et 1.4 de la Charte.

 

C’est d’une constatation identique que part Statut Universel du Juge de l'Union Internationale des Magistrats (UIM) :

 

Art. 1 - Indépendance :

 

« Dans l'ensemble de leurs activités, les juges garantissent les droits de chacun au bénéfice d'un procès équitable. Ils doivent mettre en œuvre les moyens dont ils disposent pour permettre aux affaires d'être appelées en audience publique dans un délai raisonnable, devant un tribunal indépendant et impartial établi par la loi, en vue de déterminer les droits et obligations en matière civile, ou la réalité des charges en matière criminelle.

 

L'indépendance du juge est indispensable à l'exercice d'une justice impartiale dans le respect de la loi. Elle est indivisible. Toutes les institutions et autorités, qu'elles soient nationales ou internationales, doivent respecter, protéger et défendre cette indépendance. »

 

b) L’exigence d’une garantie constitutionnelle ou législative :  

 

En dépit de la diversité des traditions juridiques, la première manifestation d’une adhésion officielle à l’État de droit ou la rule of law se trouve dans l’existence d’une constitution ou de textes de valeur constitutionnelle. Les travaux de Jacques-Yvan Morin, professeur de l’Université de Montréal, ont analysé les garanties constitutionnelles de l’État de droit que révèlent quelques 175 textes constitutionnels[10] et notamment l’indépendance et l’impartialité des juges comme exigences du procès équitable, le contrôle de l’effectivité du respect des droits fondamentaux ou plus généralement ou la consistance du principe de l’État de droit.

 

L’ouvrage confronte les dispositions constitutionnelles des pays francophones portant sur les droits et libertés fondamentales en les regroupant sous quatre rubriques: 1) les droits et libertés reconnus aux personnes; 2) la judiciarisation des droits et la procédure applicable; 3) la protection du système constitutionnel de garanties; 4) les rapports du droit international et du droit interne[11]. La méthode d’analyse passe au crible la qualité du système judiciaire révélé par les textes constitutionnels.

 

Les « Principes fondamentaux relatifs à l'indépendance de la magistrature » des Nations Unies :

 

L'indépendance de la magistrature est garantie par l'Etat et énoncée dans la Constitution ou la législation nationales. Il incombe à toutes les institutions, gouvernementales et autres, de respecter l'indépendance de la magistrature. « Principes fondamentaux » 1.).

 

On retrouve la même exigence au titre des « Principes généraux concernant l'indépendance des juges » dans le Principe 2. a) de la Recommandation n° R (94) qui prévoit que  l’indépendance des juges devrait être garantie … « dans les Constitutions ou d'autres textes législatifs », ou encore par toute modalité aboutissant à l’incorporation des dispositions de la Recommandation n° R (94) dans le droit interne » ainsi que dans l’article 1.2 de la Charte européenne ;

 

De même, l’article 2 du Statut Universel du Juge (UIM) prévoit au titre du « Statut » : ; L'indépendance du juge doit être garantie par une loi spécifique, lui assurant une indépendance réelle et effective à l'égard des autres pouvoirs de l'Etat. Le juge, en tant que dépositaire de l'autorité judiciaire, doit pouvoir exercer ses fonctions en toute indépendance par rapport à toutes forces sociales, économiques et politiques, par rapport aux autres juges et par rapport à l'administration de la justice.

 

Il s’agit d’une condition nécessaire mais pas suffisante :

 

Un des problèmes les plus actuels semble être celui de l'indépendance du pouvoir judiciaire face à l'exécutif. Dans certains pays la Constitution en parle explicitement, dans d'autres il existe une politique établie de non-interférence dans l'exercice du pouvoir judiciaire. Mais l'application concrète de ces principes varie de pays à pays, surtout en ce qui concerne les nominations des juges et des magistrats.

 

Certaines Constitutions certifient l'indépendance du pouvoir judiciaire, mais elles n'explicitent pas comment l'assurer. Le cas typique est celui des membres du pouvoir judiciaire qui dépendent du ministère de la Justice, un organisme administratif de l'exécutif. Dans certains pays, le pouvoir judiciaire fait partie de la fonction publique qui, elle, n'est pas indépendante.

 

Très souvent, la totale indépendance judiciaire reste un idéal à atteindre. Dans un jugement récent, en date du 17 octobre 2002, un juge de la Haute Cour de l’Afrique du Sud a déclaré que dans une société démocratique l’appareil judiciaire dans son ensemble ne doit pas seulement se dire ou se vouloir indépendant, il doit prouver à l’évidence qu’il l’est véritablement. Et il a ajouté : «  L’indépendance et l’impartialité des magistrats, sont au cœur même de la légalité, essentielles pour le bon fonctionnement de la justice. »

 

2°/L'indépendance des barreaux

 

En France, en Belgique, en Italie et dans la plupart des pays de l’Europe continentale l'indépendance est signalée, depuis le 19ème siècle, comme le privilège de la profession d'avocat. Il s'agit, donc là aussi, d'une double indépendance, celle de l'individu, mais aussi celle du groupe. Cette dualité est bien présente dans les deux instruments qui ont pour vocation de réglementer l'exercice de la profession d'avocat au niveau international.

 

a) Les critères de l'indépendance

 

1°- Ils présupposent que les avocats ont un premier droit : celui d’être regroupés dans des organes autonomes et indépendants des autorités et du public (Rec. 2000 21) . V, 2). En ce sens, les Principes des Nations Unies (« Principes de base » 24) rappelaient que les avocats peuvent constituer des associations professionnelles autonomes".

 

C’est une des libertés fondamentales des barreaux que les Etats se doivent de garantir. Ce rappel - qui peut paraître inutile à certains - n'est cependant pas sans incidence - pour ne citer que des cas récents, proche de nous, en Azerbaïdjan ou en Biélorussie, le gouvernement contrôle le collège des avocats ce qui permet de maîtriser la désignation des avocats qui interviennent dans les affaires pénales. Et notons, qu’il n’y a pas si longtemps, au début des années-soixante, en France, le gouvernement a dissout le Conseil de l’Ordre du barreau d’Alger « soupçonné de n’être pas assez docile à certains impératifs ».[12]. On rappellera encore qu’en Tunisie, le Conseil de l'Ordre des Avocats et son bâtonnier font actuellement l'objet d'une procédure judiciaire pour avoir appelé ses membres à exercer en toute légalité leur droit de grève en signe de protestation contre des atteintes massives au droit à un procès juste et équitable[13].

 

2°- l'autorisation d'exercer la profession doit être prise par un organe indépendant (Rec. 2000 21). (I, 2) c’est à dire que ces instances aient la maîtrise effective de l'accès à la profession, (sous réserve d'un recours juridictionnel) quelle que soit la modalité : adhésion à un corps professionnel, ou inscription sur un registre ou une liste.

3° - ces organismes doivent être les garants du respect de la déontologie et de sanction des manquements.

