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ACTUALITE
LA
VERITABLE AFFAIRE MARIE BESNARD
Marie Besnard
Le triomphe de l'innocence
d'après
Jacqueline FAVREAU-COLOMBIER, Marie Besnard La force de l'innocence, Robert
Laffont, 1985
Marie Besnard et son avocate, Me Favreau-Colombier, à Bordeaux, en
1954.
"Je
veux vous prouver qu'elle est une très bonne
personne, bien plus digne d'intérêt que ceux
qui l'ont accablée. Je veux vous faire comprendre
qu'elle a été victime d'un mauvais physique et que les malheurs qui se sont
abattus sur elle peuvent, demain, écraser n'importe qui ."
Marcel Haedrich Marie
Claire:
L'affaire la plus célèbre qui
a marqué le vingtième siècle reste celle de Marie Besnard. … Elle
a modifié les données de la toxicologie et entraîné des réformes importantes de
la procédure pénale. Ce fut le résultat
d'une lutte acharnée de la défense. Elle
doit être mise en relief et sauvée de l'oubli. Par ailleurs, toutes les
déformations opérées par ceux qui, volontairement ou non, prétendent y voir
plus clair que d'autres, doivent être dénoncées et stigmatisées."
«Mon histoire aurait pu être la vôtre ... », a écrit Marie Besnard
dans ses mémoires. On ne dira jamais assez que ce qui est arrivé à cette femme
peut arriver n'importe quand, à n'importe qui.
Le Who's who de l'affaire Besnard
Marie BESNARD, l'accusée.
Mme Louise PINTOU, la
dénonciatrices
Auguste MASSIP, le
dénonciateur.
Joseph MASSIP, frère du
précédent.
Alphonse BARAUDON,
débitant.
Mme BARAUSON, son épouse.
Jules TOUSSAINT.
Mme THAUDIÈRE, femme de
ménage des BESNARD.
Mme PAPUCHON, amie
d'enfance de
Marie BESNARD.
Mlle MECHAUD, collègue de
Mme PINTOU.
Mme Pascaline VÉRITÉ née
ANTIGNY.
Guy RAT, domestique des
BESNARD.
CHEDOZEAU, domestique des
BESNARD.
NAULLEAU, domestique des
BESNARD.
Alfred DIETZ, prisonnier
allemand affecté comme domestique des BESNARD
Célestin LANDRE,
domestique puis fermier de Marie BESNARD.
M. CUAU, fermier des
BESNARD.
Mme CUAU, son épouse.
M. CADUC, père de Mme CUAU.
M. GEFFARD.
Mme GEFFARD.
M. DUZAC, débitant.
Mme DUZAC.
Mme ROSSIGNOL.
M. MORIN, entrepreneur de monuments funéraires.
M. MARTIN (ancien habitant de Loudun).
M. et Mme MARTIN (d'Étroussat) cousins de Marie BESNARD
M. et Mme DAVAILLAUD (de SaintPierre-de-Maillé), cousins de Marie
BESNARD
M. MECHEL, garagiste.
M. le Docteur GALLOIS.
M. le Docteur CHAUVENET.
M. le Docteur DELAROCHE.
M. NOCQUET, commissaire de police.
M. NORMAND, inspecteur de police.
M. GOUARNE, commissaire de police.
Les médecins légistes
Dr GUILLON.
Dr SÉTA.
Professeur PIÉDELIÈVRE.
Professeur L'ÉPÉE.
Les experts de l'accusation
M. BÉROUD, expert à Marseille.
M. MÉDAILLE, son adjoint.
M. FABRE
M. KHON-ABREST
M. GRIFFON
M. LEMOIGNE
M. TRUHAUT
M. SAVEL
M. VITRE.
Les contre-experts
M. SCHUSTER.
M. PERPEROT.
M. LE PEINTRE.
M. OLLIVIER.
M. KEILLING.
Les chercheurs
M. TRUFFERT.
M. BASTISSE
Les psychiatres
M. LAIGNEL-LAVASTINE.
M. BEAUSSART.
M. CEILLIER.
L'expert en écriture
M. LOCARD.
Ministère public
M. L'avocat général GIRAULT, Poitiers 1952.
M. l'avocat général STECK, Bordeaux 1954.
M. le procureur général de ROBERT, Bordeaux 1961.
M. l'avocat général
GUILLEMIN, Bordeaux 1961.
MM. les Présidents des cours d'assises
:
M. le conseiller FAVARD,
cour d'assises de Poitiers 1952.
M. le conseiller de POURQUERY de BOISSERIN, cour d'assises de
Bordeaux 1954.
M. le conseiller Nussy SAINT-SAENS, cour d'assises de Bordeaux 1961.
Les parties civiles
M. Charles BESNARD.
Mme Marie-Charlotte
BESNARD, veuve GAUNORD.
Les avocats des parties civiles
Maître Roger
ADOLPHE-LACAN, avocat à la cour de Paris (Procès de Poitiers).
Maître Paul de CAUNES,
avocat à la cour de Bordeaux (Procès de Bordeaux).
Les avocats de Marie Besnard :
Maître Albert GAUTRAT,
avocat à la cour de Paris.
Maître René HAYOT, avocat
à la cour de Paris.
Maître Henry du CLUZEAU,
avocat à la cour de Poitiers.
Maître Jacqueline
FAVREAUCOLOMBIER, avocat à la cour de Bordeaux(Procès de Bordeaux).
"Le 5 octobre
1947, faubourg Porte-de-Mirebeau à Loudun, un long cri retentit dans la nuit.
Léon Besnard vient de perdre la vie. Marie Besnard, qui hurle et pleure, va
bientôt perdre la liberté, et la paix, pour longtemps.
Eux, leurs parents, leurs amis et ceux qui vont devenir des
ennemis, tous ces gens jusque là obscurs, comme il y en a tant d'autres, vont
se trouver pendant de longues années sous le projecteur de l'actualité. Cinquante ans et plus d'une vie banale, sans aventure,
sans histoire, consacrée au travail, ne laissaient pas prévoir le destin
judiciaire d'une exceptionnelle dimension qui fut celui de Marie Besnard."
Marie Besnard
Marie Besnard a vu le jour
le 15 août 1896, à Saint-Pierre-de-Maillé dans le département de la
Vienne. Fille unique, elle fut pensionnaire à Saint-Angle-sur-Anglin. Après
avoir appris à écrire, elle retourna à la maison et termina sa scolarité à
l'école libre de son village natal.
