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FILIATION
M. X... avait assigné M. Y... en recherche de paternité et demandé, subsidiairement, l'organisation d'une expertise biologique . Pour débouter M. X..., l'arrêt frappé de pourvoi avait jugé que la demande tendant à voir ordonner une expertise biologique n'est recevable que s'il a été recueilli au préalable des indices ou présomptions de paternité, que M. X... n'a pas fourni de tels présomptions ou indices et que celui-ci ignorant l'adresse actuelle de M. Y..., sa demande apparaît vaine ;
L'Assemblée plénière juge que l'expertise biologique état de droit en matière de filiation, sauf s'il existe un motif légitime de ne pas y procéder, la cour d'appel a violé les articles 340 et 311-12 du code civil, dans leur rédaction applicable à l'espèce.
05-17.975, 06-10.039
Arrêt n° 562 du 23 novembre 2007
Cour de cassation - Assemblée plénière
NOTA F& C :
ETABLISSEMENT DE LA FILIATION BIOLOGIQUE
"En finir avec les
adminicules…"
Le "respect" de la "vie familiale"
exige que "la réalité biologique et sociale prévale sur une présomption
légale heurtant de front tant les faits établis que les vœux des personnes
concernées, sans réellement profiter à personne"(CEDH)
par
Bertrand FAVREAU
Ainsi que le suggérait M. Régis de Gouttes, premier
avocat général dans son avis : "à
la date où il a été rendu [9 avril 2004], la motivation de l'arrêt était conforme
à l'article 340 du code civil alors applicable, qui disposait :"La paternité hors mariage peut être
judiciairement déclarée. La preuve ne peut en être rapportée que s'il existe
des présomptions ou indices graves". Et il rappelait que , dès avant la
réforme de l'ordonnance du 4 juillet 2005, la Cour de cassation, dans des
arrêts de la première chambre civile des 28 mars 2000 et 12 mai 2004 , a décidé, au visa des articles 340 et 311-12
du code civil, que "l'expertise
biologique est de droit en matière de filiation, sauf s'il existe un motif
légitime de ne pas y procéder".
Un arrêt ultérieur de la première chambre civile du 14 juin 2005 devait confirmer cette
position en jugeant qu'encourt la cassation l'arrêt qui énonce que c'est à tort
que les premiers juges ont ordonné, dans une action en recherche de paternité,
un examen comparé des sangs, aucun indice grave ou présomption n'étant rapporté
en l'espèce, alors que l'expertise biologique est de droit en matière de
filiation sauf s'il existe un motif légitime de ne pas y procéder.
C'est donc cette
interprétation qui a été consacrée par le nouvel article 327 du code civil issu
de l'ordonnance n° 2005-759 du 4 juillet 2005 portant réforme de la filiation :
"La paternité hors mariage peut être
judiciairement déclarée. L'action en recherche de paternité est réservée à
l'enfant".
Et
comme le souligne M. Régis de Gouttes :
"Dans ce nouveau texte, l'exigence d'adminicules préalables disparaît
clairement." Au regard de l'état
actuel du droit, la motivation de
l'arrêt attaqué était donc inappropriée
ce que la cour d'appel a énoncé à tort que "la demande tendant à
voir ordonner une expertise biologique n'est recevable que s'il a été recueilli
au préalable les indices ou présomptions de paternité", alors qu'une telle
demande ne peut désormais être refusée que s'il existe un motif légitime de ne
pas ordonner d'expertise. Dont acte.
Il est regrettable que le pourvoi
ne se soit pas placé sous l'angle de
l’article 8 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme, ainsi
libellé :« 1. Toute personne a droit au respect
de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ", ce
qui en cas de dénouement malheureux devant la Cour régulatrice aurait facilité
la recevabilité ultérieure de la Cour européenne; La Cour de Strasbourg
a dit à maintes reprises que les procédures ayant trait à la paternité
tombent sous l’empire de l’article 8 (Mikulić
c. Croatie, arrêt du 7 février 2002
no 53176/99, CEDH 2002-I § 51 ou Mizzi c. Malte,
arrêt du 12 janvier 2006, n° 26111/02, CEDH 2006, § 104).
