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• Voir aussi : F&C - DEPARTEMENT
DROITS FONDAMENTAUX
Voir aussi : CEDH - LIBERTE D'EXPRESSION
· Voir aussi : CEDH - LIBERTE
D'ASSOCIATION
· Voir aussi : CEDH - PROCES
EQUITABLE
· Voir aussi : CEDH
– PROCEDURE PENALE
· Voir aussi : CEDH –
NON-DISCRIMINATION
· Voir aussi : CEDH - DROIT DE PROPRIETE - RESPECT DES BIENS
droit au respect de la vie privee
DROIT AU RESPECT DE LA VIE FAMILIALE
Jurisprudence F& C * (* affaire traitée par notre
cabinet)
Pascaud c. France
arrêt du 16 juin
2011&
arrêt du 6 novembre
2012
La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section),
siégeait en une chambre composée de :
Dean Spielmann, président,
Elisabet Fura,
Jean-Paul Costa,
Karel Jungwiert,
Mark Villiger,
Isabelle Berro-Lefèvre,
Ann Power, juges,
et de
Claudia Westerdiek, greffière de section,
A
l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 19535/08)
dirigée contre la République française et dont un ressortissant de cet Etat,
M. Christian Pascaud (« le
requérant »), a saisi la Cour le 15 avril 2008 en vertu de l’article 34 de
la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales
(« la Convention »).
Le
requérant est représenté par Me B. Favreau, avocat à Bordeaux. Le
gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par son
agent, Mme E. Belliard, directrice des affaires juridiques au
ministère des Affaires étrangères.
Lire :
L’arrêt
sur le fond du 16 juin 2011.
L’affaire concernait l’impossibilité pour
M. Pascaud de faire établir en justice sa véritable
filiation envers son père biologique. Ce dernier, décédé en 2002, était propriétaire d’un domaine viticole
finalement légué à la commune de Saint-Emilion. Dans son arrêt de chambre rendu
le 16 juin 2011, la Cour avait conclu à l’unanimité à la violation de l’article
8 (droit au respect de la vie privée et familiale).
Par arrêt du 16 juin 2011, la cour a jugé
qu' il n’avait pas été ménagé un juste équilibre entre
les intérêts en présence et le requérant avait subi une atteinte injustifiée à
son droit au respect de sa vie privée (§ 68), à savoir le droit à l’identité
dont le droit à connaître et faire reconnaître son ascendance fait partie (§§
59-60)
L a Cour
a jugé que l’article 8 avait été violé en raison du refus de reconnaître
judiciairement la filiation du requérant à l’égard de son père biologique (.
Elle a notamment jugé que la mesure de sauvegarde de justice ne privait
nullement le père biologique, W.A., du droit de consentir personnellement à un
prélèvement ADN, qu’il avait par ailleurs exprimé auprès des autorités la
volonté de reconnaître le requérant et que ni la réalisation ni la fiabilité de
l’expertise génétique qui concluait à une probabilité de paternité de 99,999 %
de W.A. sur le requérant n’avaient jamais été contestées devant les
juridictions internes (ibidem, § 66).
Elle
a exprimé ses difficultés à admettre que les juridictions nationales aient
laissé des contraintes juridiques l’emporter sur la réalité biologique en se
fondant sur l’absence de consentement de W.A., alors même que les résultats de
l’expertise ADN constituaient une preuve déterminante de l’allégation du
requérant.
Lire :
L’arrêt
fixant le préjudice matériel du 8 novembre 2012
La France a été condamnée à payer le 8
novembre 2012 la somme de 2.750.000 euros
.
SCHLUMPF
c. SUISSE
9.1.2009
violation de l’article 6 § 1
violation
de l’article 8
L’affaire
porte sur la décision de l’assurance maladie de la requérante de ne pas prendre
en charge les coûts de son opération de changement de sexe, en raison du non respect d’un délai de deux ans avant l’opération,
période d’observation établie par la jurisprudence du Tribunal fédéral des
assurances comme condition pour la prise en charge des frais relatifs aux
opérations de conversion sexuelle.
La
requérante dit que la souffrance psychologique liée à ses problèmes
d’identité sexuelle remonte à l’enfance et l’a conduite à des crises
suicidaires répétées. Elle affirme avoir assumé malgré tout, et en dépit de sa
certitude vers 40 ans d’être transsexuelle, son rôle de père et de mari jusqu’à
la majorité de ses enfants et le décès de son épouse d’un cancer en 2002.
La requérante
décida en 2002 d’effectuer sa conversion sexuelle et vécut dès lors sa vie
quotidienne en tant que femme. Elle commença une thérapie hormonale et des
traitements psychothérapeutique et endocrinologique
en 2003.
Une
expertise médicale d’octobre 2004 confirma le diagnostic de transsexualisme
« homme-femme », et que les conditions pour une opération de
conversion sexuelle étaient réunies.
En
novembre 2004, la requérante demanda à la SWICA, sa compagnie
d’assurance-maladie, une prise en charge des dépenses liées à l’opération de
conversion sexuelle, et fournit l’expertise médicale. Le 29 novembre 2004, la
SWICA refusa le remboursement des frais, constatant que, selon la jurisprudence
du Tribunal fédéral des assurances, les frais d’une opération de conversion
sexuelle relèvent des prestations obligatoires de l’assurance-maladie seulement
dans les cas de « véritable transsexualisme », qui, selon cette
jurisprudence, ne peut être établi qu’après un délai d’observation de deux ans.
Le
30 novembre 2004, la requérante se fit malgré tout opérer avec succès.
Mi-décembre 2004, elle fit une nouvelle demande à la SWICA qui refusa,
confirmant son préavis négatif.
Fin
janvier 2005, la requérante fit opposition en vain contre cette décision. Elle
tenta de démontrer que l’état actuel de la médecine permettait de diagnostiquer
les véritables cas de transsexualisme avant même l’expiration du délai de deux
ans. Elle proposa également que le médecin-chef de la policlinique
psychiatrique de Zurich soit sollicité dans le cadre d’une instruction
complémentaire.
Le
14 février 2005, la modification de l’identité sexuelle de la requérante
sur le plan civil fut reconnue, sous le prénom de Nadine.
Début
avril 2005, la requérante introduisit un recours auprès du tribunal cantonal
des assurances et demanda une audience publique. Le tribunal cantonal des
assurances l’ayant informée de la possibilité d’un renvoi à l’assurance-maladie
pour complément d’instruction, la requérante retira cette demande dans
l’hypothèse d’un tel renvoi. Cependant, elle indiqua que ce retrait ne
s’appliquerait pas à une procédure éventuelle devant le Tribunal fédéral des
assurances ou devant la Cour
.
En
juin 2005, sans avoir tenu d’audience, le tribunal cantonal des assurances
annula la décision de l’assurance-maladie refusant la prise en charge des frais
de l’opération de conversion sexuelle et lui renvoya l’affaire en vue
d’investigations supplémentaires et d’une nouvelle décision.
En
juillet 2005, la SWICA introduisit un recours auprès du Tribunal fédéral des
assurances, faisant valoir que le tribunal cantonal des assurances s’était
écarté de la jurisprudence du Tribunal fédéral sur la question des frais ne
devant être pris en charge qu’après un délai de deux ans et que, en outre,
l’existence d’une maladie n’était pas établie.
En
septembre 2005, la requérante demanda explicitement au Tribunal fédéral des
assurances une audience publique et l’audition d’experts pour répondre aux
questions relatives au traitement du transsexualisme. Sa demande fut rejetée,
le Tribunal fédéral estimant notamment que les problèmes concernés étaient de
nature juridique et qu’une audience publique n’était donc pas nécessaire. Le
Tribunal réaffirma par ailleurs la pertinence du délai d’observation de deux
ans. Il nota que malgré les prises de position d’experts pendant la procédure,
et l’état de la médecine contemporaine, la retenue s’imposait, étant donné
notamment l’irréversibilité de l’opération et la nécessité d’éviter des
opérations injustifiées.
Le
Tribunal fédéral des assurances constata qu’au moment de l’opération le suivi
psychiatrique datait de moins de deux ans et en conclut que l’assurance-maladie
avait eu raison de refuser le remboursement des coûts de l’opération.
Invoquant
l’article 6 § 1 (droit à un procès équitable), la requérante se plaignait d’une
atteinte à son droit d’être entendue équitablement ainsi qu’au droit à des
débats publics. Elle alléguait par ailleurs que le juste équilibre entre les
intérêts de son assurance-maladie et ses propres intérêts n’avait pas été
garanti, ce qui constituait une violation de l’article 8 (droit au respect de
la vie privée).