 

Ce qui signifie qu'ils ont pour fonction :

 

- l'instauration de la norme disciplinaire (« Principes de base » 26 - Rec. (2000 21) . V, 1 et 4.g)

- mais aussi le contrôle de son respect : ils sont « responsables de l'application des mesures ». (Rec. (2000 21) VI 2)

 

b) Une indépendance effective :

 

Au-delà de l'aspect déclaratoire, le texte donne les axes permettant d’en assurer l’effectivité. Celle-ci dépend en effet des modalités d'exercice des pouvoirs qui lui sont octroyés par l'organe représentatif de la profession.

 

- Au plan social et politique :

 

La Recommandation n° R (94) exhorte les organisations d’avocat à remplir une mission impérieuse, dont il ne faudrait pas croire qu’elle ne concerne que les Etats de droit récents ou non stabilisés : celle d’assurer effectivement « la protection de leurs membres et la défense de leur indépendance à l'égard de toute restriction ou ingérence injustifiée[...] ». (Rec. (2000 21) V, 3)

 

Puisqu’il s’agit d’une mission politique et de nature quasi-institutionnelle, cela signifie qu’il appartient ainsi, aux barreaux ou aux associations professionnelles d'avocats, de tout mettre en oeuvre pour assurer l'indépendance des juges et des avocats afin d’être le véritable gardien des garanties accordées à titre individuel.

 

La Recommandation n° R (94) en énumère les axes d’intervention :

 

- la promotion et la défense des intérêts de la justice sans crainte 

- la défense du rôle des avocats dans la société et le respect de leur honneur de leur dignité et de leur intégrité,

- la promotion de la participation des avocats à des systèmes garantissant l'accès à la justice des personnes économiquement faibles,

- la promotion et le soutien de la réforme du droit et des débats sur la législation actuelle ou en projet,

- la coopération avec les avocats des autres pays,

- la promotion pour les avocats d'un niveau de compétence le plus élevé possible, ainsi que du respect de la déontologie et de la discipline.(Rec. (2000 21) V, 4 a à g).

 

B/ L’indépendance des membres du corps lui-même :

 

1°/ Les garanties de l’indépendance des Juges :

 

a) Le recrutement :

 

L'indépendance du pouvoir judiciaire dépend largement de la procédure de nomination des juges et de qui ils dépendent. Beaucoup de pays ont une instance bien précise chargée de ces nominations, qui présente au chef de l'Etat une liste de noms de personnes susceptibles d'être nommées juges ou magistrats. Mais le problème est que souvent les membres de cette instance sont eux aussi nommés par le même chef d'Etat!

 

Les « Principes fondamentaux relatifs à l'indépendance de la magistrature » des Nations Unies précisent dans leur article 10 « -Les personnes sélectionnées pour remplir les fonctions de magistrat doivent être intègres et compétentes et justifier d'une formation et de qualifications juridiques suffisantes. Toute méthode de sélection des magistrats doit prévoir des garanties contre les nominations abusives ».

 

Dans le même sens, la Recommandation no R (94), quant à elle, dans son article 1.2.c) la Charte européenne sur le statut des juges ne distinguent pas entre recrutement et carrière regroupés sous la rubrique : « Toute décision concernant la carrière professionnelle des juges » ou « toute décision affectant la sélection, le recrutement, la nomination, le déroulement de la carrière ou la cessation de fonctions d'un juge ou d'un juge ».

 

La sélection et la carrière des juges, selon la Recommandation n° R (94) n° R (94 devant « se fonder sur le mérite, eu égard à leurs qualifications, leur intégrité, leur compétence et leur efficacité. » et «  L'autorité compétente en matière de sélection et de carrière des juges [devant] être indépendante du gouvernement et de l'administration. »

 

Cette même « intervention d'une instance indépendante du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif au sein de laquelle siègent au moins pour moitié des juges élus par leurs pairs suivant des modalités garantissant la représentation la plus large de ceux-ci » étant prévue également par l’article .1.3. de la Charte qui en outre consacre un chapitre entier (2) à la sélection, recrutement, et à la formation initiale :

 

« Les règles du statut relatives à la sélection et au recrutement des juges fondent le choix, par une instance ou un jury indépendants, des candidats sur leur capacité à apprécier librement et de façon impartiale les situations judiciaires qui leur seront soumises et à y faire application du droit dans le respect de la dignité des personnes. Elles excluent qu'un candidat ou une candidate puissent être écartés sur une considération déterminante tenant à leur sexe, à leur origine ethnique ou sociale ainsi qu'à leurs opinions philosophiques et politiques et à leurs convictions religieuses. »(Charte 2.1).

 

Le Statut Universel du Juge de l'Union Internationale des Magistrats (UIM)  prévoit en son art. 9 -Nomination :

« Le recrutement et chacune des nominations du juge doivent se faire selon des critères objectifs et transparents fondés sur la capacité professionnelle. Lorsque cela n'est pas déjà assuré par d'autres voies résultant d'une tradition établie et éprouvée, le choix doit être assuré par un organe indépendant comportant une part substantielle et représentative de juges. »

 

b) La gestion de leur carrière :

  

Au-delà du recrutement, c’est en terme de protection de la fonction et de statut que s’analyse l’effectivité de l’indépendance des juges.

 

La première garantie est l’inamovibilité (« Principes fondamentaux 12. « Les juges, qu'ils soient nommés ou élus, sont inamovibles tant qu'ils n'ont pas atteint l'âge obligatoire de la retraite ou la fin de leur mandat. »

 

-                     On peut toutefois considérer qu’une nomination pour une durée déterminée peut ne pas altérer l’indépendance d’un juge dans certaines conditions liées à son statut effectif.

 

La Cour de Strasbourg a été amenée à rappeler que : «  pour établir si un tribunal peut passer pour « indépendant » aux fins de l'article 6 § 1, il faut prendre en compte, notamment, le mode de désignation et la durée du mandat de ses membres, l'existence d'une protection contre les pressions extérieures et le point de savoir s'il y a ou non apparence d'indépendance[14] » ;

 

De même, les « Principes fondamentaux » des Nations Unies prévoient ils :

« 11. La durée du mandat des juges, leur indépendance, leur sécurité, leur rémunération appropriée, leurs conditions de service, leurs pensions et l'âge de leur retraite sont garantis par la loi. « 

13. La promotion des juges, lorsqu'un tel système existe, doit être fondée sur des facteurs objectifs, notamment leur compétence, leur intégrité et leur expérience.