En 1914, alors qu'elle a
dix-huit ans, elle s'éprend d'Auguste Antigny, un cousin germain du côté
maternel. Il n'a pas d'argent, il est
malade. Tellement malade qu'en cette cruciale année, l'armée le refuse. Sa famille ne souhaite pas
une union compte tenu de l'état de morbidité d'Antigny, mais Marie décide
envers et contre tous d'épouser son cousin tant aimé. C'est ainsi un mariage
d'amour qui se célèbre le 12 avril 1920.
La mariée en parlera toujours avec de l'émotion dans la voix. Elle a
alors près de vingt-quatre ans, le marié est de deux ans son cadet, mais déjà
la maladie accuses ses traits et e fait paraître beaucoup plus vieux que son
âge. Dans les années 25, la tuberculose ne laissait guère d'espoir. On
«s'en allait de la poitrine» et ce qui devait arriver arriva : le 11
juillet 1927, Marie est veuve avec un pauvre héritage de 7240 francs. C'est un
immense chagrin et sa prime jeunesse envolée.
Des proches voudraient
l'arracher à sa tristesse. Sa cousine Pascaline Vérité qui habite Loudun lui
présente Léon Besnard. Loudun, comme toutes les petites villes de province,
n'est pas tendre aux jeunes femmes comme Marie . On l'épie derrière les rideaux
de dentelles ajourés et on cancane parce que la pauvre jeune veuve de
trente-deux ans a été au cirque avec de Léon Besnard qui a trente-six ans et
est connu pour être un «vieux séducteur»
à l'échelle de la commune. Ainsi, le 12 août 1928, Marie Antigny se remarie et
devient Marie Besnard . Léon travaille
chez son père un bourrelier mais n'a pas de salaire mensuel. Le vieux Marcelin Besnard n'apprécie pas que
son fils ait la charge d'un ménage et une grande partie de son humeur rugueuse
se tourne contre cette belle fille qu'il n'a pas souhaitée. Mais Marie fait preuve de soumission, de
discrétion et d'égalité d'humeur. Le père et le fils ne s'entendent pas : au
cours des visites familiales, ils manquent d'en venir aux mains. Loudun dit entendre l'écho des voix lors des
disputes chez les Besnard. On dira même
que Léon a failli étrangler son père. Il y a aussi Lucie, veuve Bodin, la sœur
de Léon, qui voue une haine définitive à son frère. Un jour on la retrouvera pendue dans son
escalier, et les imprécations de Léon voulant étrangler ses proches ne manqueront
pas d'être relatées par les voisins curieux et bien informés. Mais, personne ne
s'apitoie en vérité sur le sort de Lucie et certains iront même jusqu'à dire
que «la Lucie» ne l'aurait pas
volé.
A ce climat familial
délétère, nourricier de toutes les rumeurs, va s'ajouter la poids de la fatalité.
Car, il vrai que l'on va beaucoup mourir
dans la famille Besnard. Au point que l'entrepreneur des pompes funèbres de la
Commune dira un jour en témoignant : " Les Besnard étaient mes meilleurs
clients".
Les «chers défunts»
Le 22 août 1938, Marie Labrèche, veuve Lecomte, sœur de la grand-mère
de Léon, âgée de quatre vingt-six ans, meurt laissant un héritage de 60000 francs. Pour l'époque, c'est une somme considérable. Mais elle ne rapporte rien aux Besnard : la vieille femme a déshérité Léon in extremis selon toute vraissemblance sous l'influence de
Lucie. Il faudra toutes la patience et
les supplications de Marie pour que Léon accepte de mauvais gré de se rendre aux obsèques .
Moins d'un an plus tard,
le 14 juillet 1939, le vieil ami de
Léon Besnard, Toussaint Rivet s'éteint. Les Besnard et les Rivet se
fréquentaient. Marie était même devenue le réconfort de Blanche Rivet, dont le
mari était déjà condamné par la tuberculose.
Le 14 mai 1940, c'est le père de Marie, Pierre Davaillaud, qui meurt
d'une congestion cérébrale. Avec la mort de son père, Marie, à quarante quatre
ans, hérite en indivision avec sa mère de la ferme, la Barquinotterie, et de
vingt hectares de terres aux Liboureaux.
Marie recueille sa mère, désormais seule, chez elle. Tout Loudun peut la voir tous les
matins accompagner la vieille dame à l'église Saint-Pierre.
Le 2 septembre 1940, ce sont les obsèques de Louise Labrèche, veuve
Gouin, la grand mère de Léon et de Lucie, morte à quatre- vingt-douze ans.
Marie est encore en deuil de son père lorsqu'elle y assiste.
Deux mois plus tard, c'est
Marcelin, le père de Léon, cinquante-huit ans, qui décède. Il est lui beaucoup
plus jeune, et là, les commérages parlent de champignons et d'un bizarre
embarras gastrique qui aurait pu provoquer ce décès...
Le 16 janvier 1941, la mère des enfants Besnard, Marie-Louise Gouin,
veuve Marcellin Besnard, s'éteint, à
soixante-neuf ans, trois mois après son conjoint, assistée par le docteur
Delaroche qui constate une congestion pulmonaire double. Léon refuse toute rencontre
avec sa sœur. Cette dernière, de son
côté, prévient que pas un drap, pas une
petite cuiller, pas une chaise n'iront à «la Marie». Puis, deux mois plus tard,
Lucie se suicide par pendaison, le 27 mars 1941. Loudun bruit alors de
fantasmes : caché sous l'escalier où on a retrouvé Lucie pendue, il y aurait eu
un coffre-fort contenant un magot secret que le père Besnard avait confié de la
main à la main à sa fille. La rumeur est en route.
Neuf mois plus tard, jour
pour jour, le 27 décembre 1941, une bonne amie de Mme Besnard, la veuve de
Toussaint Rivet, s'éteint doucement d'urémie, à l'âge de soixante ans, alors
que les Besnard viennent de lui acheter sa maison en rente viagère. Blanche
Rivet a rendu l'âme avant le premier versement.
Un testament passé par-devant maître Demeule, notaire, fait de Marie
Besnard, depuis le 4 décembre 1940, sa légataire universelle.
Pendant trois ans et demi,
aucune fatalité ne vient frapper la famille. Mais, les 1er et 9 juillet 1945, à huit jours d'intervalle, deux
vieilles cousines recueillies par charité par les Besnard Pauline et Virginie Lalleron, meurent à
l'âge de quatre-vingt-huit et quatre-vingt trois ans.