Décision de la Cour
Article 6 § 1
La
Cour considère qu’il était disproportionné de ne pas admettre des opinions d’experts,
d’autant plus que l’existence d’une maladie n’était pas contestée. En refusant
à la requérante de telles preuves, sur la base d’une règle abstraite dont
l’origine remonte à deux de ses décisions de 1988, le Tribunal fédéral des
assurances s’est substitué au corps médical, alors que la Cour avait déjà
précisé par le passé que la détermination de la nécessité de mesures de
conversion sexuelle n’est pas une affaire d’appréciation juridique.
La
Cour conclut que le droit de la requérante à un procès équitable devant le
Tribunal fédéral des assurances n’a pas été respecté, en violation de l’article
6 § 1.
La
Cour rappelle que la publicité des débats judiciaires est un principe
fondamental de toute société démocratique et souligne le droit du justiciable
d’être entendu publiquement devant au moins une instance. Pour la Cour, en ce
qui concerne le grief tiré du droit d’être entendue publiquement, on ne peut
pas considérer que la requérante a renoncé à l’audience publique devant le
Tribunal fédéral.
La
Cour souligne qu’étant donné le caractère non exclusivement juridique ou
technique de la question de la conversion sexuelle, et les divergences
d’opinions des parties sur le délai d’observation, une audience publique était
nécessaire.
Par
conséquent, la Cour estime que le droit de la requérante d’être entendue
publiquement n’a pas été respecté, en méconnaissance de l’article 6 § 1.
Article 8
Le
Gouvernement suisse soutient qu’afin de limiter les coûts de l’assurance
maladie pour le bien commun, il est nécessaire de poser des limites aux
prestations remboursables. La requérante affirme que son âge justifiait une
exception et note qu’elle n’a appris l’existence du délai de deux ans qu’après
son opération.
La
Cour considère que le délai de deux ans, en particulier à l’âge de 67 ans de la
requérante, était susceptible d’influencer sa décision de se faire opérer,
mettant en cause sa liberté de définir son appartenance sexuelle.
La
Cour souligne que la Convention garantit le droit à l’épanouissement personnel
et rappelle que la notion de « vie privée » peut englober des aspects
de l’identité sexuelle. Elle note l’importance particulière que revêtent les
questions touchant à l’un des aspects les plus intimes de la vie privée, soit
la définition sexuelle d’une personne, dans la mise en balance de l’intérêt
général et de celui de l’individu.
La
Cour estime que le respect de la vie privée de la requérante aurait exigé la
prise en compte des réalités médicale, biologique et psychologique, exprimées
sans équivoque par l’avis des experts médicaux, pour éviter une application
mécanique du délai de deux ans. La Cour en conclut que, eu égard à la situation
très particulière de la requérante, et compte tenu de la latitude dont l’Etat
défendeur bénéficiait s’agissant d’une question touchant à l’un des aspects les
plus intimes de la vie privée, un juste équilibre n’a pas été ménagé entre les
intérêts de la compagnie d’assurance et les intérêts de la requérante.
La
Cour conclut donc à la violation de l’article 8.
Schlumpf c. Suisse (requête no 29002/06)08/01/2009
Violation de l'art. 6-1 (procès équitable) ; Violation de l'art.
6-1 (procès public) ; Violation de l'art. 8 ; Préjudice moral - réparation
Opinions Séparées Vajić et Jebens
Droit en Cause Articles 25 et 32 de la loi sur l’assurance-maladie
; Article 112 de la loi fédérale d’organisation judiciaire
Jurisprudence de Strasbourg Airey c.
Irlande, arrêt du 9 octobre 1979, série A n° 32, pp. 14 et suiv.,
§ 26 ; Artico c. Italie, arrêt du 13 mai 1980, série
A n° 37, p. 16, § 33 ; B. c. France, 25 mars 1992, série A n° 232-C, p. 47, §
44, pp. 53 et suiv., § 63 ; Botta c. Italie, 24
février 1998, Recueil 1998-I, p. 422, § 33 ; Bottazzi
c. Italie [GC], n° 34884/97, § 30, CEDH 1999-V ; Buchberger
c. Autriche, n° 32899/96, § 49, 20 décembre 2001 ; Bulut
c. Autriche, 22 février 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-II, pp.
355-356, § 29 ; Burghartz c. Suisse, 22 février 1994,
série A n° 280-B, p. 28, § 24, p. 37, § 47 ; Christine Goodwin
c. Royaume-Uni [GC], n° 28957/95, § 76 et § 90, CEDH 2002-VI ; Cossey c. Royaume-Uni, arrêt du 27 septembre 1990, série A
n° 184, p. 15, § 37 ; Diennet c. France, arrêt du 26
septembre 1995, série A n° 325-A, pp. 14-15, § 33 ; Döry
c. Suède, n° 28394/95, §§ 37, 39 et 41, 12 novembre 2002 ; Dudgeon c.
Royaume-Uni, 22 octobre 1981, série A n° 45, pp. 18-19, § 41 ; Elsholz c. Allemagne [GC], n° 25735/94, § 66, CEDH
2000-VIII ; Emonet et autres c. Suisse, n° 39051/03,
§ 77, CEDH 2007 ; Fischer c. Autriche, arrêt du 26 avril 1995, série A n° 312,
pp. 20-21, § 44 ; Fredin c. Suède (n° 2), arrêt du 23
février 1994, série A n° 283-A, pp. 10-11, §§ 21-22 ; Friedl
c. Autriche, arrêt du 31 janvier 1995, série A n° 305-B, avis de la Commission,
p. 20, § 45 ; Gautrin et autres c. France, arrêt du
20 mai 1998, Recueil 1998-III, pp. 1023-1024, § 42 ; Grant c. Royaume-Uni, n°
32570/03, CEDH 2006 ; Håkansson et Sturesson c. Suède, arrêt du 21 février 1990, série A n°
171-A, p. 20, § 66 ; Helmers c. Suède, arrêt du 29
octobre 1991, série A n° 212-A, p. 16, § 36 ; Hurter c. Suisse, n° 53146/99, §
26, 15 décembre 2005 ; I. c. Royaume-Uni [GC], n° 25680/94, § 70, 11 juillet
2002 ; Keegan c. Irlande, 26 mai 1994, série A n°
290, p. 19, § 49 ; L. c. Lituanie, n° 27527/03, §§ 56-60, CEDH 2007 ; Laskey, Jaggard et Brown c.
Royaume-Uni, 19 février 1997, Recueil 1997-I, p. 131, § 36 ; Linnekogel c. Suisse, n° 43874/98, § 49, 1 mars 2005 ; Luginbühl c. Suisse (déc.), n° 42756/02, 17 janvier 2006 ; Lundevall c. Suède, n° 38629/97, § 34 et § 36, 12 novembre
2002 ; Mamatkoulov et Askarov
c. Turquie [GC], nos. 46827/99 et 46951/99, § 121, CEDH 2005-I ; Mantovanelli c. France, 18 mars 1997, Recueil 1997-II, pp.
436-437, § 34 ; Marckx c. Belgique, arrêt du 13 juin
1979, série A n° 31, p. 19, § 41 ; McMichael c.
Royaume-Uni, 24 février 1995, série A n° 307-B, p. 57, § 91 ; Mikulic c. Croatie, n° 53176/99, § 53 et § 57, CEDH 2002-I
; P., C. et S. c. Royaume-Uni, n° 56547/00, § 120, CEDH 2002-VI ; Pretty c. Royaume-Uni, n° 2346/02, § 61, CEDH 2002-III ; Ravnsborg c. Suède, 23 mars 1994, série A n° 283-B, pp.
29-30, § 33 ; Rees c. Royaume-Uni, arrêt du 17 octobre 1986, série A n° 106 ; Salomonsson c. Suède, n° 38978/97, § 34, 12 novembre 2002 ;
Schuler-Zgraggen c. Suisse, arrêt du 24 juin 1993, série A n° 263, pp. 19-20, §
58 ; Sheffield et Horsham c. Royaume-Uni, arrêt du 30 juillet 1998, Recueil
1998-V, p. 2026, § 52 ; Smith et Grady c.
Royaume-Uni, nos. 33985/96 et 33986/96, § 71, CEDH 1999-VI ; Tejedor García c. Espagne, 16 décembre 1997, Recueil
1997-VIII, p. 2796, § 31 ; Tyrer c. Royaume-Uni,
arrêt du 25 avril 1978, série A n° 26, p. 15, § 31 ; Van de Hurk
c. Pays-Bas, arrêt du 19 avril 1994, série A n° 288, p. 19, § 59 ; Van Kück c. Allemagne, n° 35968/97, §§ 54-56, CEDH 2003-VII ;
Vo c. France [GC], n° 53924/00, § 82, CEDH 2004-VIII ; X et Y c. Pays-Bas,
arrêt du 26 mars 1985, série A n° 91, p. 11, § 22 et § 23 ; X, Y et Z c.
Royaume-Uni, arrêt du 22 avril 1997,
Recueil 1997-II ; Zimmermann et Steiner c. Suisse, arrêt du 13 juillet 1983,
série A n° 66, p. 14, § 36.