 

La Charte européenne (3.4) : Le ou la juge en fonction dans un tribunal ne peuvent en principe faire l'objet d'une nouvelle nomination ou d'une nouvelle affectation, même en promotion, sans y avoir librement consenti. Il ne peut être fait exception à ce principe que dans le cas où le déplacement a été prévu à titre de sanction disciplinaire et a été prononcé, dans celui d'une modification légale de l'organisation judiciaire et dans celui d'une affectation temporaire pour renforcer un tribunal voisin, la durée maximale d'une telle affectation étant strictement limitée par le statut sans préjudice de l'application des dispositions du point 1.4. »

 

Le Statut Universel du Juge de l'Union Internationale des Magistrats (UIM)

Art. 8 - Protection du statut de la fonction

« Un juge ne peut être déplacé, suspendu, ou démis de ses fonctions que dans les cas prévus par la loi et dans le respect de la procédure disciplinaire.

Le juge est nommé sans limitation de durée ou pour une période limitée dans des conditions déterminées, sous réserve que cela ne puisse compromettre l'indépendance de la justice.

Aucun changement concernant l'âge de la retraite ne peut avoir d'effet rétroactif ».

 

c) Les règles gouvernant la fonction de juger :

 

Le critère de l’indépendance du juge est ici dans la soumission à la loi sans avoir à subir directement ou indirectement une quelconque autre influence :

 

Les « Principes fondamentaux des Nations Unies :

 

2. Les magistrats règlent les affaires dont ils sont saisis impartialement, d'après les faits et conformément à la loi, sans restrictions et sans être l'objet d'influences, incitations, pressions, menaces ou interventions indues, directes ou indirectes, de la part de qui que ce soit ou pour quelque raison que ce soit.

3. Les magistrats connaissent de toute affaire judiciaire et ont le pouvoir exclusif de décider si une affaire dont ils sont saisis relève de leur compétence telle qu'elle est définie par la loi.

 

Même principe dans la Recommandation n° R (94) 1.2. d.    Les juges devraient prendre leurs décisions en toute indépendance et pouvoir agir sans restrictions et sans être l'objet d'influences, d'incitations, de pressions, de menaces ou d'interventions indues, directes ou indirectes, de la part de qui que ce soit ou pour quelque raison que ce soit. La loi devrait prévoir des sanctions à l'encontre des personnes cherchant à influencer ainsi les juges. Les juges devraient être absolument libres de statuer impartialement sur les affaires dont ils sont saisis, selon leur intime conviction et leur propre interprétation des faits, et conformément aux règles de droit en vigueur. Les juges ne devraient être obligés de rendre compte à aucune personne étrangère au pouvoir judiciaire sur le fond de leurs affaires.

 

Le Statut Universel du Juge de l'Union Internationale des Magistrats (UIM) se réfère quant à lui à un principe strict de légalité :

Article 3 - Soumission à la loi

« Dans l'exercice de son activité professionnelle, le juge ne doit être soumis qu'à la loi et ne peut se déterminer que par rapport à celle-ci. « 

Article 4 - Autonomie personnelle

« Nul ne peut donner ou tenter de donner des ordres ou des instructions, quelles qu'ils soient, au juge. Cette prohibition ne s'applique pas aux juridictions supérieures lorsqu'elles sont appelées à réformer les décisions des premiers juges ».

 

d) Les droits et garanties attachées à la fonction :

 

-                     Liberté d'expression et droit d'association professionnelle du juge

 

Les « Principes fondamentaux » des Nations Unies :

«  8. Selon la Déclaration universelle des droits de l'homme, les magistrats jouissent, comme les autres citoyens, de la liberté d'expression, de croyance, d'association et d'assemblée; toutefois, dans l'exercice de ces droits, ils doivent toujours se conduire de manière à préserver la dignité de leur charge et l'impartialité et l'indépendance de la magistrature.

 

«  9. Les juges sont libres de constituer des associations de juges ou d'autres organisations, et de s'y affilier pour défendre leurs intérêts, promouvoir leur formation professionnelle et protéger l'indépendance de la magistrature. »

 

La Recommandation n° R (94) rappelle dans des termes similaires ce droit dans son Principe IV :

« Les juges devraient être libres de créer des associations ayant, seules ou en liaison avec un autre organe, la tâche de sauvegarder leur indépendance et de protéger leurs intérêts. »

 

Le Statut Universel du Juge de l'Union Internationale des Magistrats (UIM) : Article 12

Le droit d'association professionnelle du juge doit être reconnu pour permettre aux juges d'être consultés notamment sur la détermination de leurs règles statutaires, éthiques ou autres, les moyens de la justice, et pour permettre d'assurer la défense de leurs intérêts légitimes.

 

La Charte européenne - comme les Principes fondamentaux art. 8 - sur le statut des juges fixe une limite : « Le ou la juge doivent s'abstenir de tout comportement, acte ou manifestation de nature à altérer effectivement la confiance en leur impartialité et leur indépendance. » (Charte 4.3.)

 

Dans une Résolution, en 1999, la Commission des droits de l'homme des Nations Unies a souligné le « rôle important dans la défense des principes de l'indépendance des avocats et des juges »  joué par les organisations non gouvernementales, les ordres des avocats et les associations professionnelles de magistrats»[15]

 

Toutefois, pour qui douterait de leur difficulté d’application, on soulignera que de tels principes ne peuvent que rester lettre morte tant que son application restera régie par la loi nationale. Ainsi, en Tunisie, le juge Mokhtar Yahyaoui, a payé cher l’exercice de cette liberté puisqu’il a fait l’objet en 2001 d’une révocation définitive sans traitement pour avoir dénoncé le manque d'indépendance des magistrats tunisiens et la soumission de la justice au pouvoir politique dans une lettre ouverte.

 

-                     Garanties quant à la mise en œuvre de leur responsabilité  

 

Les « Principes fondamentaux des Nations Unies :

 

« 16. Sans préjudice de toute procédure disciplinaire ou de tout droit de faire appel ou droit à une indemnisation de l'Etat, conformément au droit national, les juges ne peuvent faire personnellement l'objet d'une action civile en raison d'abus ou d'omissions dans l'exercice de leurs fonctions judiciaires.

17. Toute accusation ou plainte portée contre un juge dans l'exercice de ses fonctions judiciaires et professionnelles doit être entendue rapidement et équitablement selon la procédure appropriée. Le juge a le droit de répondre, sa cause doit être entendue équitablement. La phase initiale de l'affaire doit rester confidentielle, à moins que le juge ne demande qu'il en soit autrement.

18. Un juge ne peut être suspendu ou destitué que s'il est inapte à poursuivre ses fonctions pour incapacité ou inconduite.

19. Dans toute procédure disciplinaire, de suspension ou de destitution, les décisions sont prises en fonction des règles établies en matière de conduite des magistrats.

