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Jurisprudence F& C * (*
affaire traitée par notre cabinet)
COUR EUROPEENE DES DROITS DE
L’HOMME
AVOCATS –
DIFFAMATION ENVERS UN PROCUREUR
CINQUIÈME SECTION
AFFAIRE ROLAND DUMAS c. France
(Requête no 34875/07)
La Cour européenne des droits de
l'homme (cinquième section), siégeait en une chambre composée de :
Peer Lorenzen,
président,
Renate Jaeger,
Karel Jungwiert,
Mark Villiger,
Isabelle Berro-Lefèvre,
Zdravka
Kalaydjieva, juges,
Jean Yves Monfort,
juge ad hoc,
et de Claudia Westerdiek, greffière de section,
Le requérant
était représenté par Me B. Favreau, avocat à Bordeaux. Le gouvernement français
(« le Gouvernement ») est représenté par son agent, Mme E. Belliard, directrice
des affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.
Roland
Dumas, homme politique français, avait publié, deux ans après avoir été mis en
examen pour complicité et recel d’abus de biens sociaux dans l’affaire dite «
l’affaire Elf » qui avait mis à jour un réseau de corruption, un livre relatant
des propos outrageants qu’il avait tenus lors de l’audience à l’égard du
procureur. A la suite d’une plainte du Ministre de la Justice, il fut condamné
pour diffamation. Il a alors introduit une requête devant la Cour EDH invoquant
la violation de l’article 10 de la Convention EDH. La Cour a constaté que la
juridiction française n’avait pas pris en compte l’absence de poursuites contre
le requérant au moment des faits, pour mettre en balance les intérêts
respectifs des parties. De plus, la Cour considère qu’il n’y a pas eu
d’approche raisonnable des faits par la juridiction française. Elle conclut
qu’il n’a pas été prouvé que l’ingérence dans l’exercice du droit de
l’intéressé à la liberté d’expression était nécessaire
dans une société démocratique et juge qu’il y a eu violation de l’article 10 de
la Convention EDH.
La Cour
européenne des droits de l’Homme a condamné la France, pour violation de
l’article 10 de la Convention EDH relatif à la liberté d’expression Au titre de
l’Article 41 : M. Roland Dumas ne demandait rien au titre du préjudice moral. 8
000 EUR pour dommage matériel, incluant le remboursement de l’amende qu’il
avait du payer à la suite de la décision en droit
interne).
(Roland Dumas / France, requête n°34875/07).
RESUME DE L’ARRET Roland Dumas
/ France, requête n°34875/07 :
En
fait – Le requérant est avocat et homme politique, ancien ministre et ancien
président du Conseil constitutionnel. De 1997 à 2003, il fut mis en cause en
marge d’une affaire qui mit au jour un réseau de corruption impliquant des
personnalités politiques et des grands patrons. En 2003, il fut relaxé des
chefs de complicité et recel d’abus de biens sociaux. Peu après, il publia un
livre relatant cet épisode judiciaire, notamment un incident d’audience survenu
en janvier 2001, au cours duquel il avait dit que pendant la guerre le
procureur aurait pu siéger dans les sections spéciales (tribunaux d’exception
mis en place sous l’occupation allemande). En 2006, dans le cadre d’une action
en diffamation suscitée par la parution de l’ouvrage, la cour d’appel,
infirmant le jugement de première instance, condamna l’intéressé et son éditeur
au paiement d’amendes et de dommages et intérêts pour diffamation envers un
magistrat. En 2007, la Cour de cassation rejeta le pourvoi formé par le
requérant.
En
droit – Article 10 : la condamnation du requérant s’analyse en une ingérence
dans son droit à la liberté d’expression ; elle était prévue par la loi et
avait pour but légitime de protéger la réputation et les droits d’autrui, en
l’occurrence du procureur. Etant donné que les passages litigieux du livre
concernent une affaire d’Etat très médiatisée, que le requérant s’exprime en
tant qu’ancien personnage politique et que l’ouvrage relève de l’expression
politique, l’article 10 exigeait un niveau élevé de protection du droit à la
liberté d’expression. De ce fait, les autorités avaient une marge d’appréciation
particulièrement restreinte pour juger de la nécessité de la mesure en cause.
Le choix d’examiner ensemble les passages litigieux a conduit la cour d’appel à
ne retenir, comme éléments constitutifs de la diffamation, que la mise à mal du
principe de loyauté judiciaire et l’accusation selon laquelle le procureur se
comportait comme un magistrat des sections spéciales. La juridiction d’appel a
occulté une partie de l’incrimination et s’est donc fondée sur un seul propos,
qu’elle n’a pas situé dans son contexte et, pour refuser au requérant le
bénéfice de la bonne foi, a renvoyé à des imputations pour lesquelles il
n’était pas poursuivi. Il est à craindre qu’une telle méthode d’analyse ne
permette pas d’identifier avec certitude les motifs du reproche ayant conduit à
la sanction pénale, ou tout au moins de comprendre en quoi ceux-ci faisaient
conclure à une diffamation. Par ailleurs, les propos tenus dans le livre et
jugés diffamatoires sont les mêmes que ceux prononcés par le requérant lors de
l’incident d’audience de janvier 2001. Or, à l’époque, aucune poursuite n’avait
été engagée contre l’intéressé, ce dont la cour d’appel aurait dû tenir compte.