Un retour en Israël, s’il comporte des
désagréments, s’avère dans l’intérêt supérieur de l’enfant, en lui permettant
d’entretenir des contacts réguliers avec ses deux parents. la mère détenant
l’autorité parentale conjointement avec le père il n'y a pas d'impossibilité
pour elle d’influencer l’éducation religieuse de son fils
NEULINGER ET SHURUK c. SUISSE
8.1.2009
non-violation de l’article 8
L’affaire
portait sur le retour en Israël de l’enfant enlevé par sa mère partie s’installer
en Suisse.
Devant
les craintes de la mère d’un enlèvement de l’enfant par son père dans une
communauté « Loubavitch-Habad », le tribunal des
affaires familiales de Tel Aviv prononça en 2004 une interdiction de sortie du
territoire israélien pour Noam jusqu’à sa majorité.
La garde provisoire de l’enfant fut attribuée à la requérante, et l’autorité
parentale confiée conjointement aux deux parents. Le droit de visite du père
fut ultérieurement restreint en raison de la nature menaçante de son comportement.
Le divorce des époux fut prononcé, et la requérante quitta clandestinement Israël
pour la Suisse avec son fils.
Dans
une décision rendue sur requête du père de l’enfant, le tribunal des affaires
familiales de la région de Tel Aviv constata que l’enfant avait sa résidence
habituelle à Tel Aviv et que les parents détenaient conjointement l’autorité
parentale sur leur fils. Le tribunal conclut que le déplacement de l’enfant
hors du territoire israélien sans l’accord du père constituait un acte illicite
au sens de l’article 3 de la Convention de La Haye sur les aspects civils de
l’enlèvement international d’enfants du 25 octobre 1980.
A la
suite à la requête d’extrême urgence du père, la Justice de paix du district de
Lausanne ordonna à la requérante de remettre immédiatement au greffe de la
Justice de paix son passeport et celui de son fils.
La requête du père en vue de voir ordonner le
retour de son fils en Israël fut rejetée par la Justice de paix du district de
Lausanne au motif qu’il existait un risque grave pour Noam
d’être exposé à un danger psychique ou physique ou à une situation intolérable
en cas de retour en Israël.
Le tribunal du canton de Vaud, rejetant le
recours du père, confirma qu’il s’agissait d’un cas d’exception au principe du
retour immédiat de l’enfant, conformément à l’article 13 alinéa premier, lettre
b) de la Convention de La Haye.
Le Tribunal fédéral admit le recours du père
qui invoquait une mauvaise application de cet article, et ordonna à la
requérante d’assurer le retour de l’enfant en Israël.
Les
requérants invoquaient notamment l’article 8 de la Convention, considérant que
le retour de l’enfant en Israël constituerait
une ingérence injustifiée, dans une société démocratique, dans l’exercice de
leur droit au respect de la vie familiale.
Le 27
septembre 2007, le président de la chambre avait décidé d’indiquer au Gouvernement de ne pas
procéder au retour de Noam Shuruk.
Article 8
La
Cour estime que le déplacement de l’enfant en Suisse est illicite, dans la
mesure où le père détenait conjointement avec la mère l’autorité parentale qui
comprend, dans le cadre juridique israélien, le droit de déterminer la
résidence de l’enfant. De plus, le déplacement de Noam
à l’étranger rend illusoire, en pratique, le droit de visite accordé à son père
résidant en Israël. La Cour note par ailleurs que le retour de Noam ordonné par le Tribunal fédéral constitue une
ingérence dans l’exercice du droit au respect de la vie privée et familiale au
sens de l’article 8 de la Convention européenne. Elle relève que cette
ingérence est fondée sur les dispositions de la Convention de La Haye, dans le
but de protéger les droits et libertés de Noam et de
son père.
Alors
que les requérants soutiennent que le comportement menaçant et fanatique du
père constitue un danger pour eux en cas de retour en Israël, la Cour estime
que les autorités israéliennes ont démontré leur volonté d’agir pour la
protection des requérants à travers l’ordre donné aux parents de vivre
séparément, l’interdiction faite au père de pénétrer dans l’école de Noam ou dans l’appartement de la requérante, les
restrictions faites à son droit de visite, et le mandat d’arrêt contre lui pour
non versement de pension alimentaire.
Les
risques d’incarcération invoqués par Madame Neulinger
à son égard en cas de retour en Israël ne sont, selon la Cour, pas avérés et la
Cour ne voit pas de raison de douter des assurances données par les autorités
israéliennes, à l’aune notamment de leur attitude passée à l’égard des
requérants.
Madame
Neulinger n’invoque par ailleurs pas d’autres
obstacles à sa vie en Israël, où elle avait décidé de s’établir en 1999, et où
elle possède un réseau social. Elle travaillait également pour la société
multinationale qui l’emploie actuellement à Lausanne et pourrait donc
raisonnablement regagner Israël.
Par
conséquent, la Cour affirme qu’un retour en Israël, s’il comporte des
désagréments, s’avère dans l’intérêt supérieur de l’enfant, en lui permettant
d’entretenir des contacts réguliers avec ses deux parents. Elle ne considère
pas, comme les requérants, qu’il y aurait impossibilité pour la mère
d’influencer l’éducation religieuse de son fils, la requérante détenant
l’autorité parentale conjointement avec le père.
La
Cour estime donc que la décision de retour prononcée par le Tribunal fédéral se
fondait sur des motifs pertinents et suffisants aux fins du paragraphe 2 de
l’article 8 de la Convention européenne, lu à la lumière de l’article 13,
alinéa premier, lettre b) de la Convention de La Haye, et qu’elle était proportionnée
au but légitime recherché. Comme dans l’affaire Maumousseau et Washington c. France de
2007, la Cour estime qu’un juste équilibre des intérêts concurrents a été
ménagé, et que l’intérêt supérieur de l’enfant a été pris en compte.
La
Cour ne relève par ailleurs pas de manquement de la part de la Suisse
s’agissant des mesures accompagnant le retour de Noam
en Israël. La Cour conclut à la non-violation de l’article 8.
Neulinger et Shuruk c. Suisse no
41615/07 .08/01/2009 Partiellement irrecevable ; Non-violation de l'art. 8 Opinions Séparées : Les juges Kovler, Steiner and Spielmann.
Jurisprudence
: Artico c. Italie, 13 mai 1980, série A
no 37, § 33 ; B. c. Royaume-Uni, 8 juillet 1987, série A no 121-B, §§ 63-65 et
68 ; Bianchi c. Suisse, no 7548/04, §§ 76-85, 112 et 113, 22 juin 2006 ; Eskinazi et Chelouche c. Turquie
(déc.), no 14600/05, CEDH 2005-XIII (extraits) ; Gnahoré
c. France, no 40031/98, CEDH 2000 IX ; Golder c.
Royaume-Uni, 21 février 1975, série A no 18, § 36 et §§ 41-45 ; Guichard c.
France (déc.), no 56838/00, CEDH 2003-X ; Iglesias
Gil et A.U.I. c. Espagne, no 56673/00, §§ 48-52, CEDH 2003-V ; Ignaccolo-Zenide c. Roumanie, no 31679/96, §§ 94-96, CEDH 2000-I ; Karadžic c. Croatie, no 35030/04, §§ 51-54, 15 décembre
2005 ; Maire c. Portugal, no 48206/99, § 68, CEDH 2003-VII ; Maumousseau et Washington c. France, no 39388/05, §§ 58-83,
CEDH 2007 ; McMichael c. Royaume-Uni, 24 février
1995, série A no 307-B, § 91 ; Monory c. Roumanie et Hongrie, no 71099/01, §§
69-85, 5 avril 2005 ; O. c. Royaume-Uni, 8 juillet 1987, série A no 120-A, §§
65-67 ; Paradis c. Allemagne, (déc.), no 4783/03, 15 mai 2003 ; Sylvester c.
Autriche, nos 36812/97 et 40104/98, §§ 55-60, 24 avril 2003 ; Tiemann c. France et Allemagne (déc.), nos 47457/99 et
47458/99, CEDH 2000-IV
Sources Externes Articles 3
alinéa premier lettre a), 5 lettre a), 4 alinéa premier et 13 alinéa premier
lettre b) de la Convention de La Haye sur les aspects civils de l'enlèvement
international d’enfants du 25 octobre 1980, entrée en vigueur pour la Suisse le
1er janvier 1984 ; Articles 7, 9, 14 § 1 et 18 de la Convention relative aux
droits de l’enfant du 20 novembre 1989, entrée en vigueur pour la Suisse le 26
mars 1997 ; Recommandation no 874 (1979) de l'Assemblée parlementaire du Conseil
de l'Europe
Dans
un litige qui touche au lien familial et a des conséquences d’une extrême
importance, l’État avait l’obligation de s’assurer que le consentement donné
par la requérante à l’abandon de ses enfants était éclairé et entouré de
garanties adéquates
TODOROVA
c. ITALIE
13.01.2009
violation de
l’article 8
Une
ressortissante bulgare résidant à Bari
ayant demandé l’anonymat, ne reconnut
pas les jumeaux auxquels elle donné
naissance, en 2005. Toutefois, elle
exprima le souhait d’obtenir un délai de réflexion avant de prendre une
décision quant à la reconnaissance de ses enfants. Le
parquet ayant demandé au
tribunal pour enfants de Bari un
placement urgent des enfants auprès d’un centre d’accueil, elle dit
également vouloir être reçue par le tribunal pour enfants.