20. Des dispositions appropriées doivent être prises pour qu'un organe indépendant ait compétence pour réviser les décisions rendues en matière disciplinaire, de suspension ou de destitution. Ce principe peut ne pas s'appliquer aux décisions rendues par une juridiction suprême ou par le pouvoir législatif dans le cadre d'une procédure quasi judiciaire. »

 

La Charte européenne sur le statut des juges :

 

« 5.1. Le manquement par un juge ou une juge à l'un des devoirs expressément définis par le statut ne peut donner lieu à une sanction que sur la décision, suivant la proposition, la recommandation ou avec l'accord d'une juridiction ou d'une instance comprenant au moins pour moitié des juges élus, dans le cadre d'une procédure à caractère contradictoire où le ou la juge poursuivis peuvent se faire assister pour leur défense. L'échelle des sanctions susceptibles d'être infligées est précisée par le statut et son application est soumise au principe de proportionnalité. La décision d'une autorité exécutive, d'une juridiction ou d'une instance visée au présent point prononçant une sanction est susceptible d'un recours devant une instance supérieure à caractère juridictionnel ».

 

Le Statut Universel du Juge de l'Union Internationale des Magistrats (UIM)

 

« Article 10 - Responsabilité civile et pénale

Lorsqu'elle est admise, l'action civile dirigée contre un juge, comme l'action en matière pénale, éventuellement l'arrestation, doivent être mises en œuvre dans des conditions qui ne peuvent avoir pour objet d'exercer une influence sur son activité juridictionnelle.

Article 11 - Administration et principes en matière de discipline

« La gestion administrative et disciplinaire des membres du pouvoir judiciaire est exercée dans des conditions permettant de préserver leur indépendance, et se fonde sur la mise en œuvre de critères objectifs et adaptés.

Lorsque cela n'est pas déjà assuré par d'autres voies résultant d'une tradition éprouvée, l'administration judiciaire et l'action disciplinaire doivent relever d'un organe indépendant comportant une part substantielle et représentative de juges.

Les sanctions disciplinaires à l'encontre d'un juge ne peuvent être prises que pour des motifs initialement prévus par la loi, en observant des règles de procédure prédéterminées. »

 

e) L’existence de devoirs vis à vis des seuls justiciables :

 

. Le principe du procès équitable implique pour les Etats une obligation positive d’assurer et de faire respecter les garanties d'une bonne justice ou une source d’obligations pour le juge.

 

Le droit au procès équitable est un principe interactif. D’une part, les Etats doivent faire preuve de diligence pour rassurer la jouissance effective mais il est source d'obligations pour le juge : impartialité, équité, effectivité etc. La Cour de Strasbourg a toujours rappelé que la remarque valait “en particulier pour le droit d'accès aux tribunaux, eu égard à la place éminente que le droit à un procès équitable occupe dans une société démocratique”[16] l’Etat de droit ayant pour finalité de garantir les droits de citoyens. Parce que la Convention a « pour but de protéger des droits non pas théoriques ou illusoires, mais concrets et effectifs ».[17] Et cela est valable au premier chef “en particulier pour le droit d'accès aux tribunaux, eu égard à « la place éminente que le droit à un procès équitable occupe dans une société démocratique ». [18]

 

Les « Principes fondamentaux des Nations Unies :

« 5. Chacun a le droit d'être jugé par les juridictions ordinaires selon les procédures légales établies. Il n'est pas créé de juridictions n'employant pas les procédures dûment établies conformément à la loi afin de priver les juridictions ordinaires de leur compétence.

6. En vertu du principe de l'indépendance de la magistrature, les magistrats ont le droit et le devoir de veiller à ce que les débats judiciaires se déroulent équitablement et à ce que les droits des parties soient respectés. « 

 

Le Statut Universel du Juge de l'Union Internationale des Magistrats (UIM) :

« Article 5 Statut - Impartialité et devoir de réserve

Le juge doit être et apparaître impartial dans l'exercice de son activité juridictionnelle.

Il doit accomplir sa tâche avec modération et dignité au regard de sa fonction et de toute personne concernée.

art6 - Efficacité

Le juge doit remplir ses obligations professionnelles dans un délai raisonnable et mettre en œuvre tous les moyens nécessaires pour tendre à l'efficacité. »

 

Bien évidemment pour les juges comme pour les avocats, l’indépendance a un corollaire : le strict respect de la déontologie. Depuis 2002, l’indépendance des juges s’est vue octroyer un contenu plus concret encore sur le plan déontologique avec les « Principes de Bangalore sur la déontologie judiciaire ». Alors que les « Principes fondamentaux » s’adressaient aux Etats, ceux dits de Bangalore veulent «  orienter les juges et fournir à l’appareil judiciaire un cadre permettant de réglementer la déontologie. . Ces principes très détaillés impliquent que les juges sont responsables de leur conduite envers les institutions compétentes établies pour faire respecter les normes judiciaires. Il pose pour principe premier que l’indépendance de la magistrature est une exigence préalable du principe de légalité et de la garantie fondamentale d’un procès équitable et rappelle l’indépendance de la justice sous ses aspects à la fois individuels et institutionnels. Contrairement à de nombreux codes d’éthiques ou déclarations de principes, les « Principes de Bangalore » s’articulent autour de six « valeurs » dont la première est l’Indépendance, mais à laquelle s’ajoutent impartialité, intégrité, convenances, égalité compétence et diligence[19].

 

2°/ L’indépendance des avocats :

 

a) Traditionnellement dans les barreaux, l’indépendance était un n principe déontologique commun à tous les avocats

 

L'indépendance était, il est vrai, traditionnellement une des premières valeurs communément partagées par les barreaux du monde. Elle était le corollaire d’une conception individualiste de l'exercice de la profession.

 

Traditionnellement, l'indépendance, en cette matière, même si elle revêtait une signification plus générale, concernait les relations avec le client et était illustrée dans les traités de déontologie par le régime des incompatibilités.

 

Pourtant, cette conception purement déontologique n’était pas affranchie d’une autre vision dont on trouve la trace dans les synthèses professionnelles anciennes à l’instar des Principes fondamentaux de la profession d'avocat de l'UIA en 1964: « La liberté de l'avocat est imprescriptible » et « il est autonome, soumis à un droit professionnel et à des disciplines propres, libre gardien de ses règles »[20] ou la Déclaration d'Athènes de l'AIJA de 1966, qui rappelait qu’il était « indispensable à une saine administration de la justice et à la garantie des libertés dans tous les domaines : [...] l'indépendance des avocats comme celle des juges».[21]

 

C’est celle que consacrent désormais les déclarations internationales et cela est très sensible dans le code de déontologie du Conseil des Barreaux de la Communauté européenne (CCBE) arrêté à Milan en novembre 1987 et finalement adopté le 28 octobre 1988 à Strasbourg (puis révisé le 28 novembre 1998) - qui fait figurer au premier rang des principes généraux de la déontologie, l'indépendance. . Mais une indépendance qu’il évoque davantage qu’il ne la définit. De fait, c'est davantage sa raison d'être qui est évoquée : cette indépendance doit être "absolue" (2.1.1) et elle est « nécessaire pour l'activité juridique comme pour les affaires judiciaires ».