Il y a donc eu huit morts
en sept ans. Mais, en 1945, la longévité moyenne accordée aux Français était
inférieure à soixante ans et si l'on établit une moyenne de l'âge des défunts
de l'entourage de Marie Besnard, force est de constater que l'on vit
relativement vieux dans sa famille. Songera-t-on vraiment à une explication
rationnelle ?
Le 25 octobre 1947, c'est Léon Besnard qui meurt . Avec Marie et un
ami, M. Barodon, ils avaient dîné à la ferme des Liboureaux, la propriété de
Marie. C'est Marie qui avait préparé le dîner «à la fortune du pot». Ni Barodon ni elle ne s'en trouveront
incommodés, mais Léon, revenu à Loudun,
s'alite. Marie appelle à son chevet le docteur Gallois qui diagnostique
une grave crise d'urémie. Le médecin demande l'assistance du docteur Chauvenet.
En dépit de la présence à son chevet des deux médecins, Léon expire.
Les deux accusateurs qui ont lancé le
procès : Louise Pintou et Auguste Massip |
Madame Pintou est alors
depuis longtemps entrée dans le ménage.
Cette dame qui travaille aux Postes, est devenue la bonne amie de Léon
et pour mieux cacher son jeux s'est efforcée de se concilier les bonnes
grâces de Marie qui lui a cédé gracieusement la maison de Lucie, dont Léon et
elle ont hérité. Cette maison est voisine de celle des Besnard, et tous les
soirs l'amie du ménage fait «sa petite visite». Un autre personnage de
l'affaire,Auguste Massip, entre
alors en scène. Le 17 octobre 1948, le
château de Montpensier, propriété d'Auguste Massip, est la proie des flammes. D'aucuns prétendent que Marie Besnard
aurait commis l'imprudence de «demander au ciel qu'un malheur arrive aux
Massip avant le premier anniversaire de la mort de son pauvre Léon» (25
octobre 1947: mort de Léon - 17 octobre 1948: incendie). Auguste Massip, qui
est un maniaque épistolaire, fait une plainte officielle. Il accuse Marie
Besnard d'être sorcière et d'avoir fait ainsi brûler son château à une
centaine de kilomètres de là, alors qu'elle n'avait pas quitté Loudun, …tant
était puissant son pouvoir maléfique...
L'inspecteur Normand, adjoint du commissaire Nocquet à la police
judiciaire de Limoges, entreprennent une enquête. Il doit vite clôturer son enquête en
découvrant que l'imprudence des enfants du fermier avec une bougie avait
provoqué l'incendie que la rumeur publique avait voulu attribuer contre toute
vraisemblance à Marie Besnard. Massip intenta alors un procès à l'Etat en
soutenant – sans rire - que c'était
l'Etat qui, en versant des allocations familiales au père, avait contribué à
l'éclosion de la mauvaise graine dont il avait pâti. Il a, bien entendu, perdu son procès. |
Lorsque, le 16 janvier 1949, pendant une redoutable
épidémie de grippe, Marie-Louise
Antigny, veuve Davaillaud, la vieille
mère de Marie, meurt , l'atmosphère est irrespirable à Loudun.
Trois mois après
l'incendie du château de Massip, la maison de Lucie Besnard qu'habite Mme
Pintou est cambriolée. C'est un cambriolage assez remarquable, puisqu'on n'a
rien volé : une porte ouverte... un édredon étalé au milieu du jardin... une
bouteille de Butagaz jetée par la fenêtre... Le rapport de l'adjudant de
gendarmerie Alcide Langlade et du gendarme Myrtille Fétu est formel: le
désordre ressemble davantage à une mise en scène qu'à un cambriolage. En
réalité à cette date, Marie a vendu la maison de sa défunte belle-sœur à son
domestique Célestin Landré et c'est le nouveau propriétaire qui a fait
sommation par huissier Mme Pintou d'avoir à vider les lieux, déclarant une folie
vengeresse chez la précédente occupante. Mais les voisins se font accusateurs
et incohérents évoquant seulement
"une maison louée par Marie Besnard à une dame qui aurait laissé
entendre qu'elle a été cambriolée...
C'est alors
qu'étrangement, l'inspecteur Normand se décide quant à lui de poursuivre
l'enquête sur la présence suspecte d'une bouteille de Butagaz dans un potager
et se déplace à l'autre bout de la France, dans les Alpes, où la prétendue
victime, Mme Pintou, est en villégiature
pour l'y interroger. Et là Madame Pintou aborde
un tout autre sujet: le plaignant Massip n'a pas raconté d'histoires,
Léon lui a bien confié sur son lit de mort que Marie avait versé quelque chose
dans son potage.
Le juge Roger, qui est un
des plus jeunes magistrats de France - il n'a que vingt-cinq ans - se voit à la veille de sa première affaire
d'importance. Il ordonne une enquête sur
le décès de Léon. Le 11 mai 1949, Léon
Besnard est exhumé au cimetière de Loudun. On pratique des prélèvements sur le
cadavre. On remplit dix bocaux, semblables à ceux que l'on utilise pour les
conserves de petits pois ou de haricots verts, et on les expédie à un expert
agréé : le docteur Béroud de Marseille. Le tout se déroule dans la confusion la
plus totale: le rapport précise que dix bocaux contenant les larynx, les
cheveux, les yeux et mêmes des poils pubiens de Léon Besnard sont envoyés à
Marseille. Mais l'expert Béroud en
reçoit onze! Et il n'en analyse que
neuf!
Puis, il envoie un rapport
selon lequel les matières organiques contenues dans les bocaux renferment 15 mg
d'arsenic (pour 1 kg).
Lorsque le 21 juillet, à 7
heures du matin, le commissaire principal Nocquet, de la police judiciaire de
Limoges, frappe à la porte de Marie Besnard et
l'arrête, c'est bien un procès criminel, parmi les plus longs et les
plus retentissants du siècle, qui va commencer. Ivre de plusieurs années de ragots,
la petite ville de province va se
trouver à la première page des journaux du monde entier.
Après Léon, ce sont tous
les morts, les «chers défunts» de Marie qui vont partir dans des bocaux pour un
voyage improbable vers l'expert Béroud.
