Bertrand FAVREAU
Président fondateur de l'UAE
1986,1987,1988 et 1989
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Mai 1986-Mai 1996 ... Dix
ans déjà! Créée au printemps de 1986, l'UNION DES AVOCATS EUROPÉENS,
dont les statuts définitifs ont été signés symboliquement dans le
bâtiment Jean MONNET, sur le plateau de Kirchberg à Luxembourg, a
désormais 10 ans révolus. Pour tous ceux qui ont participé à sa
fondation et qui ont oeuvré depuis cette date sans relâche, en
organisant successivement dix congrès dans les plus belles villes
d'Europe, plusieurs dizaines de colloques et séminaires dans treize des
quinze pays qui constituent aujourd'hui l'Union Européenne, c'est un
anniversaire chargé de symboles.
Pour cette célébration,
l'U.A.E. avait convié du 30 mai au 1er juin l'Europe du
droit sur les bords de la lagune en l'invitant à méditer sur le thème :
«La protection juridictionnelle des droits dans l'Europe
communautaire». Nul ne l'ignore : organiser un congrès international
original dans la ville des Doges, tant visitée, relève toujours de la
gageure. Or, non seulement le Professeur Giuseppe MINIERI a relevé le
défi mais il a réussi à organiser en ce printemps d'anniversaire le
plus subtil, le plus merveilleux, le plus inoubliable des congrès dans
une ambiance qui laissera pour toujours à tous les participants une
profonde nostalgie. Pendant trois jours, le cadre raffiné et privilégié
de la Fondation Cini, a réservé le charme de son cloître aux
participants pour le temps d'une méditation entre les séances de
travail. Parmi les nombreux hôtes de marque, les membres de plusieurs
Cours constitutionnelles, un juge de la Cour Suprême des Etats-Unis,
outre plusieurs juges et avocats généraux de la Cour de Luxembourg.
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A Luxembourg, dans le « brouillard de Novembre
1986 », comme l'a dit Giuseppe MINIERI, l'U.A.E. était née dix ans plus
tôt, fruit de sa conception quelques mois auparavant à Paris, puisque
c'est là que nous a été donnée cette conscience irremplaçable de
l'évidence et de l'urgence d'un droit nouveau que Robert LECOURT devait
appeler une « pacifique révolution judiciaire ». A cette
« Europe des Juges » devait correspondre une « Europe des
avocats ». Parce qu'il n'y aura jamais d'espace judiciaire européen digne
de ce nom sans son corollaire : un espace harmonisé des droits de la
défense. Issue de cette
conscience, l'U.A.E. est alors devenue plus qu'une idée : une volonté,
une foi et un message.
Cette volonté c'était, à
l'heure où se sécrétait un droit à l'échelle de l'Europe, où le Traité de
Rome avait engendré, comme devait le rappeler un arrêt célèbre, des
droits dans le chef de tous les ressortissants des Etats membres, de
regrouper tous ceux qui dans les barreaux de la Communauté étaient
désireux de tourner leurs efforts vers la promotion et la diffusion de ce
droit, soit que déjà leur formation ou leur pratique les y destinât, soit
que leur curiosité ou leur intérêt les y portât,
Et cela non sous la forme
d'un nouvel organisme regroupant indistinctement les intérêts
corporatistes d'avocats qui portent le même titre à travers les
frontières, ou comme une nouvelle structure où viennent se confronter
pour mieux s'affronter les orgueils de pratiques ou de conceptions
nationales et où chacun veut imposer son modèle idiomatique comme un
parangon inégalable. Mais, au contraire, ainsi que la Cour nous en avait
montré les voies, comme un rapprochement d'avocats parlant déjà un même
langage, celui d'un même droit, se référant aux mêmes principes et aux
mêmes arrêts et susceptibles de rechercher non seulement dans les
principes communs aux Etats membres mais dans les fondements qui les
sous-tendent, quelles que soient leurs modalités, les forces vives de ce
qui sera le barreau européen de demain. Il s'agissait avant tout selon un
précepte fameux d'unir des individus, de croire à l'enrichissement mutuel
apporté au droit par le « law
making power » de la Cour.