Le droit de connaître son
ascendance se trouve bien dans le champ d’application de la notion de
« vie privée », qui englobe des aspects importants de l’identité
personnelle dont l’identité des géniteurs fait partie (Odièvre
c. France [GC], arrêt du 13/02/2003,
no 42326/98, § 29, CEDH 2003-III, et Mikulić,
précité, § 53). La Cour a également dit dans les
affaires Mikulić et Jäggi qu'il n'y a
"aucune raison de principe de considérer la notion de « vie
privée » comme excluant l’établissement d’un lien juridique ou biologique
entre un enfant né hors mariage et son géniteur". (Mikulić,
précité ; Jäggi c. Suisse, n° 58757/00, CEDH 2006, §
25). Par conséquent, les faits de la cause tombaient sous l’empire de l’article
8 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme.
Si l’article 8 a essentiellement
pour objet de prémunir l’individu contre les ingérences arbitraires des
pouvoirs publics, on sait que des obligations positives inhérentes à un respect
effectif de la vie privée ou familiale s’ajoutent à cet engagement négatif . Elles peuvent impliquer l’adoption de mesures
visant au respect de la vie privée jusque dans les relations des individus
entre eux (voir Mikulić c. Croatie,
précité, § 57 ; Mizzi c. Malte, précité, § 105.)
Ce qui concerne l'action en
reconnaissance de paternité est transposable à toute action en contestation de
paternité dès lors qu'elle reposerait sur une volonté d'établir une filiation
biologique véritable.
En
termes de droits fondamentaux, le droit de contester une paternité juridique
lorsque celle-ci ne correspond pas à la réalité biologique est incontestable.
Ainsi la Cour a-t-elle pu condamner la Russie pour la brièveté du délai de
prescription de l'action qui entravait le droit fondamental d'un requérant (Chofman c. Russie,
arrêt du 24 novembre 2005), ou plus
encore condamner le fait pour un homme marié de ne pas pouvoir contester sa
paternité alors même qu'un test ADN démontre qu'il n'est pas le père de
l'enfant (Mizzi c. Malte , précité).
Conformément à sa jurisprudence
constante, la Cour de Strasbourg rappelle
qu'elle n'a point pour tâche de se substituer aux autorités nationales compétentes
pour trancher les litiges au niveau national mais d’examiner sous l’angle de la
Convention Européenne des Droits de l'Homme les décisions que ces autorités ont
rendues dans l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire (arrêts Mikulić, précité, § 59, Hokkanen c. Finlande, 23 septembre 1994,
série A no 299-A, p. 20, § 55 ).
En matière de paternité,
lorsqu'elle est saisie, elle s'efforce d'apprécier si l’Etat défendeur, en traitant l’action en
contestation de paternité du requérant, a agi en méconnaissance de son
obligation positive découlant de l’article 8 de la Convention Européenne des
Droits de l'Homme. (Mizzi c. Malte, précité, § 107). Dès
lors, force est d'admettre qu'un
requérant est fondé à se plaindre de toute entrave à son action et ce que
l'avocat général Régis de Gouttes appelle, avec un bonheur d'expression dont il
a le secret, des " adminicules préalables " ne constitue pas
le seul obstacle. Il existait d'autres entraves dans les articles
du code civil, dans la version en vigueur avant 2006, l’ont empêché de
former une demande ayant des chances d’être accueillie par les juridictions
nationales.
·
Le
délai de prescription pour engager la
procédure en contestation de paternité qui a empêche l’intéressé d’exercer une
action en désaveu de paternité, faute pour lui d’avoir pris conscience dans
l’année suivant la naissance de l’enfant qu’il pouvait ne pas être le père de
celui-ci, n’était pas proportionnée aux buts légitimes poursuivis. (Chofman c. Russie, 24 novembre 2005 n° 74826/01.)