Néanmoins,
le tribunal déclara les jumeaux adoptables et les plaça à titre provisoire
dans une famille, en vue de leur
adoption.
En 2006, elle
demanda à pouvoir reconnaître les
jumeaux, mais le tribunal répondit que la
reconnaissance d’un enfant déclaré adoptable et placé en vue de son adoption
était irrecevable.
La
requérante invoquait notamment l’article 8 (droit au respect de la vie privée
et familiale) concernant la décision de déclarer ses jumeaux, qu’elle n’avait
pas reconnus, adoptables 27 jours après leur naissance. Elle dénonçait cette
décision prise, selon elle, hâtivement par le tribunal pour enfants, sans
qu’elle ait été préalablement entendue.
Article
8
La
Cour note que les autorités italiennes ont pris toutes les mesures nécessaires
pour protéger les jumeaux et se sont appliquées de bonne foi à préserver leur
bien-être. Les enfants ont en effet été placés en centre d’accueil, un tuteur
provisoire a été nommé et une procédure d’adoptabilité ouverte.
La
Cour observe que dans ce type d’affaire complexe, où les différents intérêts en
présence, ceux de la mère biologique, des enfants, de la famille d’adoption, et
l’intérêt général, sont difficilement conciliables, c’est l’intérêt supérieur
de l’enfant qui doit primer. Elle souligne que, dans ce contexte, le respect
des obligations procédurales découlant de l’article 8 est particulièrement
important.
S’il
était souhaitable de statuer rapidement sur l’avenir des enfants, la Cour
estime néanmoins que la déclaration d’adoptabilité prise 27 jours après leur
naissance, sans avoir entendu la mère, représentait une mesure radicale. Elle
note que Mme Todorova avait demandé à être entendue,
ayant commencé à douter de son choix d’abandon. La Cour considère donc que la
procédure suivie a empêché la requérante de protéger son droit à mener une vie
privée et familiale. La Cour souligne que ce type de litige touche au lien
familial et a des conséquences d’une extrême importance. L’État italien a
méconnu l’obligation de s’assurer que le consentement donné par la requérante à
l’abandon de ses enfants était éclairé et entouré de garanties adéquates, en
violation de l’article 8.
Todorova c.
Italie no 33932/0613/01/2009 Applicabilité Article 8 Exception préliminaire jointe au fond et
rejetée ( non-épuisement des voies de recours internes
) ; Violation de l'art. 8 ; Préjudice moral - réparation Droit en Cause Articles 17 et 21 de la loi n° 184 du 4 mai
1983 Jurisprudence : Abdulaziz, Cabales et Balkandali c. Royaume-Uni, 28 mai 1985, § 62, série A no 94
; Akdivar et autres c. Turquie, 16 septembre 1996, §
67, Recueil 1996-IV ; Andronicou et Constantinou c. Chypre, 9 octobre 1997, § 159, Recueil
1997-VI ; Berrehab c. Pays-Bas, 21 juin 1988, § 21,
série A no 138 ; Cardot c. France, 19 mars 1991, § 34
série A no 200 ; Elsholz c. Allemagne [GC], no
25735/94, §§ 70-71, CEDH 2000-VIII ; Estrikh c.
Lettonie, no 73819/01, § 93, 18 janvier 2007 ; Evans c. Royaume-Uni [GC], no
6339/05, §§ 75-81, 10 avril 2007 ; Gül c. Suisse, 19
février 1996, § 32, Recueil 1996-I ; Havelka et
autres c. République tchèque, no 23499/06, §§ 34-35, 21 juin 2007 ; Hermi c. Italie [GC], no 18114/02, § 91, CEDH 2006-... ; Hokkanen c. Finlande, arrêt du 23 septembre 1994, série A
no 299-A, § 55 ; Johnson c. Royaume-Uni, 24 octobre 1997, § 62, Recueil
1997-VII ; K. et T. c. Finlande [GC], no 25702/94, § 150, CEDH 2001-VII ; Keegan c. Irlande, arrêt du 26 mai 1994, série A no 290, §
49 ; Kroon et autres c. Pays Bas, 27 octobre 1994,
série A no 297-C ; Kutzner c. Allemagne, no 46544/99,
§ 56, CEDH 2002-I ; Lebbink c. Pays-Bas, no 45582/99,
CEDH 2004-IV ; Marckx c. Belgique, 13 juin 1979, §
31, série A no 31 ; Melnikova c. Ukraine, no
24626/03, § 67, 22 novembre 2005 ; Mikulic c.
Croatie, no 53176/99, § 59, CEDH 2002-I ; Nylund c.
Finlande (déc.), no 27110/95, CEDH 1999-VI ; Odièvre
c. France [GC], no 42326/98, §§ 40, 45, CEDH 2003-III ; P. C. et S. c.
Royaume-Uni, no 56547/00, §§ 122, 150, CEDH 2002-VI ; Wallová
et Walla c. République tchèque, no 23848/04, § 47, 26
octobre 2006 Sources Externes
Convention européenne en matière d'adoption des enfants (STCE n° 58)
Le caractère
général et indifférencié du pouvoir de conservation des empreintes digitales,
échantillons biologiques et profils ADN des personnes soupçonnées d’avoir commis
des infractions mais non condamnées, tel qu’il a été appliqué aux requérants en
l’espèce, ne traduit pas un juste équilibre entre les intérêts publics et
privés concurrents en jeu, l’Etat
défendeur a outrepassé toute marge d’appréciation acceptable en la matière.
GRANDE CHAMBRE
S. ET MARPER c. Royaume-Uni
4 décembre 2008
Violation de l’article 8
L’affaire concernait la conservation par
les autorités des empreintes digitales, échantillons cellulaires et profils ADN
des requérants après la conclusion, respectivement par un acquittement et par
une décision de classement sans suite, des poursuites pénales menées contre
eux.
Le 19 janvier 2001, S. fut arrêté et
inculpé de tentative de vol. Il était alors âgé de onze ans. On releva ses
empreintes digitales et on lui préleva des échantillons d’ADN2.
Il fut acquitté le 14 juin 2001. M. Marper
fut arrêté le 13 mars 2001 et inculpé de harcèlement à l’égard de sa
compagne. On releva ses empreintes digitales et on lui préleva des échantillons
d’ADN. Le 14 juin 2001, l’affaire fut classée sans suite car il s’était
réconcilié avec sa compagne.
Une fois ces procédures terminées, les deux
requérants sollicitèrent en vain la destruction des empreintes et des
échantillons en question ainsi que des profils ADN les concernant. Les données
ont été stockées sur la base d’une loi autorisant leur conservation pour une
durée illimitée.
Les
requérants se plaignaient, sous l’angle des articles 8 et 14 de la Convention,
de la conservation par les autorités de leurs empreintes digitales,
échantillons cellulaires et profils ADN après la conclusion, respectivement par
un acquittement et par une décision de classement sans suite, des poursuites
pénales menées contre eux.
Décision de la
Cour
Article 8
La Cour note que les échantillons
cellulaires contiennent beaucoup d’informations sensibles sur un individu,
notamment sur sa santé. De surcroît, les échantillons renferment un code
génétique unique qui revêt une grande importance tant pour la personne
concernée que pour les membres de sa famille. Vu la nature et la quantité des
informations personnelles contenues dans les échantillons cellulaires, la Cour
estime que, leur conservation doit passer pour constituer en soi une atteinte
au droit au respect de la vie privée des individus concernés.
Selon la Cour, le fait que les profils ADN
fournissent un moyen de découvrir les relations génétiques pouvant exister
entre des individus suffit en soi pour conclure que leur conservation constitue
une atteinte au droit à la vie privée de ces individus.
La possibilité qu’offrent les profils ADN de tirer des déductions
quant à l’origine ethnique rend leur conservation d’autant plus sensible et
susceptible de porter atteinte au droit à la vie privée.
La
Cour conclut que la conservation tant des échantillons cellulaires que des
profils ADN des requérants s’analyse en une atteinte au droit de ces derniers
au respect de leur vie privée au sens de l’article 8 § 1.