 

Tout au plus précise t'on que cette indépendance doit être « exempte de toute pression, notamment de celle résultant de ses propres intérêts ou d'influences extérieures [...] la prestation juridique de l'avocat n'ayant aucune valeur si elle a été donnée « par complaisance, par intérêts personnels ou sous l'effet d'une pression extérieure ».

 

Il s’agit là d’une acception très « classique » de la notion d’indépendance.  Force est de constater, donc que, l'indépendance traditionnelle relevait, plus de l'incantatoire ou de l'optatif que de la réalité.

 

Si, ainsi que le dit le code de déontologie du CCBE, : « l'avocat doit éviter toute atteinte à son indépendance », l'évolution du monde ne réduit plus cette indépendance au respect des incompatibilités et au règlement des conflits d'intérêts, voire à la prohibition de tout lien de subordination, comme ce fût le cas pendant la majeure partie du 19ème et même du 20ème siècle[22].

 

Pour qu'elle ne reste pas un vain mot, il convenait de donner un supplément de substance à cette indépendance des avocats.

 

C’est l'un des mérites de la Recommandation n° R (94) que d'avoir, tout en fixant les principes régissant la liberté d'exercice de la profession d'avocat, tenté de préciser "la nature de l'indépendance de la profession d'avocat, ses raisons, son importance pour la société, les obligations qui en résultent, les moyens de l'assurer et de la protéger, les normes et la discipline nécessaires pour la défendre". (Exposé des motifs point 17).

 

Et l’indépendance est, décidément, la caractéristique première du juriste qu’est l’avocat puisque la récente la directive du 4 décembre 2001 vise les avocats sous la dénomination de : " membres des professions juridiques et indépendantes[...]."[23]

 

C’est à la substance de l’indépendance de l'avocat que la « Recommandation » de 2000 a voulu donner un cadre.

 

Pour satisfaire aux exigences d’un Etat de droit, elle préconise ainsi que soient garantis :

 

1° un véritable "droit d'accès aux clients" en particulier aux personnes privées de liberté, afin de pouvoir les conseiller en privé et les représenter conformément à la déontologie de leur profession, (Rec. (2000 21) I, 5) qui a pour corollaire le droit d’ »accès effectif » de « toute personne [...] à des services juridiques fournis par des avocats indépendants ».(Rec. (2000 21) IV, 1)  

 

2 ° un total accès aux informations, renseignements et pièces des dossiers (« Principes de base » 21 - Rec. (2000 21) I, 5,7 et 8)

 

Principe que la Cour n'a cessé de rappeler : le principe de l’égalité des armes étant “ l’un des éléments de la notion plus large de procès équitable » et requérant «  que chaque partie se voie offrir une possibilité raisonnable de présenter sa cause dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à son adversaire ».[24]. L'arsenal des deux parties doit être le même que l’adversaire soit le ministère public en matière pénale ou un plaideur en matière civile. C’est ce que le Comité des Droits de l’Homme des Nations Unies appelle quant à lui “l’égalité de moyens entre l’accusation et la défense”. [25] C’est en ce sens qu’effectivité se conjugue avec égalité.

 

3°/ le droit à la "liberté d'opinion, d'expression, mais aussi d'associations et de réunions" (Rec. (2000 21) I, .3) (les « Principes de base » s des Nations unies 16 et 23 ajoutant la liberté de croyance)

 

Droits qu'il convient d'apprécier au regard de la jurisprudence notamment de la Cour européenne des droits de l'homme, - qui incluent les opinions « accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent »[26] - et dont il ne faudrait pas croire qu’ils ne s’adressent qu’au pays qui ont une culture récente de l’indépendance des avocats puisqu’ils ont pu être méconnus tout près de chez nous. La Cour a été amenée à rappeler en la matière dans l’arrêt Ezelin c. France : «  que la recherche d'un juste équilibre ne doit pas conduire à décourager les avocats, par peur de sanctions disciplinaires, de faire état de leurs convictions en pareille circonstance ». Et que : « [...] la liberté de participer à une réunion pacifique - en l'occurrence une manifestation non prohibée - revêt une telle importance qu'elle ne peut subir une quelconque limitation, même pour un avocat, dans la mesure où l'intéressé ne commet par lui-même, à cette occasion, aucun acte répréhensible ».[27]

Ce n’est pas là encore un droit vide de contenu dans certains pays. Ainsi au Liban, l'avocat Mohamed Mugraby, est poursuivi depuis 2000 pour diffamation en raison de ses déclarations concernant la corruption au sein du système judiciaire. Il est périodiquement menacé d’être mis en détention provisoire sur le plan pénal et de radiation par son barreau sur intervention du parquet.[28]

Mentionnons séparément aussi un droit plus particulier :

 

4°/ celui de se déplacer (Rec. (2000 21) I, .3)

 

On regrettera sur ce point que la Recommandation n’ait pas repris expressément la formulation du point 16 des « Principes de base » créant plus précisément une obligation pour les pouvoirs publics de veiller à ce que les avocats « puissent voyager et consulter leurs clients librement, dans le pays comme à l'étranger » (Principes de base. 16). La suppression du passeport est une entrave adoptée sans grande imagination par de nombreux pouvoirs exécutifs (ce fut le cas de Me Najib Hosni en Tunisie, entre 1997 et 2001 mais la violation de ce principe peut prendre la forme d’une interdiction : En mai 2002 au Libéria, Me Tiawan Gongloe, a été arrêté alors qu'il quittait l'aéroport international de Robertsfield, après s'être vu interdire d'aller en Sierra Leone comme observateur pour les élections, avec l'équipe d'observateurs des élections pour une ONG américaine.

 

Il peut aussi s’agir d’une sanction a posteriori. La sortie du territoire n’est pas entravée mais la répression intervient au retour. C’est le cas de l’avocate iranienne, Mehrangiz Kar, militante des droits de la personne humaine et plus particulièrement des droits des femmes, qui a été condamnée avec 16 autres iraniens à quatre ans d’emprisonnement pour s’être rendue, en avril 2000, à Berlin, et avoir participé à une conférence à l'occasion de laquelle ont eu lieu de violentes manifestations de la part d'exilés iraniens à la fois contre les participants à la conférence et contre la situation politique en Iran.

 

5° Le droit de participer à des débats publics sur les questions relatives à la loi et à l'administration de la justice et de suggérer des réformes. (Rec. (2000 21) I,3 ou « Principes de base » 23)

 

Là encore, la règle est loin d’être respectée. En Biélorussie, Me Stremkovskaya a été poursuivie par le Collège des avocats et le Ministère de la justice pour d'infraction à l'éthique de sa profession, à la suite de remarques qu'elle avait faites lors d'une séance d'information organisée par la Fédération internationale des droits de l'homme. Elle doit en permanence exercer sa profession sous la menace d’être radiée du barreau.