Tel est le cas de l'affaire Paulik où était
en cause l'impossibilité pour un père de contester une paternité juridiquement
établie en présence d'une analyse ADN, prouvant qu’il n’était pas le père de la
personne en question parce que l'état de la législation du pays n'offrait pas
de procédure permettant de rendre la
situation juridique conforme à la réalité biologique. Dans un tel cas la CEDH
avait déjà conclu "que l’ordre juridique interne a manqué à garantir le
respect de la vie privée".
Au-delà
des présomptions légales, il convient que les législations internes tirent effectivement
toutes les conséquences de l'expertise biologique .
En effet, la Cour a déjà dit
qu'une situation dans laquelle une présomption légale peut prévaloir sur la
réalité biologique ne saurait être compatible avec l’obligation de garantir le
« respect » effectif de la vie privée et familiale, même eu égard à
la marge d’appréciation dont jouissent les Etats.
Aux yeux de la Cour, le
"respect" de la "vie familiale" exige que "la réalité
biologique et sociale prévale sur une présomption légale heurtant de front tant
les faits établis que les vœux des personnes concernées, sans réellement
profiter à personne", et cela même
eu égard à la marge d’appréciation dont
jouissent les Etats. (arrêt Kroon et autres,
précité, § 40).
La Cour a aussi constaté que cela
ne pouvait aboutir a empêcher la consécration du principe de la reconnaissance
de la réalité biologique que au regard des articles 8 et 14 de la
Convention (par exemple arrêt du 27
octobre 1994, Kroon et autres c. Pays-Bas, arrêt du
27 octobre 1994, série A n° 297-C,)
et cela même à propos de l'établissement de filiation réelle d'un enfant
mort-né ( Znamenskaya c. Russie n° 77785/01,
arrêt du 2 juin 2005, § 31 )
De même, dans son arrêt du 18 mai
2006 (Rozanski c. Pologne), la Cour a considéré que le fait pour un père
biologique d'avoir été empêché d'établir sa paternité constitue une violation
du droit au respect de la vie familiale au sens de l’article 8.
Il est plus important encore de
souligner que la Cour en a souligné le motif : les autorités avaient simplement
répété dans leurs décisions que le simple fait que l’enfant avait été
légalement reconnu par un autre homme suffisait pour justifier le rejet des
demandes du requérant tendant à la reconnaissance de sa paternité
biologique. (Rózanski c. Pologne, arrêt du 18 mai 2006, n° 55339/00, § 77.
Ce qui est valable pour le père
est valable pour l'enfant, car il s'agit d'une seule et même vérité. Ainsi que
la rappelé la Cour , l'expression « toute
personne » de l'article 8 de la Convention s'applique à l'enfant comme à
la mère.
D'un côté, il y a le droit à la
connaissance de ses origines qui trouve son fondement dans l'interprétation
extensive du champ d'application de la notion de vie privée. L'intérêt vital de
l'enfant dans son épanouissement est également largement reconnu dans
l'économie générale de la Convention (voir, parmi beaucoup d'autres, les arrêts
Johansen c. Norvège, 7 août 1996, Recueil
1996-III, p. 1008, § 78, Mikulić précité,
§ 64, ou Odièvre c. France [GC], arrêt du 13 février
2003 n° 42326/98,CEDH 2003-III § 44. ).
D'un autre côté, il existe sur un plan plus général le respect de la vie familiale qui "exige que la réalité biologique et
sociale prévale sur une présomption légale heurtant de front tant les faits
établis que les vœux des personnes concernées, sans réellement profiter à
personne", et cela " même eu égard à la marge d’appréciation dont ils
jouissent" .
(Kroon et autres c. Pays-Bas, arrêt du 27
octobre 1994, série A n° 297-C, §§ 31, 40 ).
Dès
lors, il appartient au système juridique de l'Etat concerné de prévoir des
mesures effectives permettant d'obvier au défaut de consentement de
l'intéressé.
Dans l'affaire Mikulic, la Cour a considéré qu'"un système qui ne prévoit aucun moyen d’obliger le père
allégué de se conformer à une ordonnance de justice lui intimant de se
soumettre à des tests ADN, peut en principe être considéré comme compatible
avec l’article 8, même en tenant compte
de la marge de l'appréciation dont ils jouissent". (Mikulić, précité, § 7.2.2002 § 64). Mais , dans l'affaire Mikulić, où elle a constaté une violation de
l'article 8, la Cour avait relevé que le
droit interne ne prévoyait aucune mesure permettant de contraindre le père à se
conformer aux ordonnances du tribunal lui intimant de se soumettre à des tests
ADN. Il ne comportait en outre aucune disposition régissant les conséquences du
refus de l’intéressé.