Les
empreintes digitales des requérants ont été relevées dans le cadre de
procédures pénales pour être ensuite enregistrées dans une base de données
nationale en vue de leur conservation permanente et de leur traitement régulier
par des procédés automatisés à des fins d’identification criminelle. Chacun
admet que, de par les informations que les échantillons cellulaires et profils
ADN contiennent, la conservation de ces éléments a un impact plus grand sur la vie
privée que celle d’empreintes digitales. Toutefois,
la Cour estime que les empreintes digitales contiennent des informations
uniques sur l’individu concerné et que leur conservation sans le consentement
de celui-ci ne saurait passer pour une mesure neutre ou banale. Dès lors, la
conservation d’empreintes digitales peut en soi donner lieu à des
préoccupations importantes concernant le respect de la vie privée et constitue
donc une atteinte au droit au respect de la vie privée.
La
Cour relève que, en vertu de l’article 64 de la loi de 1984, les empreintes
digitales ou échantillons pris sur une personne dans le cadre de l’enquête sur
une infraction peuvent être conservés une fois qu’ils ont été employés dans le
but prévu. La conservation des empreintes digitales, des échantillons
biologiques et des profils ADN des requérants avait ainsi à l’évidence une base
en droit interne.
Pour
ce qui est des conditions et des modalités de mémorisation et d’utilisation de
ces informations personnelles, l’article 64 est en revanche beaucoup moins
précis.
La
Cour rappelle que, dans ce contexte, il est essentiel de fixer des règles
claires et détaillées régissant la portée et l’application des mesures et
imposant un minimum d’exigences. Cependant, compte tenu de son analyse et de
ses conclusions sur la nécessité de l’ingérence dans une société démocratique,
la Cour juge qu’il n’y a pas lieu de trancher le point de savoir si le libellé
de l’article 64 répond aux exigences quant à la « qualité » de la
loi, au sens de l’article 8 § 2 de la Convention.
La Cour admet que la conservation des
données relatives aux empreintes digitales et génétiques vise un but
légitime : la détection et, par voie de conséquence, la prévention des
infractions pénales.
La Cour relève que des empreintes digitales,
des profils ADN et des échantillons cellulaires, constituent toutes des données
à caractère personnel au sens de la Convention du Conseil de l’Europe de 1981
pour la protection des personnes à l’égard du traitement automatisé des données
à caractère personnel.
La Cour indique que la législation interne
doit ménager des garanties appropriées pour empêcher toute utilisation de
données à caractère personnel qui ne serait pas conforme aux garanties
prévues à l’article 8 de la Convention. La Cour ajoute que la nécessité de disposer de telles garanties
se fait d’autant plus sentir lorsqu’il s’agit de protéger les données à
caractère personnel soumises à un traitement automatique, en particulier
lorsque ces données sont utilisées à des fins policières.
L’intérêt des personnes concernées et de la
collectivité dans son ensemble à voir protéger les données à caractère
personnel, et notamment les données relatives aux empreintes digitales et
génétiques, peut s’effacer devant l’intérêt légitime que constitue la
prévention des infractions pénales (article 9 de la Convention sur la
protection des données). Cependant, compte tenu du caractère intrinsèquement
privé de ces informations, la Cour se doit de procéder à un examen rigoureux de
toute mesure prise par un Etat pour autoriser leur conservation et leur
utilisation par les autorités sans le consentement de la personne concernée.
Dans cette affaire, la Cour doit se pencher
sur le point de savoir si la conservation des empreintes digitales et données ADN
des requérants, qui avaient été soupçonnés d’avoir commis certaines infractions
pénales mais n’avaient pas été condamnés, était nécessaire dans une société
démocratique.
La Cour tient dûment compte des principes
clés des instruments pertinents du Conseil de l’Europe et du droit et de la
pratique en vigueur dans les autres Etats contractants, d’après lesquels la
conservation des données doit être proportionnée au but pour lequel elles ont
été recueillies et être limitée dans le temps. Les Etats contractants
appliquent systématiquement ces principes dans le secteur de la police,
conformément à la Convention du Conseil de l’Europe de 1981 sur la protection
des données et aux recommandations ultérieures du Comité des Ministres du
Conseil de l’Europe.
Pour ce qui concerne plus particulièrement
les échantillons cellulaires, la plupart des Etats contractants n’en autorisent
le prélèvement dans le cadre de procédures pénales que sur les individus
soupçonnés d’avoir commis des infractions présentant un certain seuil de
gravité. Dans la grande majorité des Etats contractants disposant de bases de
données ADN en service, les échantillons et les profils génétiques qui en sont
tirés doivent être respectivement détruits ou effacés soit immédiatement soit
dans un certain délai après un acquittement ou un non-lieu. Certains Etats
contractants autorisent un nombre restreint d’exceptions à ce principe.
La
Cour relève que l’Angleterre, le pays de Galles et l’Irlande du Nord sont les
seuls ordres juridiques au sein de Conseil de l’Europe à autoriser la
conservation illimitée des empreintes digitales et des échantillons et profils
ADN de toute personne, quel que soit son âge, soupçonnée d’avoir commis une
infraction emportant inscription dans les fichiers de la police.
Elle
observe que la protection offerte par l’article 8 serait affaiblie de manière
inacceptable si l’usage des techniques scientifiques modernes dans le système
de la justice pénale était autorisé à n’importe quel prix et sans une mise en
balance attentive des avantages pouvant résulter d’un large recours à ces
techniques, d’une part, et des intérêts essentiels s’attachant à la protection
de la vie privée, d’autre part. Tout Etat qui revendique un rôle de pionnier
dans l’évolution de nouvelles technologies porte la responsabilité particulière
de trouver le juste équilibre en la matière.
La
Cour est frappée par le caractère général et indifférencié du pouvoir de
conservation en vigueur en Angleterre et au pays de Galles. En particulier, les données en cause peuvent être
conservées quelles que soient la nature et la gravité des infractions dont la
personne était à l’origine soupçonnée et indépendamment de son âge ; la
conservation n’est pas limitée dans le temps ; et il n’existe que peu de
possibilités pour un individu acquitté d’obtenir l’effacement des données de la
base nationale ou la destruction des échantillons.
La
Cour estime particulièrement préoccupant le risque de stigmatisation, qui
découle du fait que les personnes dans la situation des requérants, qui n’ont été
reconnus coupables d’aucune infraction et sont en droit de bénéficier de la
présomption d’innocence, sont traitées de la même manière que des condamnés.
Certes, la conservation de données privées concernant les requérants n’équivaut
pas à l’expression de soupçons. Néanmoins, l’impression qu’ont les intéressés
de ne pas être considérés comme innocents se trouve renforcée par le fait que
les données les concernant sont conservées indéfiniment tout comme celles
relatives à des personnes condamnées, alors que celles concernant des individus
n’ayant jamais été soupçonnés d’une infraction doivent être détruites.
La
Cour estime en outre que la conservation de données relatives à des personnes
non condamnées peut être particulièrement préjudiciable dans le cas de mineurs,
tel le premier requérant, en raison de leur situation spéciale et de
l’importance que revêt leur développement et leur intégration dans la société.
Elle considère qu’il faut veiller avec un soin particulier à protéger les
mineurs de tout préjudice qui pourrait résulter de la conservation par les
autorités, après un acquittement, des données privées les concernant.
En
conclusion, la Cour estime que le caractère général et indifférencié du pouvoir
de conservation des empreintes digitales, échantillons biologiques et profils
ADN des personnes soupçonnées d’avoir commis des infractions mais non
condamnées, tel qu’il a été appliqué aux requérants en l’espèce, ne traduit pas
un juste équilibre entre les intérêts publics et privés concurrents en jeu, et que
l’Etat défendeur a outrepassé toute marge d’appréciation acceptable en la
matière. Dès lors, la conservation en cause s’analyse en une atteinte
disproportionnée au droit des requérants au respect de leur vie privée et ne
peut passer pour nécessaire dans une société démocratique. La Cour conclut à
l’unanimité qu’il y a eu en l’espèce violation de l’article 8.
Article 14
combiné avec l’article 8
A la
lumière du raisonnement qui a conduit à son constat ci-dessus, la Cour
considère à l’unanimité qu’il n’y a pas lieu d’examiner séparément le grief
tiré de l’article 14.
La Cour conclut, à l’unanimité :
- à la violation de l’article 8 de la Convention ;
- qu’il n’y avait pas lieu d’examiner séparément le grief tiré de
l’article 14.
En
application de l’article 41 (satisfaction équitable), la Cour estime que le
constat de violation, avec les conséquences qui en découlent pour l’avenir,
peut passer pour constituer une satisfaction équitable suffisante à l’égard du
préjudice moral subi par les requérants. Elle dit que, conformément à l’article
46 de la Convention, il appartiendra à l’Etat défendeur de mettre en œuvre,
sous le contrôle du Comité des Ministres, les mesures générales et/ou
individuelles appropriées pour satisfaire à l’obligation qui lui incombe
d’assurer aux requérants et autres personnes dans la même situation le droit au
respect de leur vie privée. La Cour alloue aux requérants
42 000 euros (EUR) pour frais et dépens moins les
2 613,07 EUR déjà versés au titre de l’assistance judiciaire. (L’arrêt existe en français et en anglais.)