Parmi les victimes: son père, sa mère et son premier mari mort depuis
vingt-deux ans. On exhumera à Loudun, en 1949, onze morts, on les ré-exhumera
en 1952, et enfin, en 1958, on ouvrira au hasard des tombes dont la concession
est terminée. Tous contiennent une quantité notable d'arsenic d'après l'expert
Béroud..
Et ce n'est plus un
assassinat qu'on attribue à Marie Besnard, mais treize. Ceux de :
1.
Auguste Antigny: c'est le premier mari de
Marie Besnard, qui mourut de tuberculose sept ans après son mariage.
2.
Marie-Louise Labrèche,
veuve Lecomte: la grand-tante de Léon Besnard, morte de vieillesse à quatre-vingt-six ans,
le 22 août 1938.
3.
Toussaint Rivet: le pâtissier et ami du
ménage Besnard, né le 12 novembre 1874, il est,
lui aussi mort de tuberculose au dernier degré, le 14 juillet 1939.
4.
Pierre Davaillaud: père de Marie
Besnard. Né en 1862, mort à soixante-dix-huit
ans le 14 mai 1940, d' une congestion
cérébrale constatée par le docteur Michel de Saint-Pierre-de-Maillé.
5.
Louise Labrèche, veuve
Gouin: elle
est la grand-mère de Léon Besnard, née le 8 janvier 1848, morte à
quatre-vingt-douze ans, le 2 septembre 1940.
Avant les exhumations des toxicologues, elle sera «déplacée» par la
famille pour «faire de la place».
6.
Marcellin Besnard: père de Léon, né le 18
septembre 1882, mort le 19 novembre 1940.
7.
Marie-Louise Gouin, veuve
Marcellin Besnard: mère de Léon. Née le 13
mai 1872, morte à soixante-neuf ans, le 16 janvier 194 1, assistée par le
docteur Delaroche qui constate une congestion pulmonaire double.
8.
Lucie Besnard, veuve
Bodin: sœur
de Léon, trouvée pendue dans sa maison par un garde champêtre le 27 mars 1941.
Le docteur Delaroche donne le permis d'inhumer et diagnostique le suicide. Plus tard, on prétendra que Léon aurait pu
l'étrangler et transformer le meurtre en pendaison volontaire.
9.
Blanche Lebeau, veuve
Rivet: femme
du pâtissier ami de Léon, elle-même amie intime du ménage Besnard qui vient de
lui acheter sa maison en rente viagère.
Née en 1881, morte le 27 décembre 1939, à l'âge de cinquante-huit ans,
d'une crise d'urémie diagnostiquée par le docteur Delaroche.
10.
Pauline Lalleron: cousine de Marie,
recueillie par elle dans sa maison. Née
le 13 décembre 1857, morte à quatre-vingt-huit ans, le 1er juillet 1945, assistée du docteur Gallois qui
constate un affaiblissement général et l'urémie lente des vieillards.
11.
Virginie Lalleron: c'est la sœur de la
précédente, née le 12 juin 1862, elle n'a jamais quitté sa sœur et la suit à
huit jours près dans la tombe, puisqu'elle s'éteint le 9 juillet 1945, à l'âge
de quatre-vingt-trois ans. Le docteur Gallois
constate également l'urémie lente des vieillards.
12.
Léon Besnard: Second mari de Marie
Besnard. Né en 1892, mort à
cinquante-cinq ans le 25 octobre 1947.
Le docteur Gallois parle d'urémie foudroyante.
13.
Marie-Louise Antigny,
veuve Davaillaud: mère de Marie, qui meurt à un âge imprécis mais très avancé le
16 janvier 1949, au cours d'une épidémie de grippe, assistée par le docteur
Gallois qui ne peut que constater que «la machine est usée».
L'instruction dure deux
ans et sept mois. Et le premier procès de Marie Besnard s'ouvre à Poitiers le
20 février 1952.
1952 - Le premier procès
Les témoins défilent, pour
la plupart inutiles, comme les fossoyeurs de Loudun, Trouillet, Maitre et Rabier
qui se bornent à clamer avec des voix sépulcrales «qu'ils ont toujours enterré
et déterré à la satisfaction des usagers». Les comparses, les voisins, vont à
la barre. Personne n'apporte un semblant
de preuve. Mais on les écoute à peine.
Tout le monde pense que le procès va se jouer sur le résultat des analyses.
Indépendamment de
l'affirmation de son innocence – qui n'est jamais suffisante en droit français-
la défense de Marie Besnard est obligée se s'articuler dans une contestation
technique point par point :
Or, les contrôles des
expériences du docteur Béroud n'ont pas été effectués par des employés de
l'Etat, mais par son assistant le docteur Médaille. Or ces deux médecins
«spécialisés» ont reçu les prélèvements du malheureux Léon le 13 mai 1949, deux
jours après l'exhumation.. Pourtant les
directives du docteur Béroud au docteur Médaille datent du 11 mai, jour de l'exhumation.
Or, ni Béroud ni Médaille n'étaient au cimetière de Loudun. Et leur mission ne
commence que quatre jours plus tard, le
15 mai date à la quelle Béroud prête serment devant un magistrat de Marseille.
Mais il y a plus, outre le
nettoyage "fantaisiste" des bocaux, il se trouvait que l'exhumation
de Léon Besnard avait été faite 11 mai 1949.
Le juge avait expédié dans une caisse malheureusement non scellée dix
bocaux. Il n'en est arrivé que neuf. Et tout le monde se troublait dès que l'on
abordait la question du bocal manquant. Le docteur Béroud commença par
répondre, dans une lettre datée du 14 juin, qu'il n'avait pas reçu les cheveux
ni le larynx, ce qui était conforme à son
rapport où il n'était question ni
de cheveux ni de larynx Mais quelques mois plus tard, le juge d'instruction,
inquiet de cette disparition d'un bocal, ne sachant pas comment conclure le
dossier dans ces conditions, écrivit de nouveau au docteur Béroud qui fit alors
volte face et répondit: "Une erreur a probablement été commise, j'ai
consulté mes notes et à travers elles, je
me suis aperçu qu'on avait mélangé le
bocal contenant les cheveux et le
larynx avec le contenu d'un autre
bocal."
Me René Hayot, un autre
défenseur de Marie, allait lui démontrer que les méthodes employées par lui
n'étaient pas d'une infaillibilité parfaite.
