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Le second congrès, a été organisé par Ioanna ANASTASSOPOULOU, au palais des Chevaliers de Saint Jean de Jérusalem, à RHODES, du 16 au 18 juin 1988.
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UNION
DES AVOCATS EUROPEENS DISCOURS De Monsieur le BATONNIER Bertrand FAVREAU RHODES Palais des Grands-Maîtres 16 Juin 1988. Après avoir célébré à ROME, le 30e anniversaire du Traité qui a
fondé la Communauté, comment n'aurions-nous pas choisi la Grèce pour notre
deuxième Congrès? A dire vrai, nous aurions dû commencer par elle. Ici en effet se
situe la source de notre existence, de nos principes et de nos convictions. Que
la Grèce soit donc l'occasion d'un remerciement et d'un ressourcement. |
Le remerciement sera d'abord d'ordre mythologique et sémantique.
Si Jupiter en effet n'avait pas enlevé sous l'aspect d'un taureau blanc la
belle Europe, et ne l'avait pas déposée tout près d'ici sur les rivages de
Crète, peut-être n'eut-elle pas donné son nom à un
continent puis – sous une forme géographique et politique plus restreinte –
mais on l'a vu à trois reprises susceptible d'élargissements – à un idéal :
celui que nous partageons ensemble ici ce soir. Sans doute est-ce la raison pour laquelle aux aurores de
l'U.A.E., lors de sa fondation, ont répondu à l'appel – parmi les tous premiers
– quatre avocats de Grèce : deux d'Athènes, dont notre chère et admirable
Vice-Présidente, Ioanna ANASTASSOPOULOU et Andréas KALOGEROPOULOS,
l'un de Salonique, Haris TAGARAS et
l'autre de Rhodes, notre ami, Giorgios KREMLIS. A eux notre gratitude pour avoir, dès les premiers instants,
manifesté dans cette volonté européenne la présence superlative de la Grèce
avec une foi jamais démentie en un Barreau communautaire réunissant dans la
fraternité des hommes les avocats qui veulent ignorer les frontières,
cicatrices de la politique et de l'histoire. Au nom de tous les participants, je vous remercie Monsieur le
Bâtonnier PAPPOU, de la signification profonde que vous avez voulu, avec une
générosité qui fait l'admiration de tous, donner à cette manifestation, dans ce
lieu chargé d'histoire qu'est le Palais des Grands Maîtres. La symbolique en est doublement lourde de signification. Il ne s'agit pas d'un lieu international, en effet même si, il y
a quelques cinq cents ans, Philippe Villiers de l'Isle Adam y côtoyait Fabrizio
del Carretto, même si nous
sommes proches des auberges de France, d'Espagne et d'Italie et non loin de
l'Auberge d'Angleterre. Il s'agit bien plutôt du témoignage d'une œuvre conçue par des
hommes venus de pays divers pour mettre leurs
différences au service d'un idéal commun dans une conception intégrée de
leur action. Vous avez aussi voulu, Monsieur le Bâtonnier, qu'ici dans le
foisonnement vivifiant de l'échange, se rencontrent des avocats venus de toute
l'Europe, tout le Barreau de Rhodes, qui est ce soir l'ambassadeur du Barreau
Grec tout entier, ainsi que les citoyens de votre belle ville. L'Union des Avocats Européens vous en dit sa gratitude et se
souviendra de l'accueil du Barreau de Rhodes. Cette gratitude, vous accepterez, Monsieur le Bâtonnier, de la
partager sans qu'elle en soit pour autant diminuée, avec notre bien aimée
Vice-Présidente Maître Ioanna ANASTASSOPOULOU et avec
tous les membres du Comité d'organisation – que je ne puis citer tous ici – qui
travaillent sans relâche depuis de nombreux mois. Notre présence ici est aussi pour nous l'occasion d'un ressourcement. Comment des avocats oublieraient-ils que la Grèce a donné le
jour à la « République du logos » ? Quel est le berceau de la rhétorique que Corax
de Syracuse, auteur du premier Traité de Rhétorique de l'Antiquité, définissait
comme « l'art de convaincre » ? Comment des avocats ne se souviendraient-ils pas, que si les
noms des archontes et des stratèges de la fin de l'époque classique ont disparu
des tablettes, la mémoire des hommes honore justement encore aux côtés de
Socrate et de Platon Lysias, Isocrate, Isée, Eschine ou Démosthène, nos
illustres confrères. Comment pourraient-ils ne pas se rappeler en cet instant, qu'ici
même, fut créée en 323 avant notre ère, la plus
célèbre, sans doute, des écoles de Rhétorique de l'antiquité. Par un hasard de l'Histoire que les hommes se plaisent à
souligner, c'est parce qu'il a perdu contre Démosthène le plus célèbre procès
de l'antiquité, l’ « affaire de la Couronne », qui dura près de
huit ans (ce qui au passage ne peut que consoler a posteriori tous ceux qui
dans tous les pays d'Europe se plaignent des lenteurs de la justice) qu'Eschine
a dû quitter Athènes et son état d'avocat pour n'avoir même pas obtenu le
minimum d'un cinquième des voix contre Ctésiphon qui, comme chacun sait, fut
acquitté. Vaincu, c'est à cette « Ecole de Rhodes » qu'Eschine,