S. et Marper c.
Royaume-Uni Jurisprudence : Amann
c. Suisse [GC], n° 27798/95, § 56 et § 69, CEDH 2000-II ; Asan Rushiti c. Autriche, n° 28389/95, § 31, 21 mars 2000 ;
Association for European Integration
et Human Rights et Ekimdjiev c. Bulgarie, n° 62540/00, §§ 75-77, 28 juin 2007
; Bensaid c. Royaume-Uni, n° 44599/98, § 47, CEDH
2001-I ; Burghartz c. Suisse, 22 février 1994, § 24,
et opinion of the Commission, p. 37, § 47, série A n° 280-B ; Christine Goodwin c. Royaume-Uni [GC], n° 28957/95, § 120, CEDH
2002-VI ; Connors c. Royaume-Uni, n° 66746/01, § 82, 27 mai 2004 ; Coster c.
Royaume-Uni [GC], n° 24876/94, § 104, 18 janvier 2001 ; Dickson c. Royaume-Uni
[GC], n° 44362/04, § 78, CEDH 2007 ; Evans c. Royaume-Uni [GC], n° 6339/05, §
77, CEDH 2007 ; Friedl c. Autriche, arrêt du 31
janvier 1995, §§ 49-51, série A n° 305-B, opinion of the Commission, p. 20, §
45 ; Hassan et Tchaouch c. Bulgarie [GC], n°
30985/96, § 84, CEDH 2000-XI ; Kinnunen c. Finlande,
n° 24950/94, Commission décision of 15 mai 1996 ; Kruslin
c. France, 24 avril 1990, §§ 33 et 35, série A n° 176-A ; Leander
c. Suède, 26 mars 1987, § 48, série A n° 116 ; Liberty et autres c.
Royaume-Uni, n° 58243/00, § 62-63, 1 juillet 2008 ; Malone c. Royaume-Uni, 2
août 1984, §§ 66-68, série A n° 82 ; McVeigh, O’Neill
et Evans, n° 8022/77, 8025/77 et 8027/77, Report of the Commission of 18 mars
1981, DR 25, p.15, § 224 ; Mikulic c. Croatie, n°
53176/99, § 53, CEDH 2002-I ; P.G. et J.H. c. Royaume-Uni, n° 44787/98, §
59-60, CEDH 2001-IX ; Peck c. Royaume-Uni, n° 44647/98, § 57 et § 59, CEDH
2003-I ; Pretty c. Royaume-Uni, n° 2346/02, § 61,
CEDH 2002-III ; Roche c. Royaume-Uni [GC], n° 32555/96, § 182, CEDH 2005-X ; Rotaru c. Roumanie [GC], n° 28341/95, § 55 et §§ 57-59,
CEDH 2000-V ; Sciacca c. Italie, n° 50774/99, § 29,
CEDH 2005-I ; Scozzari et Giunta c. Italie [GC], nos
39221/98 et 41963/98, § 249, CEDH 2000-VIII ; T. c. Royaume-Uni [GC], n°
24724/94, §§ 75 et 85, 16 décembre 1999 ; Ünal Tekeli
c. Turquie, n° 29865/96, § 42, CEDH 2004-X (extraits) ; Van der Velden c. Pays-Bas (déc.), n° 29514/05, CEDH 2006 ; Weber
et Saravia c. Allemagne (déc.), n° 54934/00, CEDH
2006 ; Y.F. c. Turquie, n° 24209/94, § 33, CEDH 2003-IX ; Z. c. Finlande, 25
février 1997, §§ 71, 95 et 96, Recueil of Judgments
et Decisions 1997-I Sources
Externes :
Rapport du Nuffield Council on Bioethics
; La Convention du Conseil de l’Europe de 1981 pour la protection des personnes
à l’égard du traitement automatisé des données à caractère personnel ;
recommandation R (87) 15 visant à réglementer l’utilisation de données à
caractère personnel dans le secteur de la police ; Recommandation R (92) 1 sur
l’utilisation des analyses de l’acide désoxyribonucléique (ADN) dans le cadre
du système de justice pénale ; Directive 95/46/CE du 24 octobre 1995 relative à
la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à
caractère personnel et à la libre circulation de ces données ; Traité de Prüm relatif à l’approfondissement de la coopération
transfrontalière, notamment en vue de lutter contre le terrorisme, la
criminalité transfrontalière et la migration illégale ; Article 40 de la
Convention des Nations unies sur les droits de l’enfant du 20 novembre 1989
Le législateur aurait dû prévoir un cadre
permettant de concilier la confidentialité des services Internet avec la
défense de l’ordre, la prévention des infractions pénales et la protection des
droits et libertés d’autrui.
Le requérant se plaignait qu’une annonce à
caractère sexuel ait été publiée à son sujet sur un site de rencontres par
Internet et que la législation finlandaise en vigueur à l’époque n’ait pas
permis à la police et aux tribunaux d’obliger le fournisseur d’accès à
identifier l’auteur de l’annonce.
Une personne non identifiée publia sur un
site de rencontres par Internet une annonce au nom du requérant, alors âgé de
12 ans, à l’insu de celui-ci. L’annonce mentionnait son âge et son année de
naissance et le décrivait physiquement de manière détaillée. Elle contenait
également un lien vers la page web du garçon, où se trouvaient sa photographie
et son numéro de téléphone, exact à un chiffre près ; et indiquait qu’il
recherchait une relation intime avec un garçon de son âge ou plus âgé que lui
afin qu’il lui « montre comment on fait ». Le requérant prit
connaissance de cette annonce lorsqu’il reçut un courrier électronique d’un
homme qui lui proposait de le rencontrer et « de voir ensuite ce qu’il
voulait ».
Le père du requérant demanda à la police
d’identifier l’auteur de l’annonce afin d’intenter une action en justice. Le
fournisseur d’accès refusa quant à lui de coopérer, s’estimant lié par la confidentialité des télécommunications telle que
définie en droit finlandais.
Le tribunal de district d’Helsinki rejeta
également la demande introduite par la police en vertu de la loi sur les
enquêtes pénales aux fins d’obliger le fournisseur d’accès à divulguer
l’identité de la personne qui avait publié l’annonce. Le tribunal conclut que
dans ce cas, qui relevait en droit interne de la calomnie, aucune disposition
légale ne permettait expressément d’obliger le fournisseur d’accès à rompre le
secret professionnel et à divulguer l’information demandée. La cour d’appel
confirma ce jugement et la Cour suprême refusa d’en connaître.
Invoquant les articles 8 et 13,
le requérant dénonçait l’atteinte à sa vie privée et l’absence en droit
finlandais de recours effectif permettant de révéler l’identité de la personne
qui avait publié cette annonce à son sujet sur le site de rencontres par
Internet.
Décision de la
Cour
Article 8
Même si en droit interne, l’affaire du
requérant a été envisagée sous l’angle de la calomnie, la Cour préfère retenir
la notion de vie privée, compte tenu du risque physique et moral pour le garçon
et de la vulnérabilité due à son jeune âge.
La Cour considère que la publication sur
Internet d’une annonce au sujet du requérant était un agissement criminel qui a
fait d’un mineur une cible pour les pédophiles. Elle rappelle qu’une telle
conduite appelle une réponse pénale et qu’une politique de dissuasion, pour
être efficace, doit s’accompagner d’enquêtes et de poursuites adéquates. En
outre, les enfants et les autres personnes vulnérables ont droit à la
protection de l’Etat face à d’aussi graves atteintes à leur vie privée.
Les faits datent de 1999, c’est-à-dire d’un
moment où il était bien connu qu’Internet, précisément en raison de son caractère
anonyme, pouvait être utilisé à des fins criminelles. De plus, la connaissance
du problème répandu des abus sexuels sur des enfants s’était largement
développée au cours des années précédentes. On ne saurait donc dire que le
Gouvernement finlandais n’avait pas eu l’occasion de mettre en place un système
de protection des enfants face aux pédophiles sur Internet.
Le fait est que le législateur aurait dû
prévoir un cadre permettant de concilier la confidentialité des services
Internet avec la défense de l’ordre, la prévention des infractions pénales et
la protection des droits et libertés d’autrui. Bien qu’un tel cadre ait
ultérieurement été apporté par la loi sur l’exercice de la liberté d’expression
dans les médias, il n’était pas encore en place au moment des faits, et la
Finlande, dans cette affaire où le respect de la confidentialité l’a emporté
sur le bien-être physique et moral du requérant, a ainsi manqué à protéger le
droit de l’intéressé au respect de sa vie privée. Partant, la Cour conclut à la
violation de l’article 8.
K.U.
c. Finlande Jurisprudence : Airey v.