L'appareil de Marsh, selon l'expression de Raspail, n'avait donné à la
médecine légale qu'un instrument perfectionné, qui ne pouvait être considéré
que comme un procédé et la méthode de Cribier (passage d'hydrogène arsénié sur
une bande imprégnée de bichlorure de mercure) demeurait aux yeux de l'Académie
passablement discutable. De plus, comment l'expert s'était-il débrouillé pour
retrouver un œil intact dans les os blanchis de Virginie Lalleron et une
chevelure pesant 6 kg sur un cadavre non déterminé?
Le 22 février : l'expert Béroud, seul
élément objectif de l'accusation s'effondre à la barre. "Docteur Béroud,
vous êtes jugé !" lui crie Me René Hayot.
|
Le 22 février 1952, Me
Albert Gautrat allait confondre l'expert, non par un effet d'audience, mais
par une mise à néant de sa méthode et de ses conclusions sans rigueur. Le
docteur marseillais Béroud était très
sûr de lui et confortait ses affirmations avec une certaine vantardise
avantageuse. Il avait employé la méthode de Marsh parce qu'elle
fait apparaître sur les éprouvettes un
anneau révélant l'existence de substance toxique et avait affirmé que
cela ne faisait aucun doute puisque il pouvait les détecter d'un simple
regard. Il va faire moins bonne figure
lorsque Me Gautrat lui présentera six tubes de mélange et entamé avec lui le
dialogue suivant : -Je me garderai bien, docteur, de douter de votre compétence. Mais enfin quand vous avez employé la méthode
de Marsh qui laisse sur les éprouvettes un cercle de substance toxique,
savez-vous qu'avant de conclure à la présence de l'arsenic, il faut d'abord
identifier la substance? -Je l'ai fait, dit le docteur. -Croyez-vous?... vous avez répondu au contraire que votre
œil vous suffisait; que vous détectiez cela au regard. Alors voici six tubes de mélanges avec des
traces toxiques. Je vous pose une
question: lesquels de ces tubes contiennent de l'arsenic ? |
|
- Je crois que c'est ces deux là… - Je les verse au dossier pour qu'ils soient analysés…J'aime
mieux vous le dire tout de suite, aucun n'en contient ce sont tous des
anneaux d'antimoine. "Docteur Béroud,
vous êtes jugé !" lui crie Me René Hayot. |
Et il n'était pas au bout
de ses peines. Le docteur Georges Schuster, membre de l'Académie de
pharmacie, lui reprocha d'avoir, dans le cadre de la méthode de Marsh, analysé pêle-mêle
des débris de matière cervicale, de foie, des ongles et des cheveux, d'avoir
rédigé des rapports hâtifs et surtout d'avoir négligé la recherche de présence
de plomb puisque l'instruction avait retenu que le poison employé était, aux
dires de Mme Pintou, de l'arséniate de plomb et que figuraient au dossier trois
boîtes de poudre contre les doryphores presque entièrement composée de ce
produit et trouvées chez Marie Besnard. Pis encore, il avait fait des rapports
d'analyse de viscères, là où il n'y en avait pas.
Toutes ces fautes
accumulées, la carence évidente des méthodes d'analyse rendent inévitable une
contre-expertise que la défense réclame énergiquement. Le tribunal se rend à cette
évidence et l'avocat général demande que cette contre expertise soit effectuée
parallèlement à l'audition des témoins.
Me Gautrat arrive cependant à convaincre les magistrats et le procès est
renvoyé.
Le tribunal désigne le
professeur Piédelièvre qui s'entoure des professeurs Kohn-Abrest, Fabre et
Griffon. Ces savants doivent, à la
demande de l'avocat général, employer les méthodes de Marsh et de Cribier et
remettre leur rapport dans un délai de deux mois.
1952-1954 : Contre-enquête
Tandis que les fossoyeurs fouillent à nouveau les tombes,
Marie Besnard, retourne à la prison de la Pierre-Levée, à Poitiers. Le
juge Roger, qui ne désarme pas et qui entend se procurer un aveu écrit de la
culpabilité de celle qui finalement n'a joué qu'un rôle de comparse pendant les
quatre jours du procès, a placé deux «moutons» dans la cellule de Marie
Besnard, Simone et Gisèle, qui font passer à Marilou, une ancienne compagne de
cellule, des billets de Marie au cours des promenades dans la cour. Marie écrit, d'autant plus que son amie lui
avait parlé d'un gang marseillais rocambolesque susceptible de la délivrer les
armes à la main. Ce n'est pas la
première fois que Marie Besnard fait preuve d'une naïveté et qu'elle étale une
parfaite ignorance des milieux louches.
Déjà avant son arrestation, elle avait fait confiance à un personnage
douteux: le détective privé Loccident qui lui avait demandé beaucoup d'argent
sous prétexte de lui révéler les auteurs des rumeurs dont elle était l'objet
afin de lui permettre de faire un procès.
La «contre enquête» du «privé» s'était terminée par un bien maigre bilan ;
une déclaration de Madame Pintou qui affirmait ne répéter que ce que Massip lui
avait dit. Les billets échangés entre Marilou et Marie sont interceptés et
falsifiés. Sur l'un d'eux on lit: Je suis suis coupable (sic). Ce n'est pas l'émotion de l'aveu qui
explique cette répétition, mais un grossier grattage qui a transformé ne suis pas.
Marie n'avouera jamais et dans les diverses missives qui passeront
entre les mains du professeur Locard chargé de l'expertise graphologique, la
main de Marie trace plutôt l'expression très ferme de sa confiance en la
«justice de Dieu».
Après l'erreur des
expertises, fallait-il décidément ajouter à l'affaire Besnard, un faux ?
La province n'est jamais
bienveillante, et comme tous les «bons voisins»
sont convoqués et viennent témoigner de la lubricité, de l'avarice et de
la méchanceté de Marie, ceux qui possèdent des lettres anonymes s'empressent de
les faire parvenir au juge Roger quelquefois même anonymement.
A la fin de janvier 1953,
les nouveaux experts éliminent six cadavres sur les treize reprochés à Marie:
leur état, lors de la deuxième exhumation, rend les analyses trop
douteuses. Toutes les méthodes
toxicologiques classiques et modernes ont été utilisées pour rechercher
l'arsenic. Les professeurs Fabre,
Kohn-Abrest et Griffon ont scrupuleusement suivi les procédés de Marsh et de
Cribier que le docteur Béroud avait employés avec la légèreté qu'on se
rappelle. On a introduit des cheveux suspects (ceux prélevés lors de la seconde
exhumation) dans une pile atomique, on les a rendus radio-actifs en les
bombardant de neutrons et on a mesure l'amplitude de leurs radiations pour
détecte l'arsenic.