Si la Cour a toujours mis en exergue la "nécessité de protéger les
tiers", cette réserve n'a pas à intervenir en l'espèce. En effet, dans
l'affaire Mikulić, comme en l'espèce, le tribunal de première instance avait omis,
pour résoudre la question de paternité en l’espèce, d’apprécier d’autres
éléments pertinents. (Mikulić, précité, §
61). Dans
l’affaire Jäggi c. Suisse, la Cour a considéré
que les personnes essayant d’établir leur ascendance ont "un intérêt vital, protégé par la Convention Européenne des Droits
de l'Homme, à obtenir les informations qui leur sont indispensables pour
découvrir la vérité sur un aspect important de leur identité personnelle".
Pour
examiner si la nécessité de protéger les tiers peut exclure la possibilité de contraindre
ceux-ci à se soumettre à quelque analyse médicale que ce soit, notamment à des
tests ADN, la Cour a donc mis en balance
les intérêts en présence, à savoir le droit du requérant à connaître son
ascendance et le droit des tiers à l’intangibilité du corps du défunt, le droit
au respect des morts ainsi que l’intérêt public à la protection de la sécurité
juridique.
Elle
a estimé que l’intérêt que peut avoir un individu à connaître son ascendance ne
cesse nullement avec l’âge, bien au contraire et que pour s’opposer au
prélèvement ADN, qualifié par la Cour de " mesure relativement peu intrusive",
la famille n’avait invoqué aucun motif d’ordre religieux ou philosophique.
Enfin , à propos du prélèvement
de l’ADN d'un défunt dont doit être prélevé qui pas définition ne saurait y
consentir, la Cour a également posé le principe selon lequel " la protection de la sécurité juridique ne
saurait à elle seule suffire comme argument pour priver le requérant du droit
de connaître son ascendance".
En
vertu de la jurisprudence de la Cour, une situation faisant prévaloir une
présomption légale sur une réalité biologique et sociale, sans tenir compte de
celle-ci et des souhaits des personnes concernées et sans que la décision ait
réellement profité à quiconque, n’était pas compatible, eu égard même à la
marge d’appréciation dont l’Etat défendeur jouissait en la matière, avec
l’obligation de garantir à la requérante un « respect » effectif de
sa vie privée et familiale.
En l'occurrence il s'agit d'une
motivation que la Cour a déjà été amenée à déclarer non pertinente dès lors que
les " autorités ont simplement répété dans leurs décisions que le simple
fait que l’enfant avait été légalement reconnu par un autre homme suffisait
pour justifier le rejet des demandes du requérant tendant à la reconnaissance
de sa paternité biologique". (Rózanski c. Pologne,
arrêt du 18 mai 2006, n° 55339/00, § 77).
D'une façon plus générale, la Cour a
constaté dans l'affaire Mikulic c. Croatie, que la
procédure existante n'a pas ménagé " un juste équilibre entre le droit de
la requérante de voir dissiper sans retard inutile son incertitude quant à son
identité personnelle et le droit de son père présumé de ne pas subir de tests ADN " et que "
l'inefficacité des tribunaux a maintenu la requérante dans un état
d'incertitude prolongée quant à son identité personnelle". (Mikulic c. Croatie, précité, §§ 65-66).
Il n'est pas certain à ce jour
que la législation française et la pratique des juridictions ait totalement
achevé son aggiornamento pour
permettre sans entrave l'établissement de la filiation biologique, ce qui n'est
qu'une élémentaire manifestation ou reconnaissance de la vérité
consubstantielle à la justice.
Bertrand FAVREAU
Avocat à la Cour
Toute
situation personnelle est une situation particulière. Un seul élément de fait
peut faire varier la solution du litige éventuel.