Ireland, judgment of 9 October
1979, Series A no. 32, § 32 ; August v. the United Kingdom (dec.), no. 36505/02, 21 January 2003 ; Christine Goodwin
v. the United Kingdom [GC], no. 28957/95, § 74, ECHR
2002-VI ; Copland v. the United Kingdom, no.
62617/00, §§ 50-51, ECHR 2007-... ; M.C. v. Bulgaria,
no. 39272/98, §§ 150, 153, ECHR 2003-XII ; Osman v. the United Kingdom, judgment of 28 October 1998, Reports 1998-VIII, § 128 ; Sallinen and Others v. Finland, no. 50882/99, §§ 102 and 110, 27 September 2005 ; Stubbings and Others v. the United Kingdom, 22 October 1996, § 64, Reports 1996-IV ; X and Y v. the Netherlands, judgment of 26 March
1985, Series A no. 91, 22-24, 27(L’arrêt n’existe qu’en
anglais.)
Aucun élément objectif n’a été présenté
pour établir que les autorités nationales
– qui avaient déjà examiné les antécédents du requérant dans le passé
avant de lui accorder un permis de résidence temporaire - avaient de bonnes raisons de soupçonner que le
requérant constituait une menace pour la sécurité nationale
GULIJEV c. LITUANIE
16 décembre 2008
Violation a l’article 8
Invoquant notamment l’article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale) de la Convention, M. Gulijev (en français Gouliev), ressortissant azerbaïdjanais se plaignait d’avoir été expulsé de Lituanie vers l’Azerbaïdjan en novembre 2003. Il est frappé d’interdiction du territoire lituanien jusqu’en 2099.
La
Cour constate que le refus d’octroi au requérant d’un permis de séjour
temporaire et, par voie de conséquence, son expulsion du territoire lituanien
avaient pour seul fondement un rapport classé « secret » du service
de sûreté de l’Etat, dans lequel il était allégué que l’intéressé représentait
une menace pour la sécurité nationale. Or le contenu de ce rapport n’a jamais
été communiqué au requérant dans le cadre de la procédure administrative
d’expulsion dont celui-ci a fait l’objet. De même, aucun élément objectif n’a
été présenté à la Cour pour établir que les autorités nationales avaient de
bonnes raisons de soupçonner que le requérant constituait pareille menace. Les
autorités avaient même déjà examiné les antécédents du requérant dans le passé
et n’avaient alors vu aucune raison de lui refuser un permis de résidence
temporaire. En outre, la femme du requérant, ressortissante lituanienne, ayant
de solides attaches sociales et culturelles avec la Lituanie et les deux filles
de celui-ci étant nées dans ce pays où chacune d’elles mène sa vie, la Cour ne
peut admettre, comme le soutient le Gouvernement, que cette famille puisse
s’établir en Azerbaïdjan. L’expulsion du requérant a donc porté atteinte à son
droit au respect de sa vie familiale. Dès lors, la Cour conclut, à l’unanimité,
à la violation de l’article 8.
Gulijev c. Lituanie (no 10425/03) 16/12/2008 Violation a l’article 8 Jurisprudence : Abdulaziz, Cabales and Balkandali v. the United Kingdom, judgment of 28 May 1985, Series A no. 94, pp. 33-34, § 68; Achmadov and Bagurova v. Sweden (dec.), no. 34081/05, 10 July 2007, unreported; Berrehab v. the Netherlands, 21 June 1988, § 28, Series A no. 138 ; Boultif v. Switzerland, no. 54273/00, ECHR 2001-IX, § 39§ 48 ; Kroon and Others v. the Netherlands, judgment of 27 October 1994, Series A no. 297-C, § 31 ; Mamatkulov and Askarov v. Turkey [GC], nos. 46827/99 and 46951/99, § 82, ECHR 2005-I;Moustaquim v. Belgium, 18 February 1991, § 36, Series A no. 193; Üner v. the Netherlands [GC], no. 46410/99, § 54, ECHR 2006, § 57§ 58; X, Y and Z v. the United Kingdom, judgment of 22 April 1997, Reports of Judgments and Decisions 1997-II, § 36 (L’arrêt n’existe qu’en anglais.)
L’« intérêt
supérieur » de C., entendu dans le sens d’une décision relative à sa
réintégration immédiate dans son milieu de vie habituel, n’a pas été pris en
compte par les juridictions suisses lors de l’appréciation de la demande de
retour en application de la Convention de la Haye.
06.11.2008
Violation de l’article 8
Le requérant, Scott Norman Carlson, est un
ressortissant américain résidant à
Washington. Il est le père de C. né, en 2004, de son union avec une
ressortissante suisse.
Durant l’été 2005, la mère, qui résidait
avec son époux et son fils aux Etats-Unis, se rendit en Suisse avec l’enfant et
décida d’y élire domicile. Le 28 septembre, elle intenta une procédure de
divorce auprès du tribunal de district de Baden et soumit une demande de
mesures provisoires pour la durée de la procédure de divorce, notamment en vue
d’obtenir le droit de garde de l’enfant. Le 31 octobre 2005, le requérant
demanda aux juridictions suisses d’ordonner le retour de son fils à son lieu de
résidence habituelle. Il alléguait que, exerçant conjointement avec son épouse
l’autorité parentale sur l’enfant, la prolongation du séjour constituait un
déplacement ou un non-retour illicite de son enfant au sens de l’article 3 de
la Convention de la Haye sur les aspects civils de l’enlèvement international
d’enfants. A la suite de cette demande, le président du tribunal de district de
Baden ordonna à l’épouse du requérant le dépôt immédiat du passeport de C. et
lui interdit de quitter le territoire suisse. En même temps, il décida de
joindre la procédure relative au retour de l’enfant à la procédure de divorce.
Le 17 février 2006, le président du tribunal de district rejeta la demande du
requérant, au motif, notamment, que celui-ci n’était pas en mesure d’apporter des
preuves à l’appui de son allégation selon laquelle il aurait certes consenti au
séjour temporaire de la mère en Suisse, mais seulement à condition qu’elle
ramène l’enfant aux Etats-Unis une fois son séjour en Suisse terminé. Le juge
estima donc que le déplacement de l’enfant vers la Suisse n’était pas illicite
en vertu de l’article 3 de la Convention de la Haye puisque le requérant avait
donné son consentement, et qu’il n’existait pas d’indice suffisant pour étayer
l’existence d’un non-retour illicite de l’enfant. Le requérant contesta cette
décision devant la cour d’appel du canton d’Argovie, puis devant le Tribunal
fédéral, en vain.
Invoquant l’article 8 (droit au respect de
la vie privée et familiale), M. Carlson soutenait que les juridictions internes
avaient commis plusieurs négligences dans la mise en œuvre de la Convention de
la Haye.
La Cour rappelle que l’article 16 de la
Convention de la Haye commande de suspendre la procédure sur le fond du droit
de garde jusqu’à ce qu’il soit statué sur le retour de l’enfant. Ainsi, la
décision du tribunal de district de joindre les deux procédures est à la fois
en contradiction avec les termes de la Convention de la Haye et a eu pour effet
de prolonger la procédure devant les instances internes chargées de statuer sur
le retour de l’enfant enlevé. En outre, la Cour constate que le laps de temps
entre le dépôt de la demande du requérant et la décision du président du
tribunal de district ne cadre pas avec l’article 11 de la Convention de la Haye
qui prévoit que les autorités saisies procèdent « d’urgence » en vue
du retour de l’enfant, toute inaction dépassant les six semaines pouvant donner
lieu à une demande de motivation. Par ailleurs, contrairement à ce qui découle
clairement du libellé de l’article 13 de la Convention de la Haye, le président
du tribunal de district a renversé la charge de la preuve et a imposé au
requérant d’ « établir » qu’il n’avait pas « consenti ou
acquiescé postérieurement » au déplacement ou au non-retour de l’enfant.
Pour la Cour, cette manière de procéder a placé d’emblée le requérant dans une
nette position de désavantage dans la procédure relative au retour de l’enfant.
La Cour relève que même si la cour d’appel a correctement appliqué l’article 13
précité, ceci n’est toutefois pas de nature à corriger la rupture de l’égalité
des armes intervenue en première instance car les informations obtenues grâce
au renversement de la charge de la preuve ne furent pas dépourvues de toute
pertinence dans l’appréciation de la situation concrète par les juridictions
internes.
Par conséquent, la Cour n’est pas
convaincue que l’« intérêt supérieur » de C., entendu dans le sens
d’une décision relative à sa réintégration immédiate dans son milieu de vie
habituel, ait été pris en compte par les juridictions suisses lors de
l’appréciation de la demande de retour en application de la Convention de la
Haye. Etant donné que ces négligences n’ont pas été corrigées par les instances
supérieures, la Cour estime que le droit du requérant au respect de sa vie familiale
n’a pas été protégé de manière effective par les juridictions internes et
conclut à l’unanimité à la violation de l’article 8. Elle alloue à M. Carlson
10 000 EUR pour préjudice moral et 12 000 EUR pour frais et
dépens. (L’arrêt n’existe qu’en français.)