 

6°/ Le droit de ne pas être assimilés à leurs clients ou à la cause de leurs clients du fait de l'exercice de leurs fonctions (« Principes de base » 18)

 

Ce droit - qui devrait figurer en tête de tous les autres - n’est proclamé que par les Principes des Nations Unies qui sont plus précis et veulent aller plus loin - sans doute parce qu’ils s’adressent à des pays où ces droits sont le plus volontiers ignorés. Il exige que « les avocats ne doivent pas être assimilés à leurs clients ou à la cause de leurs clients du fait de l'exercice de leurs fonctions. (« Principes de base » 18) et en préconisant une véritable « immunité civile et pénale pour toute déclaration pertinente faite de bonne foi dans des plaidoiries écrites ou orales ou lors de leur parution ès qualités devant un tribunal ou une autre autorité juridique ou administrative ». (« Principes de base » 20)

 

Ce n’est pas une proclamation vide de sens. L’hypothèse n’est pas d’école. On sait que le harcèlement ou l'intimidation des avocats est une pratique souvent employée par certains Etats pour dénier aux avocats l’indépendance que les textes internationaux les ont obligés à reconnaître dans la forme. L’assimilation au client défendu fait partie de ces méthodes. C’est - presque - la règle en Colombie, par exemple, où les avocats qui défendent les accusé d’appartenance l'Armée de libération nationale sont accusés par les forces armées colombiennes d'être des membres actifs de l’ENL[29]. Mais c’est vrai près de chez nous en Europe. Il suffit de consulter sur ce point les rapports du Centre pour l’indépendance des Juges et des Avocats de Genève (CIJL) ou encore les rapports annuels du Rapporteur spécial des Nations Unies. [30]En Irlande du Nord, l’avocate Rosemary Nelson a été assassinée en mars 1999, sept ans après un autre solicitor, Patrick Finucane à propos duquel le Royaume Uni vient d’être condamné par la Cour européenne des Droits de l’Homme pour n’avoir pas mené une enquête effective avec diligence et célérité[31]. Or le Rapporteur spécial de l'ONU sur l'Indépendance des Juges et des Avocats, à l’occasion d'une mission d'information en Irlande du Nord sur l'intimidation et harcèlement d'avocats s'était déclaré "particulièrement préoccupé », entre autre, de l’attitude de la police locale, le Royal Ulster Constabulary (RUC) et «  de ce que le RUC ait amalgamé des avocats et leurs clients ou les causes défendues par leurs clients du seul fait qu'ils exerçaient leurs fonctions."[32]..

 

Ces droits ne doivent pas se concevoir dans un sens théorique et en fonction de l'interprétation que chaque système juridique serait propre à en donner.

 

Ce qui en terme d’obligations positives implique qu'ils ne doivent pas être menacés de sanction y compris de sanctions économiques, et ne subissent aucune "pression d'aucune sorte", dés lors qu'ils agissent conformément à leurs règles déontologiques. (Rec. (2000 21) I,.5)

 

Car, il ne faudrait naturellement pas croire qu’en passant de cette conception de principe déontologique à celle de principe fondamental d’un Etat de droit l’indépendance se trouverait affranchie de toute obligation déontologique. Evidemment, les avocats bénéficient de l’ensemble de ces droits « conformément à la déontologie de leur profession ».  (Rec. (2000 21) I, 5). Et la contrepartie à cette indépendance se trouve dans l'obligation de respecter des règles sous peine de sanctions. De même que les Principes de l’ONU comportent une partie « Devoirs et responsabilités », notamment vis à vis des clients (« Principes de base » 1 1 à 15 - Rec. (2000 21) III, 1 à 4), la Recommandation énumère les principaux devoirs des avocats vis à vis de leurs clients, de l'autorité judiciaire etc.

 

6°/ Au-delà, il n’en reste pas moins vrai que l’une des libertés essentielles reconnue à l’avocat est le droit de s’associer librement au sein d’organisations professionnelles ou de barreaux eux-mêmes autonomes et indépendants.

 

Mais, ainsi que le rappelle l’exposé des motifs de la Recommandation (point 2) : « La pratique du droit a considérablement évolué au cours des dernières décennies et les praticiens sont obligés d’adopter une approche plus commerciale de leur activité » et d’aucuns redouteront que l’indépendance de l’avocat puisse être désormais l’objet de menaces plus diffuses ou plus subtiles.

 

2- L'INDEPENDANCE ECONOMIQUE

 

A- Indépendance en matière économique et financière du Juge :

 

Pour le juge qui perçoit un traitement l’indépendance est préservée par le montant de sa rémunération que les textes déclaratifs hésitent à qualifier. Mais, quelle soit « appropriée », « suffisante » ou « à la mesure de dignité de leur profession »  c’est du niveau de la rémunération qui lui est assurée que dépend l’indépendance financière du juge.

 

a) Droit à une rémunération suffisante pour assurer son indépendance :

 

Les « Principes fondamentaux des Nations Unies prévoient au point 7. que chaque Etat Membre a le devoir de fournir les ressources nécessaires pour que la magistrature puisse s'acquitter normalement de ses fonctions. Et au point 11. un droit à une « rémunération appropriée ».

 

La Recommandation de 1994 en fait un élément de dignité en prévoyant dans son « Principe III » qu’afin « de créer des conditions de travail adéquates » les Etats doivent «veiller à ce que le statut et la rémunération des juges soient à la mesure de la dignité de leur profession et des responsabilités qu'ils assument » (III b) tandis que la Charte européenne y voit un gage de leur impartialité en précisant que « l'exercice à titre professionnel des fonctions judiciaires donne lieu à une rémunération du juge ou de la juge dont le niveau est fixé de façon à les mettre à l'abri de pressions visant à influer sur le sens de leurs décisions et plus généralement sur leur comportement juridictionnel en altérant ainsi leur indépendance et leur impartialité ».(Recommandation n° R (94) 6.1) ;.

 

Le Statut Universel du Juge de l'Union Internationale des Magistrats Obligations pour les magistrats

art. 13 -Rémunération et retraite

« Le juge doit recevoir une rémunération suffisante pour assurer son indépendance économique.

La rémunération ne doit pas dépendre du résultat de l'activité du juge et ne doit pas être réduite pendant la durée de son service professionnel.

Le juge doit pouvoir prendre sa retraite et recevoir une pension correspondant à son niveau de responsabilité.

Après sa retraite, le juge ne doit pas être interdit d'exercer une autre activité professionnelle juridique du seul fait de son ancienne activité à titre judiciaire. »

 

Ajoutons que dans certains pays, outre une garantie d’indépendance, c’est aussi un rempart contre les risques de corruption. Le rapport annuel 2003 du Rapporteur spécial, fait encore état de la « source d’inquiétude » que constituent les « allégations croissantes de corruption du pouvoir judiciaire » [33].