Au nom de cette foi, il
convenait de ne pas abandonner la construction de l'Europe judiciaire à
une logique d'appareils excipant de leur propre réglementation comme
autant d'entrave à l'intégration.
Pour reprendre un mot célèbre de Newton, l'U.A.E. voulait
construire des « ponts », alors que tant d'autres cherchent à
ériger des «murs ». C'est cette idée-là que nous avons alors appelée :
l'Union des Avocats Européens.
Goethe a écrit quel que part : « Jette tes fruits à l'eau...
Tu verras bien à qui ils profiteront... ». Ces fruits sans doute les
voudrions nous toujours plus beaux, plus riches et plus nombreux. »
C'est pourquoi, à
l'intention de tous les juristes, et même de tous les autres, nous ne
ferons jamais assez d'information, jamais assez de séminaires et de
colloques. Pèlerins infatigables,
nous devrons reprendre inlassablement ce chemin qui nous a déjà mené
depuis plus de dix ans à Rome, à Rhodes, à Madrid, à Berlin, a Edimbourg,
à Biarritz, à Anvers, à Lisbonne, à Corfou ou à Venise, pour nos Congrès,
mais aussi de Londres à Séville, de Rennes à Vienne, de Cork à Athènes,
et de Copenhague à Porto, et demain à Palma, pour tant de séminaires
qu'il serait vain de vouloir les citer tous. Car c'est aujourd'hui que d'aucuns
semblent se prendre à douter de la construction européenne que notre
objet social retrouve toute sa force et acquiert sa véritable
mesure. Comme l'a écrit un
écrivain gascon bien que né à Marseille : « C'est la nuit qu'il est
beau de croire en la lumière».
L'Europe a ou aura beaucoup moins besoin de nous quand chacun
s'entendra à célébrer ses bienfaits.
Comme Husserl avait écrit un jour que le plus grand péril qui
guettait l'Europe c'était la paresse», Jacques Delors n'a t'il pas dit de
son côté que ce danger c'était « le manque d'ambition et la
nostalgie du passé » ?
Pour cela, plus qu'une
association d'avocats parmi tant d'autres, l'U.A.E. voulait être aussi un
message. Croire en l'Europe du
droit c'est aussi croire en un monde plus juste. Dès lors, son objet social prouve que
notre Union est et veut demeurer bien autre chose qu'un organisme à
simple vocation professionnelle.
Et cela justement parce qu'elle s'adresse spécifiquement à des
avocats. Rudolf von Jehering
donnait au milieu du XIXème siècle pour seule finalité au droit - en
l'occurrence romain – « d'assurer à l'homme un avantage quelconque,
de venir en aide à ses besoins, de sauvegarder ses intérêts et de
concourir à l'accomplissement des buts de sa vie. » « Le destinataire
de tout droit c'est l'homme », ajoutait-il en une formule dont certain
arrêt ne saurait nier la référence.
Sans doute est ce pour cela que nous avons expressément érigé
comme un véritable deuxième socle de nos recherches la Convention
européenne des Droits de l'Homme dont chacun sait - et savait bien avant
le congrès de Venise - que par le biais de l'incorporation en principes
généraux du droit qui font partie du droit communautaire, elle recoupe et
complète le droit issu des Traités.
Sans doute est-ce pour cela aussi que nous nous sommes émus de la
« déjudiciarisation » annoncée du «troisième pilier » du Traité sur
l'Union européenne.
Jean Monnet a écrit
dans ses Mémoires « Lorsqu'une idée
correspond à la nécessité de l'époque, elle cesse d'appartenir aux hommes
qui l'ont inventée et elle est plus forte que ceux qui en ont la charge
». C'est à tous ceux qui la partagent déjà ou qui la feront survivre un
jour qu'il convient de dédier l’œuvre que nous avons entreprise. Et Jean
Monnet - encore lui - disait aussi que son action s'était toujours
référée à cette seule maxime du philosophe William James : « D'abord continuer, et
ensuite seulement, commencer... ». Ce doit être aussi la nôtre. Et il y a encore tant de travail à
accomplir, à redoubler d'efforts ... avant de fêter ensemble un jour le
vingtième anniversaire de l’UAE.
Bertrand FAVREAU
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