Le 6 mars 1953, la chambre
criminelle et la Cour de cassation ordonne l'acheminement vers Paris du dossier
des poisons de Loudun. Le 10 juin 1953, la Cour de cassation décide que Marie Besnard sera jugée non pas à Poitiers,
mais devant la Cour d'assises de la Gironde à Bordeaux. Marie Besnard quitte la prison de la
Pierre-Levée et est transférée, à Bordeaux,
à la prison du fort du Hâ.
1954 – BORDEAUX : le deuxième procès
La défense à la barre de
la Cour d'Assises de Bordeaux. 1954. |
Le deuxième procès
commence le 15 mars 1954. Aux trois avocats du procès de Poitiers, Me
Gautrat, Hayot et du Cluzeau, vient s'ajouter Me Favreau-Colombier. Dès les premières
audiences, les frères Massip sont tellement incohérents dans leurs propos que
Jean-Marc Théolleyre écrit dans le journal Le Monde du 24 mars 1954 : "On a vu à la barre un extraordinaire personnage verbeux,
intarissable, se prenant pour un justicier,
pour le fin limier de l'affaire, singeant les intonations de tous les personnages qu'il faisait dialoguer dans son récit. Glapissant d'une voix de fausset, avec un indéfinissable accent méridional, M. Massip a donné l'impression d'incarner Piédalu* (le bon
sens en moins) s'exprimant dans le
langage de Bouvard et
Pécuchet. Jamais le ridicule n'atteignit aussi loin dans une enceinte
de justice... On l'a cependant renvoyé dans ses foyers, et avec raison. La justice se doit d'être sérieuse.
Mais ce qui est grave et inquiétant c'est qu'il a fallu attendre six ans pour qu'un magistrat découvrit enfin ce qu'était M.
Massip.
Le juge d'instruction n' avait pas pris garde. Il avait consigné
précieusement tout ce que lui
disait ce témoin. Il en avait fait la
base de son instruction. Aujourd'hui l'erreur est enfin réparée..." * personnage comique : un paysan malin et rouspéteur, inventé par le comédien
Ded Rysel, à la mode dans les années 50,
avec les trois films Piédalu à
Paris (1951), Piédalu fait des miracles (1952) et Piédalu député (1953). |
Ici commence le véritable procès.
.Le premier des savants qui
parait à la barre est le professeur Piédelièvre, chargé de la coordination des
nouvelles expertises. Il fait preuve
d'une extrême prudence et déclare qu'«en toute objectivité un examen opéré su
un magma de putréfaction, de parties osseuse mélangées avec des pierres et de
la terre, ne peut présenter des résultats d'une rigueur absolue».
Après lui le doyen Fabre
se voit prendre directement à partie par Me Gautrat.
Me Gautrat. -Si j'enterrais un chien dans le cimetière
de Loudun, pourriez-vous dire, en engageant votre honneur de savant, si ce
chien, trois ans plus tard, ne contiendra pas une quantité d'arsenic qu'il ne
possédait pas à la mort?
Le doyen Fabre. - Je n'en sais rien.
Me Gautrat. - Comment voulez-vous que messieurs les
jurés le sachent si vous, le savant, n'en savez rien,,, ?
Le professeur Piédelièvre,
rappelé à la barre, évite de se prononcer sur le problème de la solubilité de
l'arsenic.
- Nous ne pouvons, dit-il, en médecine légale, donner que des
indications générales. Je le répète: il
y a trop d'arsenic dans les débris cadavériques, mais ces débris sont
contestables; également il y a trop d'arsenic dans les cheveux, ce qui montre
cette fois une absorption massive par voie interne et qui laisse un grand
doute.
L'éminent savant pèse ses
mots. MM. Kohn-Abrest et Griffon les pèseront
moins. Le premier a soixante-quatorze
ans. Depuis quarante ans, il s'est penché sur la plupart des grandes causes
criminelles. C'est lui qui a élucidé la mort
mystérieuse du banquier Lowenstein et qui a débrouillé l'affaire du «mal des
ardents» de Pont-Saint-Esprit. Il
travaille dans son propre laboratoire qu'il a installé lui-même à Brunoy, près
de Paris et fait chaque année plus de cent cinquante analyses qui comportent
chacune plus de vingt manipulations.
La défense. -Vous
avez trouvé 11,9 mg dans l'analyse d'un prélèvement de côte de Marcelin
Besnard, mais dans le rapport ce chiffre est devenu 25 mg.
Professeur Kohn-Abrest. - 11 ou 25 mg dans un prélèvement de côte,
pour le résultat final, c'est la même chose.
La défense. -Pas pour les
jurés...
Le vieux monsieur quitte la barre un peu désemparé. Le professeur Griffon lui succède :
Me Gautrat. -Vous aviez, monsieur Griffon, une mission
bien déterminée en 1952. Nous étions en
présence de cadavres anciens et de vestiges cadavériques qui avaient été en
contact pendant des années avec de la terre, des minéraux, des végétaux, et
dans cette terre se trouvaient 2 à 6 mg d'arsenic au kilogramme. Si l'on rapporte cette quantité à la masse de
terre qui peut entourer une tombe, elle devient fort importante. Pouvait-elle imprégner les vestiges
cadavériques ? Une première analyse a été faite. On a employé de l'eau distillée. Le procédé est un peu léger. Puis une nouvelle expérience a été faite avec
de l'eau de pluie. Mais je constate que
dans votre rapport vous avez fait les mêmes expériences que l'on avait faites à
Nancy en 1887. Ne pensez-vous pas que
c'était un peu dépassé? Ignorez-vous
donc les travaux récents qui ont été faits par M. Demolon sur la dynamique du
sol en 1952? Je constate que vous n'y
avez fait aucune allusion.
Professeur Griffon. - Je reconnais que dans certains cas nous n'avons
pas indiqué toutes les précisions...
Me Gautrat. - Autrefois, monsieur le professeur, les
travaux étaient plus minutieusement faits.
Professeur Griffon. - Il n'est pas douteux que les mémoires
d'il y a quarante ou cinquante et quelques années n'étaient pas présentés sous
la même forme qu'aujourd'hui.
Me Gautrat. - Il y a une raison. C'est qu'à cette époque, monsieur Griffon,
c'était les patrons qui faisaient eux-mêmes leurs travaux!