 

Mais les principes de Bangalore énumèrent un certain nombre de règles types dans le cadre de la 4ème "valeur": « CONVENANCES » :

-         L’interdiction pour le juge et les membres de sa famille de demander ou d’accepter « un quelconque don, legs, prêt ou faveur pour une action entreprise ou à entreprendre ou omettre par le juge dans le cadre de l’exercice de ses tâches judiciaires. » 4.14

-         L’interdiction pour le juge de « recevoir un don honorifique, un prix ou une indemnité approprié(e) à l’occasion concernée, pourvu que cela ne puisse pas raisonnablement être perçu comme une tentative de l’influencer dans l’exécution de ses tâches de magistrat ou donner d’une autre façon une impression de partialité ».4.16

 

c) Plus généralement, l’indépendance est sous-tendue par un droit pour les juges à recevoir les moyens nécessaires à leur action ou des « conditions de travail adéquates »

.    

Ce qui suppose, en particulier, selon la Recommandation R (94) que soient recrutés « suffisamment de juges … » (Principe III 1 a.), que soit mis «  à la disposition des juges un personnel d'appui et des équipements adéquats, en particulier du matériel de bureautique et d'informatique, afin qu'ils puissent agir efficacement et sans retard injustifié » (Principe III 1 d), ou encore que soient prises « les mesures appropriées afin de confier des tâches non juridictionnelles à d'autres personnes, conformément à la Recommandation n° R (86) 12 concernant les mesures visant à prévenir et à réduire la surcharge de travail des tribunaux »(Principe III 1 e ).

 

Le Statut Universel du Juge de l'Union Internationale des Magistrats (UIM) :

art. 14 - Moyens matériels

« Il appartient aux autres pouvoirs publics de l'Etat de donner au pouvoir judiciaire les moyens nécessaires à son action.

Le pouvoir judiciaire doit pouvoir participer ou pouvoir être entendu en ce qui concerne les décisions relatives aux moyens matériels. »

 

 

 

B- Indépendance en matière économique et financière de l’avocat

 

Les « Principes de base » comme la Recommandation sont plus discrets en ce qui concerne cette indépendance : cédant, sans doute, à une tradition trop facilement établie, considère t'elle que l'indépendance économique de l'avocat n'est plus à assurer.

 

Ils préconisent cependant un certain nombre de règles :

 

1°/ un effort de transparence au titre des devoirs des avocats à l'égard de leurs clients, ceux-ci devant les renseigner « sur les conséquences de leur affaire, y compris les coûts financiers ». (Rec. (2000 21) III, 3,a) 

 

2°/ le droit d'accès à un avocat a pour corollaire, le devoir de fournir des services juridiques " aux personnes économiquement faibles".(Rec. (2000 21) IV, 2 et 3) ( Les « Principes de base » parlent de « personnes les plus démunies » ou « les plus défavorisées ». (« Principes de base » 3)

 

3°/ C’est un principe amphibologique qui implique sur le plan éthique une obligation pour les avocats de se consacrer pleinement à leur tâche dans le cadre des procédures d'assistance ou d'aide juridictionnelle, mais aussi (malgré une discordance entre le texte et l’exposé des motifs sur ce point) pour les Etats l'obligation de faire en sorte d'assurer une rémunération équivalente et en tous les cas, décente aux avocats intervenants. (Rec. (2000 21) IV, 4)[34]

 

A contrario, on notera que les « Principes de base » des Nations Unies mentionnent aussi qu'un avocat ne peut pas être menacé de sanctions économiques pour s'acquitter de ses fonctions professionnelles et que la Recommandation, pour sa part, donne au barreau la mission de garantir la protection sociale de membres de la profession.

 

L’indépendance des juges et des avocats est dans bien des pays une conquête récente. Aucune n’est définitive. Même à peine de rester dans l’incantatoire il fait rappeler que le principe de l’indépendance de l’avocat et des barreaux est un des fondements en même temps qu’une condition de l’Etat de droit.

 

Dès lors qu’il est admis que l’indépendance des juges et des avocats est une composante de l’Etat de droit, il ne peut plus y avoir sur le territoire où s'applique le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et, bien entendu, la Convention européenne des droits de l’Homme), aucune entrave ou aucune limitation quelconque aux principes fondamentaux de l'indépendance des juges et des avocats quelles que soient les formes détournées qu'elle prendrait.

 

Jusque et y compris - et surtout- les limites posées par la loi nationale qui doit s'effacer devant la règle ou le principe d'essence internationale.

 

 

 

 

Tout ce qui précède, évidemment, ne pourra se comprendre, naturellement qu’à la lumière de ce qu’aucune déclaration, aucune recommandation ne fera l’indépendance d’un homme ou d’un avocat. De même qu’un poète français disait que «  la liberté se respire », l'indépendance se conquiert, se proclame, se défend. Elle ne se décrète pas. C'est d'abord un état d'esprit.

 

 

Bertrand FAVREAU

Président de l’Institut des Droits

de l’Homme des Avocats Européens



[1] Seminar on promoting the rule of law as part of sustainable development Brussels 3 & 4 July 2003.Centre Albert Borschette, rue Froissart 36, 1040 Brussels, Room AB-2 B.

* Ancien bâtonnnier du barreau de Bordeaux, Président de l’Institut des Droits de l’Homme des Avocats Européens (IDHAE).

[2] Jürgen HABERMAS, Droit et démocratie, Paris, Gallimard, 1997, p. 162.

 

[3] Principes fondamentaux relatifs à l'indépendance de la magistrature adoptés par le septième Congrès des Nations Unies pour la prévention du crime et le traitement des délinquants qui s'est tenu à Milan du 26 août au 6 septembre 1985 et confirmés par l'Assemblée générale dans ses résolutions 40/32 du 29 novembre 1985 et 40/146 du 13 décembre 1985.

[4] Principes de base relatifs au rôle du barreau adoptés par le huitième Congrès des Nations Unies pour la prévention  du crime et le traitement des délinquants qui s'est tenu à La  Havane (Cuba) du 27 août au 7 septembre 1990. («Principes»)

[5] Le Rapporteur est actuellement le juriste malaisien M. Dato Param Cumaraswamy. (juin 2003).

[6] Conseil de l’Europe. Recommandation n° R (94) 12 du Comité des ministres aux états membres sur l'indépendance, l'efficacité et le rôle des juges (adoptée par le comité des ministres le 13 octobre 1994, lors de la 518e réunion des délégués des ministres)

[7] Conseil de l'Europe -Charte européenne sur le Statut des Juges approuvé les 8 - 10 juillet 1998

[8] Recommandation Rec (2000)21 du Comité des Ministres aux Etats membres sur la liberté d’exercice de la profession d’avocat (adoptée par le Comité des Ministres du Conseil de l'Europe le 25 octobre 2000, lors de la 727e réunion des Délégués des Ministres) (« Rec. ». On rappellera pour mémoire, par ailleurs, que le Comité des Ministres du Conseil de l'Europe a adopté de nombreuses Résolutions et de Recommandations ayant trait à des questions relatives à la justice, parmi lesquelles figurent aussi les questions relatives au rôle et à la profession de l'avocat.