le fondateur, apporta le Testament de la République oratoire athénienne en même
temps que les derniers feux de l'éloquence attique, parvenue à son point de
perfection, pour qu'ils soient, ici, enseignés au reste du monde. Ici, les hommes devaient venir recueillir l'héritage. Et Plutarque – ou plutôt celui qui a tenu la plume sous son nom
pour écrire les « Vies Parallèles » – nous dit que, près de trois
siècles après, lorsque Cicéron vint à RHODES recevoir les leçons de Posidonios et du rhéteur Appollonios,
ce dernier après l'avoir entendu plaider en grec, lui a répondu : « Je pleure sur la Grèce, puisque les seuls avantages qui nous
restaient, ceux de la culture et de
l'éloquence, vont maintenant avec toi
appartenir aux Romains ». De Démosthène à Cicéron, en passant par Eschine, c'est de et par
Rhodes que le message s'est transmis aux avocats de tous les temps et de tous
les pays. Plus qu'un art formaliste ou esthétisant, la rhétorique doit
nous retenir par sa signification sociale. Car, chacun sait que les rhéteurs n'avaient le droit à la parole
qu'au nom de l'isonoada, l'égalité devant la loi,
l'égalité des droits, et de sa traduction ou de son corollaire, dans la
République du logos, isegoria, ou le droit égal à la
parole. Dans « Les Suppliantes » d'Euripide, Thésée dit : « La liberté existe là où le héraut demande :
« Quelqu'un présente-t-il à l'Assemblée quelque projet pour le bien de
l'Etat. » Le héraut, sur la Pnyx, a ainsi donné la parole, au-delà de
l'orateur au front ceint de myrte, à tous les défenseurs des libertés et du
bien public, comme aux avocats de tous les temps. Ainsi, sommes-nous tous, avocats d'Europe, les enfants de cette « isegoria », de ce droit égal à la parole pour tous,
cher à Solon et à Clisthène, qui est au commencement de la démocratie
athénienne. Nous sommes également, pour cela et par cela, les garants de
l'Etat de droit que constitue l'espace communautaire qui n'existera
véritablement et définitivement que dans l'équilibre des forces. Mais, l'Europe ne sera pas seulement demain, faite de l'isonornia et de l'isegoria de la
Grèce antique. Pour le rapprochement des peuples et des hommes, il faudra aussi
que s'y ajoutent, le sinoikismos dont parlait Thucydide,
le synécisme qui signifie au sens littéral en français : « faire habiter
ensemble ». Car l'Europe devra être aussi une forme achevée de l'art
d'habiter ensemble. Mais de toutes ces leçons, porteuses d'espérance, il en est une
que nous devons méditer plus que tout autre. La postérité insurpassable de Démosthène avocat ne doit pas
cacher son échec. En absorbant le poison fatal dans l'île de Calaurie pour
échapper aux macédoniens, Demosthène l'Athénien
savait, lui, qu'il avait échoué dans son combat. Lui qui affirmait que l'éloquence était « action », il
n'avait pas su unir les Grecs. Certes il avait réussi un temps à regrouper Mégare, Corinthe,
les Achéens et les Acarmaniens, mais dans sa
troisième Philippique il s'indignait du cloisonnement de la Grèce en petits Etats incapables de
s'unir. L'échec de Démosthène, c'est l'échec de l'unité des Grecs. Pourtant lui-même avait dit « Les paroles quand les actes manquent font l'effet d'un vain bruit »
(2° olynthienne II p 112). Alors que notre discours ne soit pas un « vain bruit », que
nous ne regrettions pas un jour de n'avoir pas su faire cette unité des hommes,
source de toute survie. Il ne s'agit pas seulement de construire un marché de 320
millions de consommateurs, mais aussi et surtout une communauté d'hommes et
d'activités humaines sans cesse plus étroite conformément aux vœux des
fondateurs de l'Europe. Cette Europe-là ne saurait se contenter de l'incantatoire. Elle implique la construction progressive d'un Barreau sans
frontière et sans entrave, qui réponde aux exigences juridiques d'un espace
judiciaire unique, sans renier sa dimension éthique laquelle ne saurait
procéder, toutefois, que de la dimension communautaire. Voilà qui interpelle les ordres professionnels, les associations
nationales et internationales et tous les avocats et en appelle à un « aggiornamento »
résolument tourné vers l'avenir. Si nous échouons, un jour, comme Démosthène peut-être
regretterons-nous amèrement notre impuissance face au morcellement, et à
l'impossible unité et mériterons-nous, alors, de n'avoir plus le choix qu'entre
l'autodestruction par le poison, ou, ce qui peut paraître pire, l'agonie par le
fer d'un vainqueur venu d'ailleurs. Croyez bien cependant que notre espérance est intacte et notre
détermination ardente. Merci au Barreau de RHODES de l'avoir compris et de s'être ainsi
placé résolument à l'heure du Barreau Européen de demain. Merci, aussi, à tous ceux qui sont venus jusqu'ici à notre
rencontre pour rendre à la Grèce, en ces quelques jours, le témoignage de tout
ce que nous lui devons. Bertrand
FAVREAU |