Me Gautrat évoque ensuite
le problème de la solubilité de l'arsenic.
En admettant qu'il y en ait dans la terre du cimetière, il faut, pour
qu'il arrive à imprégner les cadavres (il n'y a, dans les prélèvements, que 2
mg au kilo de terre, mais il y a dans le cimetière des tonnes de terre), qu'il
puisse être véhiculé par les ruissellements d'eau et l'humidité souterraine.
Or les travaux des experts
montraient que l'arsenic n'était pas soluble, «la terre prendrait plutôt de
l'arsenic à l'eau, si elle en avait, que l'eau à la terre». Les premiers
travaux avaient été effectués avec de l'eau distillée. Grave erreur de méthode que la défense
n'avait pas manqué de relever. On refit
donc les mêmes travaux avec l'eau du pluviomètre de Montsouris.
Le professeur Griffon
conclut à l'absence d'arsenic dans cette eau. Le professeur Le Peintre,
ingénieur hydrologue de la préfecture de la Seine, en vint à des conclusions
contraires.
Puis c'est l'audition de
trois contre-experts: MM. Marcel Le Peintre, ingénieur des Eaux de la Ville de
Paris, le docteur Henri Ollivier, professeur de médecine, et M. Jean Kelling,
professeur à l'Institut agronomique.
Sur un tableau noir de
collège, M. Le Peintre démontre que les calculs du professeur Griffon sont
complètement faux.
Le professeur Ollivier
fait une déposition capitale. Il prétend
que les expériences des experts sont stériles.
Une éprouvette de terre prélevée en vue d'une expérience de laboratoire
n'a à ses yeux rien à voir avec la terre des cimetières où grouille un milieu
vivant rempli de larves, de vers et de microbes.
Il conclut :
- La toxicologie doit reconnaître et accepter ses limites, les
renseignements qu'elle fournit aux médecins légistes perdant leur rigueur
scientifique et devant être interprétés avec prudence.
Enfin arrive la déposition
du troisième «contre-expert», le professeur Kelling, le 29 mars. Celui-ci est
tellement convaincant, lorsqu'il s'étonne de l'incroyable désuétude des
méthodes employées, que l'avocat général Steck n'hésite pas à faire part à
l'assistance de l'angoisse qu'il ressent à l'audition du savant. Il l'est
d'autant plus lorsqu'il reçoit un appel téléphonique du parquet de la Seine qui
lui révèle qu'un savant le professeur Truffert, s'est livré à une série
d'expériences complètes, et a découvert des éléments capitaux pour le procès.
Le 1er avril 1954, le professeur Truffert est entendu à la
demande de l'accusation. Coup de théâtre
! Après avoir décrit en détail ses diverses expériences, il déclare
-"On ne peut plus affirmer que sil on découvre de
l'arsenic dans les cheveux d'un cadavre après lavage, il y a été introduit de
son vivant."
Il est maintenant dit
d'une manière limpide et sans équivoque que les experts ont négligé la
bactériologie, la minéralogie, la biologie et l'étude des réactions dues à la
putréfaction cadavérique et aux imprégnations du sol.
12 avril 1954, Marie Besnard sort de la
prison du Fort du Hâ entourée de deux de ses avocats, Me J. Favreau-Colombier
et Me René Hayot. |
Trois nouveaux experts
doivent être nommés et se voient attribuer un délai de trois mois pour ajouter
leurs conclusions à celles de leurs précédents confrères. Les trois nouveaux savants sont MM. Albert Demolon, physicien, Paul Lebeau,
chimiste et Maurice Javillier, biologiste. Et le procès, une fois
de plus, est reporté comme il le fut en 1952.
Il y a cependant une énorme différence. Marie Besnard est mise en liberté
provisoire. On lui demande une caution
de un million deux cent mille francs que Charles Trenet s'offre avec
insistance à verser. Marie refuse bien
qu'elle ne dispose pas d'une telle somme. Tout ce qui vient de Léon Besnard
est placé sous séquestre et elle ne peut
vendre se propres biens du jour au lendemain. Des amis et des cousins
de l'Allier réunissent péniblement deux cent mille francs, montant auquel la
Cour réduira la caution. Marie Besnard sort de prison le 12 avril et retrouve sa maison de Loudun |
1961 – BORDEAUX : Le troisième procès et l'acquittement
Le temps judiciaire ignore
les calendriers. Les trois mois impartis aux nouveaux experts vont durer sept
ans.
La quiétude du cimetière
de Loudun est à nouveau troublée. En
juin 1958, de nouvelles exhumations ont lieu.
On étiquette les nouveaux bocaux.- «cadavres témoins» ou «cadavres cobayes». Ce sont des prélèvements anonymes effectués
sur de pauvres tombes abandonnées.
1961, Marie Besnard sort libre du Palais de Justice de Bordeaux. |
Le 10 juin 1961, le juge
d'instruction Gaston convoque Marie Besnard à Poitiers pour lui montrer les
plans du cimetière de Loudun établi par les géomètres. Le 17 juillet suivant, les
super-experts ont enfin déposé leur rapport.
Il ne s'agit plus des trois membres de l'Académie nommés en 1954 à
Bordeaux. Durant les six années écoulées
des remplacements ont eu lieu et le rapport final est signé MM. Lemoigne, Savel et Truhaut. Il compte trois cents pages. Des treize
cadavres imputés en 1952 à Marie, six avaient été éliminés après les expertises
de 1954. Sur les sept suspects qui
restaient, le nouveau rapport n'en retient qu'un à cause des doses massives
d'arsenic qu'il recèle (100 mg dans le bassin, c'est-à-dire dix fois la dose mortelle),
c'est celui de la mère de Marie. Le troisième procès semble
recommencer comme il s'était terminé,
sept ans plus tôt. Les mêms acteurs ou presque se retrouvent dans la
même salle. Le jury lui n'est pas le
même : cette fois, il n'est composé que par des hommes (il y avait une seule
femme en 1952 et deux en 1954). |
Le 27 novembre, c'est au tour du professeur
Kohn-Abrest, vieux savant de 81 ans. Me
René Hayot se lève avant que le jury se laisse impressionner par l'autorité
d'un tel témoin, et puisque ce dernier a parlé de chiffres et de rigueur
scientifique, le défenseur de Marie, qui connaît parfaitement les rapports,
passe à l'attaque, en lui révélant que ses chiffres ont été modifiés :
-Nous sommes dans une cour de justice où l'on ne peut pas jongler avec
des chiffres. Pour le résidu pâteux
prélevé dans le cercueil de Mme Davaillaud on trouve trois analyses qui donnent
trois résultats différents: 16, 32 et 48 mg.