 

[9] Rapport du Rapporteur spécial sur la question de l'indépendance des juges et des avocats E/CN.4/2003/6510 février 2003 § 52.

[10] 1 J.-Y. Morin, L’État de droit: émergence d’un principe du droit international, coll. «Recueil des cours de l’Académie de droit international de La Haye», La Haye, Martinus Nijhoff Pub., 1995, pp. 126 et suiv.

[11] J.-Y. Morin, Libertés et droits fondamentaux dans les constitutions des États ayant le français en partage, Bruxelles, Bruylant/AUPELF-UREF, 1999 (Bénin (p. 281), Gabon (p. 297), Mali (p. 420), Cap-Vert (p. 484), Djibouti (p. 504), Togo (p. 529), République centrafricaine (p. 620), Tchad (p. 632), Niger (p. 648)).

[12] Maurice GARCON, L’avocat et la Morale, Buchet Chastel, 1963, p. 62.

[13] Centre pour l’Indépendance des magistrats et des avocats - Communiqués du 14 mars 2003.

[14] (voir, parmi beaucoup d'autres, l'arrêt Findlay c. Royaume-Uni du 25 février 1997, Recueil 1997-I, p. 281, § 73 ; Sahiner c. Turquie (Sect. 1), n° 29279/95, du 4 septembre 2001, CEDH 2001-... §35.)  

[15] Résolution de la Commission des droits de l'homme 1999/31 55e séance 26 avril 1999

[16] cf., mutatis mutandis, l'arrêt Delcourt du17 janvier 1970, série A n° 11, pp. 14-15, § 25

[17] CEDH - arrêts du 23 juillet 1968 en l'affaire "linguistique belge", série A n° 6, p. 31, §§ 3 in fine et 4; l'arrêt Golder précité, p. 18, § 35 in fine; Luedicke, Belkacem et Koç, du 28 novembre 1978, série A n° 29, pp. 17-18, § 42; Marckx du 13 juin 1979, série A n° 31, p. 15, § 31.

[18] CEDH - Arrêt Delcourt du17 janvier 1970, série A n° 11, pp. 14-15, § 25.

[19] Principes de Bangalore sur la déontologie judiciaire , adopté par le Groupe judiciaire sur le renforcement de l’intégrité de la justice et révisé lors de la table ronde des premiers présidents organisée au Palais de la Paix à La Haye les 25 et 26 novembre 2002.(E/CN.4/2003/65, annexe).

[20] Principes fondamentaux de la profession d'avocat adoptés par l'assemblée générale du XXème congrès de l'UIA à BONN le 4 avril 1964 : Point 4 et 12.

[21] Déclaration d'Athènes de l'AIJA du 27 août 1966. Point 2

[22] Dans les conclusions de la réunion multilatérale consacrée en 1997 à ce sujet (Budapest, 9-11 décembre 1997), organisée par le Conseil de l'Europe en coopération avec le barreau hongrois, le Conseil des barreaux de la Communauté européenne (CCBE) et INTERIGHTS, il était dit - dans la partie relative à l'organisation et à l'administration de la profession d'avocat - que les avocats sont tenus dans toutes les sociétés de respecter les Principes généraux suivants : indépendance, intégrité morale, confidentialité, respect des règles déontologiques, prévention des conflits d'intérêts, abstention de toute activité incompatible avec l'accomplissement en toute indépendance de leur mission, publicité et promotion personnelle (compte tenu de l'article 10 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales), protection des intérêts du client et respect de la justice.

[23] directive 2001/97/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 décembre 2001- article 6 .3 2ème alinéa

[24] CEDH arrêt Dombo Beheer B.V. c. Pays-Bas du 27 octobre 1993, série A n° 274, p. 19, § 33; Bulut c. Autriche § 47 ; arrêt Lobo Machado c. Portugal du 20 février 1996, Recueil 1996-I, pp. 206-207, § 31. arrêt Nideröst-Huber c. Suisse du 18 février 1997, Recueil 1997-I, p. 107, § 23 et plus récemment : Kuopila c. Finlande n° 27752/95 du 27 avril 2000 § 37 ; Morel c. France, n° 34130/96, du 6 juin 2000, § 27.

[25] Affaire J. Campbell C/ Jamaïque A/48/40 1993.

[26] CEDH - Arrêts Handyside c. Royaume-Uni du 7 décembre 1976, série A n° 24, p. 23, § 49, et Jersild c. Danemark du 23 septembre 1994, série A n° 298, p. 26, § 37.

[27] Arrêt Ezelin C/ France du 26 avril 1991, série A no 202 §§. 52- 53.

[28] Rapport du Rapporteur spécial sur la question de l'indépendance des juges et des avocats, M. Param Cumaraswamy présenté à la session de 1998 de la Commission des droits de l'homme des Nations Unies Rapport 2001 : E/CN.4/2001/65 § 132.

[29] Ibid., Rapport 1998 : E/CN.4/1998/39 § 50.

[30] Voir : - Mona Rishmawi with Nadja H.N.I. Houben, Carlos Lopez Hurtado, Gregory J. Mayne "Attacks on Justice". The Harassment and Persecution of Judges and Lawyers annual report of the Centre for the Independence of Judges and Lawyers (CIJL) January 1999-February 2000 -.

Et - Rapports du Rapporteur spécial sur la question de l'indépendance des juges et des avocats, présentés à la Commission des droits de l'homme des Nations Unies :Rapport 1998 : E/CN.4/1998/39. Rapport 1999 : (E/CN.4/1999/60); Rapport 2000 : : (E/CN.4/2000/61 et E/CN.4/2000/61/Add.2) ; Rapport 2001 : E/CN.4/2001/65 ; Rapport 2002 : E/CN.4/2002/72Rapport 2003 : E/CN.4/2003/65/Add.1 et E/CN.4/2003/65.

[31]CEDH Finucane c. Royaume-Uni n° 00029178/95 du 1er juiller 2003.

[32] Rapport sur la mission du Rapporteur spécial au Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord E/CN.4/1998/39/Add.4 5 mars 1998

[33] Rapport du Rapporteur spécial sur l’indépendance des juges et des avocats, E/CN.4/2003/65 10 février 200347.

[34] Voir : Comité européen de coopération juridique (CDCJ) - CM(2000)56 Addendum 28 avril 2000 - 710 Réunion, 18 mai 2000 - Partie B - Exposé des motifs de la Recommandation N° R(2000) ... du Comité des Ministres aux Etats membressur la liberté d’exercice de la profession d’avocat. Point 46.



* Ancien bâtonnier du barreau de Bordeaux, Président de l’Institut des droits de l’Homme des Avocats européens, Cabinet  Favreau & Civilise, Bordeaux,