En effet, le requérant n’a fait qu’user dans son livre de sa liberté de
relater, en tant qu’ancien prévenu, son propre procès. Et même s’il ne jouit
pas, comme un avocat de la défense, d’une grande latitude, au nom de l’égalité
des armes, pour formuler des critiques à l’égard d’un procureur, ce n’est pas
une raison suffisante pour ne pas condamner le contrôle exercé a posteriori de
propos formulés par lui dans le prétoire. Ne pas retenir le propos incriminé
comme une critique de l’état d’esprit prêté au procureur mais comme un fait
précis de nature à faire l’objet d’un débat contradictoire, demander de prouver
la vérité de cette imputation alors que le requérant a expliqué dans le livre
son emportement et le procédé intellectuel qui l’avait poussé à l’outrance, ne
paraît pas constituer une approche raisonnable des faits. Eu égard à ces
éléments et à la confusion entretenue par les juridictions nationales entre
l’incident d’audience de janvier 2001 et sa narration dans un livre publié
postérieurement, les motifs avancés à l’appui de la condamnation ne
convainquent pas la Cour que l’atteinte à la liberté d’expression du requérant
était nécessaire dans une société démocratique.
Conclusion
: violation (cinq voix contre deux).
L’analyse de Nicolas Hervieu
sur : Combat pour les droits de l’Homme :
Lors
de son procès en appel pour recel d'abus de biens sociaux (« l'affaire ELF »), Roland Dumas, ancien ministre
français des affaires étrangères et ancien président du Conseil
constitutionnel, avait protesté contre certaines questions du
procureur de la République et tint à cette occasion des propos virulents (notamment, tel que rapportés
dans le journal Le Monde, : « Le
jour où je vais m'occuper de certains magistrats, croyez moi ... » ;
« je me demande bien ce qu'il [le procureur] aurait
fait pendant la guerre, celui-là. Puis se répondant à lui-même, suggère qu'il
eût été "dans les sections spéciales" »). Cependant,
l'intéressé s'excusa à la reprise de l'audience et aucune poursuite ne fut
initiée, tant civiles et pénales que - en sa qualité d'avocat - disciplinaires.
Deux ans plus tard, et après avoir été relaxé de toutes les poursuites dirigées
contre lui dans l' « affaire
ELF », Roland Dumas publia un livre relatant
notamment cet épisode et
où il expliqua plus longuement ce qui l'avait amené à prononcer les propos
litigieux. Or, à la demande du procureur précité, l'auteur
fut alors poursuivi pour diffamation envers un magistrat et condamné en appel à une amende de 3 000
euros et au paiement de dommages-intérêts (v. la décision de
la Cour de cassation du 6 février 2007, N° 06-80804 ).
La Cour européenne des droits de l'homme a fait droit à la requête dirigée contre la France en jugeant que la condamnation pour diffamation constitue une ingérence au sein de l'article 10 (liberté d'expression), certes prévue par la loi et poursuivant des buts légitimes (§ 41), mais non nécessaire dans « une société démocratique » (§ 51). Pour parvenir à cette conclusion, les juges européens soulignent tout d'abord que le profil de l'affaire d'espèce exigeait « un niveau élevé de protection du droit à la liberté d'expression » car il s'agissait d'« une affaire d'État qui suscita un déferlement médiatique » et les propos litigieux « donnaient des informations intéressant l'opinion publique sur le fonctionnement du pouvoir judiciaire » (Sur les critiques d'un magistrat par un avocat, v. Cour EDH, 1e Sect. 11 février 2010, Alfantakis
c. Grèce , Req. n° 49330/07 - Actualités droits-libertés du 11 février 2010 et CPDH 15 février 2010). De façon peut être plus contestable car de manière extensive, la Cour estime aussi que ces propos relevaient « aussi de l'expression politique » puisque le requérant s'exprimait également « en tant qu'ancien personnage politique de la République française » (§ 43 - sur l'expression politique, v. par exemple Cour EDH, 5eSect. 22 avril 2010, Haguenauer c. France , Req. n° 34050/05 - Actualités droits-libertés du 26 avril 2010 et CPDH du 28 ; Cour EDH, 3e Sect. 20 avril 2010, Cârlan c. Roumanie , Req. n° 34828/02 - Actualités droits-libertés du 20 avril 2010 et CPDH du 22).AUTRES DECISIONS INTERESSANTES :
La Cour de
Paris vient de rappeler que si les personnes poursuivies pour diffamation
bénéficient d’un moyen d’échapper aux sanctions - l’exception de vérité prévue par l’article 35
de la loi du 29 juillet 1881 - pour produire
l’effet absolutoire prévu par l’article 35 alinéa 4 de la loi du 29 juillet
1881 modifiée, la preuve de la vérité des faits diffamatoires doit être parfaite, complète et corrélative aux
imputations tant dans leur matérialité que dans leur portée et dans leur
signification diffamatoire.
Les juges ont
considéré que les éléments apportés à l’appui de leurs prétentions n’avaient
soit pas de lien direct avec les faits qu’ils dénonçaient, soit une valeur
relative en ce qu’il s’agissait de tracts syndicaux. L’exception de vérité n’a
donc pas été retenue, à l’exception d’une imputation dont la véracité avait été
établie par des documents de l’inspection du travail.
Les prévenus
ont également invoqué leur bonne foi. Même espèce voir
ci-dessous.
Cour de
cassation 1ère chambre civile Arrêt du 27 juin 2006 Michèle D. Association SOS Sexisme / Jean Claude C.,
Carole L.
BORDEAUX