Or quel chiffre lisons-nous sur le rapport général? 90 mg. Pour faire la moyenne, on a simplement
additionné les trois résultats. Il y a
même un second rapport où l'on trouve 160.
Voilà, messieurs les jurés, ce qu'on appelle des pièces à conviction d'une
rigueur scientifique.
La salle se fait houleuse,
la partie civile intervient et demande au professeur de préciser qu'il a bien
examiné les cheveux de Léon Besnard sur lesquels il a basé ses déductions.
Me Gautrat intervient à
son tour:
-Oui, parlons-en, des cheveux de Léon Besnard. Lorsque les prélèvements ont été faits au
cimetière de Loudun, sous le contrôle du professeur Piédelièvre, ce dernier dit
dans son procès-verbal qu'il a enfermé dans un bocal: du cuir chevelu et des
poils de la poitrine et du pubis. Pas
question de cheveux. Le 3 avril 1952,
procès-verbal de l'ouverture du bocal.
Il n'est toujours pas question de cheveux. Des semaines se passent, on dresse le tableau
général des quantités d'arsenic relevées dans les prétendues victimes et, là,
on voit apparaître soudain des cheveux de Léon Besnard.
"Alors si, en matière criminelle, on ne doit pas tenir
compte des procès-verbaux, s'il n'y a plus aucune garantie judiciaire, qu'on
nous le dise. Quand je m'élève contre ce
procédé, messieurs de la Cour, c'est votre existence autant que la mienne que
je défends. C'est au nom de la Justice
tout entière que je parle!»
Le professeur répond que
par cuir chevelu, on désigne souvent les cheveux. Mais il concède à la défense
que s'il n'y avait eu que les cheveux dans cette affaire, il n'aurait pas
conclu comme il l'a fait, et en tout cas pas voulu prendre le risque d'une
condamnation sur l'arsenic trouvé dans les cheveux seuls. Le président honoraire de la Société des
experts-chimistes de France reconnaît qu'il était ailleurs qu'à Loudun en 1952.
Tumulte dans la salle. L'audience est
suspendue.
Le 29 novembre, il ne reste plus qu'à
entendre monsieur Bastisse, pour mettre fin aux discussions scientifiques. Il est
maître des recherches au Centre national de la recherche agronomique. " C'est un grand savant » déclare à son
sujet Monsieur Lemoigne qui a voulu qu'il soit cité.
Monsieur Bastisse est allé d'analyse en
analyse des sables de la région. Pour faire comprendre à la cour et aux jurés
comment les sables peuvent fournir de l'arsenic, monsieur Bastisse passe au
tableau qu'il couvre de dessins, de plans et de chiffres. Son langage scientifique cristallise
l'attention des savants qui sont dans la salle. Le corps de Léon Besnard, comme
celui des autres défunts, dit-il, dans sa maçonnerie, est en présence de sable
et de ciment. Il y a au moins 50 grammes
d'arsenic Monsieur Bastisse lance en
terminant: « Vous avez enterré vos morts dans une réserve d'arsenic . »« A propos de Marie Besnard, depuis
plusieurs années, j'avais des doutes.
Maintenant j'ai une certitude. …
Je ne serais pas là sans ça. Je libère ma conscience : Je considère que cette dame est
innocente."
Le 4 décembre, Mme Pintou
apparaît.: La grande accusatrice de Marie Besnard âgée de soixante-quatorze ans
a vieilli . Ayant déposé sous la foi du serment, elle ne peut se dédire devant
une cour d'assises Elle a peaufiné son rôle. Elle l'a appris par cœur et a
choisit d'en rajouter. «L'accusatrice de
Loudun a été plus bavarde qu'il y a treize ans», titre la France du 4
décembre.
Mais la première question
va la faire trébucher. Me du Cluzeau attaque la postière sur un point
extrêmement précis: A-t-elle rompu avec Marie Besnard après la mort de Léon,
comme elle le prétend ? Mme Pintou affirme que oui. Les défenseurs produisent alors une lettre
adressée à Marie Besnard deux ans après la mort du «pauvre M. Léon». Mme Pintou
se trouble à peine et affirme que ce n'est qu'un détail. Elle jure maintenant de dire toute la vérité.
Le président la prend
alors directement à partie et lui demande:
-Pourquoi vous êtes-vous rétractée devant les gendarmes après les
déclarations de M. Massip?
Mme Pintou. -Parce
que les Massip, surtout l'ainé, étaient des hurluberlus, ils étaient peut-être
allés un peu trop vite.
Massip l'ainé n'est plus
là pour la contredire, il est mort à Tanger comme un véritable héros des romans
policiers qu'il affectionnait et son corps a été ramené en France le 14 juin
1961.
Le 9 décembre la parole
est à Monsieur le procureur général pour son réquisitoire. Mais décidément de
l'accusation infondée lancée contre Marie Besnard, rien ne reste débout.
12 décembre 1961 : Marie Besnard est
acquittée. |
Après les plaidoiries
des avocats, le 12 décembre 1961, Marie Besnard est triomphalement acquittée
par les jurés de la Cour d'Assises de la Gironde. Le calvaire de Marie
Besnard aura duré douze ans. Marie
Besnard a perdu des années de liberté, ses biens personnels (et elle en avait
sans être tentée par ceux des autres ... ). Nul ne l'a indemnisée, ni les
dénonciateurs, ni l'Etat. L'acquittement survenu, Massip était mort, Mme
Pintou dont il avait dit qu'il répétait les propos, était insolvable. Aucune
loi ne permettait une demande de réparation à l'Etat. |
(c) Bertrand FAVREAU (1985)
d'après Jacqueline
FAVREAU-COLOMBIER, Marie Besnard La force de l'innocence Robert Laffont.
Pour en savoir plus :
Jacqueline
FAVREAU-COLOMBIER, Marie Besnard La force de l'innocence Robert Laffont, 1985
Jacqueline
FAVREAU-COLOMBIER, Marie Besnard La force de l'innocence, France Loisirs 1986
Jacqueline
FAVREAU-COLOMBIER, Marie Besnard, le procès
du siècle
Bibliothèque historique Privat Toulouse Privat, 1999