CARLSON
c. SUISE Jurisprudence : : Amuur c.
France, arrêt du 25 juin 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-III, p.
846, § 36 ; Ankerl c. Suisse, arrêt du 23 octobre
1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-V, p. 1565, § 34 ; Artico c. Italie, arrêt du 13 mai 1980, série A no 37, p.
16, § 33 ; Avsar c. Turquie, no 25657/94, § 284, CEDH
2001-VII (extraits) ; Bianchi c. Suisse, no 7548/04, §§ 76-86, 94, 110, 22 juin
2006 ; Bottazzi c. Italie [GC], no 34884/97, §§ 22,
30, CEDH 1999-V ; Dalban c. Roumanie [GC], no
28114/95, § 44, CEDH 1999-VI ; Dammann c. Suisse, no
77551/01, § 55, 25 avril 2006 ; Eckle c. Allemagne,
arrêt du 15 juillet 1982, série A no 51, p. 32, §§ 69 et suiv
; Eskinazi et Chelouche c.
Turquie (déc.), no 14600/05, CEDH 2005-XIII ; García Ruiz c. Espagne [GC], no
30544/96, § 28, CEDH 1999-I ; Guichard c. France (déc.), no 56838/00, CEDH
2003-X ; pp. 414 et suiv. ; H. c. France, arrêt du 24
octobre 1989, série A no 162-A, § 47 ; Hadri-Vionnet
c. Suisse, no 55525/00, §§ 54-57, CEDH 2008 ; Iglesias
Gil et A.U.I. c. Espagne, no 56673/00, §§ 48-52, 61, CEDH 2003-V ; Ignaccolo-Zenide c. Roumanie, no 31679/96, §§ 94-96, 102, CEDH 2000-I
; Jensen c. Danemark (déc.), no 48470/99, CEDH 2001-X ; Karadÿiÿ
c. Croatie, no 35030/04, §§ 51-54, 67, 15 décembre 2005 ; Linnekogel
c. Suisse, no 43874/98, §§ 49-50, 1er mars 2005 ; Maire c. Portugal, no
48206/99, § 68, CEDH 2003-VII ; Maumousseau et
Washington c. France, no 39388/05, §§ 58-83, 88, CEDH 2007 ; Monory c. Roumanie
et Hongrie, no 71099/01, §§ 69-85, 5 avril 2005 ; Olsson
c. Suède (no 2), arrêt du 27 novembre 1992, série A no 250, p. 42, § 113 ;
Paradis c. Allemagne, (déc.), no 4783/03, 15 mai 2003 ; Ribitsch
c. Autriche, arrêt du 4 décembre 1995, série A no 336, p. 26, § 34 ; Scordino c. Italie (no 1) [GC], no 36813/97, § 183, CEDH
2006 ; Sylvester c. Autriche, nos 36812/97 et 40104/98, §§ 55-60 et §§ 73-77,
24 avril 2003 ; Tiemann c. France et Allemagne
(déc.), nos 47457/99 et 47458/99, CEDH 2000-IV ; Winterwerp
c. Pays-Bas, arrêt du 24 octobre 1979, série A no 33, p. 20, § 46 ; Zimmermann
et Steiner c. Suisse, arrêt du 13 juillet 1983, série A no 66, p. 14, § 36
C’est seulement parce que RŠ n’a cessé de s’opposer aux
décisions que les tribunaux nationaux ont été contraints de revenir sur celles-ci
et de donner partiellement gain de cause aux requérants. La Cour rappelle que
les relations futures entre l’enfant et son parent ne peuvent être réglées par
le simple écoulement du temps.
Jucius et Juciuvienė c. Lituanie
25.11.2008
En avril 1999, la sœur de M. Jucius et le
compagnon de celle-ci décédèrent et les requérants reçurent la garde provisoire
de leurs nièces, RŠ and DŠ, alors âgées respectivement de quatre ans et de six
mois. Les grands-parents de celles-ci firent par la suite des démarches en vue
de les adopter mais les requérants formulèrent une demande reconventionnelle.
En août 2002, le juge national attribua la garde permanente aux grands-parents,
au motif que leur situation financière et leur niveau de vie étaient meilleurs,
en dépit du fait que RŠ souhaitait rester avec ses « parents » (les
requérants). Cependant, lorsque l’huissier chercha à faire exécuter cette
décision en mars 2003, RŠ refusa de quitter les requérants. DŠ fut emmenée chez
ses grands-parents. Devant le refus de RŠ d’être placée sous la garde
permanente de ses grands-parents, il fut décidé de rouvrir la procédure. La
décision d’août 2002 fut ultérieurement cassée et les sœurs furent séparées, RŠ
ayant dit vouloir rester avec les requérants et DŠ avec ses grands-parents.
Invoquant les articles 8 (droit au respect de la vie privée et
familiale) et 6 § 1 (droit à un procès équitable) de la Convention européenne
des droits de l’homme, les requérants alléguaient en l’espèce des irrégularités
dans le processus décisionnel à l’issue duquel la garde permanente des deux
filles avait été initialement accordée à leurs grands-parents.
La Cour européenne des droits de l’homme
estime que la procédure revêtait une importance cruciale pour les requérants et
relève qu’elle comportait un examen de leur personnalité et a pris en compte
les souhaits de leurs nièces. Dans l’intérêt supérieur de celles-ci, il était
donc essentiel que, avec les requérants, elles aient la possibilité d’être
entendues et de pleinement participer à l’audience. Cependant l’appel des
requérants a été tranché à l’issue d’une procédure écrite. En outre, c’est
seulement parce que RŠ n’a cessé de s’opposer aux décisions que les tribunaux
nationaux ont été contraints de revenir sur celles-ci et de donner
partiellement gain de cause aux requérants. La Cour rappelle que les relations
futures entre l’enfant et son parent ne peuvent être réglées par le simple
écoulement du temps. Elle conclut donc, à l’unanimité, à la violation de
l’article 8. Elle estime en outre que, au vu de cette décision, il n’est pas
nécessaire de procéder à un examen séparé de l’affaire sur le terrain de
l’article 6 § 1 pour ce qui est du caractère écrit de la
procédure.
Jucius et Juciuvienė c. Lituanie Jurispurdence : : Helmers
c. Suède, arrêt du 29 octobre 1991, série A n° 212-A, § 36 ; K. et T. c.
Finlande [GC], n° 25702/94, § 150, CEDH 2001-VII ; McMichael
c. Royaume-Uni, arrêt du 24 février 1995, série A n° 307-B, § 87 ; Valová, Slezák et Slezák c. Slovaquie, n° 44925/98, 1 juin 2004, §§ 61-69 ;
W. c. Royaume-Uni, arrêt du 8 juillet 1987, série A n° 121, p. 29, §§ 64, 65.
(L’arrêt n’existe qu’en anglais.)
Droit au respect de la vie privée et
familiale en
raison du plafond très bas des dommages-intérêts qui ont été alloués aux
requérants à la suite d’atteintes graves à leur vie privée par un quotidien
national
ARMONAS
c. LITUANIE
et
BIRIUK
c. LITUANIE
25.11.2008
violation de l’article 8
Lietuvos Rytas, le plus grand quotidien lituanien, avait publié un article à la
une concernant les risques de sida dans une région reculée de Lituanie. En
particulier, des membres du personnel médical du centre d’aide au sida et de
l’hôpital de Pasvalys étaient cités comme ayant confirmé que M. Armonas et Mlle Biriuk
étaient séropositifs. Il était également indiqué que Mlle Biriuk, décrite dans l’article comme « une fille
facile », avait eu deux enfants naturels avec M. Armonas.
Par la suite, M. Armonas et Mlle Biriuk engagèrent des actions distinctes contre le journal
pour atteinte à leur vie privée. En juillet 2001 et avril 2002, les tribunaux
leur donnèrent raison, estimant que l’article était humiliant et que le journal
avait publié sans le consentement de M. Armonas
et de Mlle Biriuk des informations
relatives à leur vie privée qui ne répondaient à aucun intérêt général
légitime.
Quant à M. Armoras, les tribunaux
conclurent qu’il n’avait pas démontré que le journal avait intentionnellement
rendu publiques les informations le concernant ; par conséquent, en
application de l’article 54 § 1 de la loi sur la diffusion d’informations au
public, ils allouèrent à l’intéressé la somme maximum prévue en de telles
circonstances, soit 10 000 litai lituaniens (LTL – 2 896 EUR
environ). Concernant Mlle Biriuk, les
tribunaux déclarèrent tout d’abord que l’article, publié dans une optique
sensationnaliste et en vue d’augmenter les ventes, avait délibérément cherché à
l’humilier ; en vertu de la même loi, ils triplèrent la somme prévue par
la loi en pareil cas pour la monter à 30 000 LTL (soit environ 8 676
EUR). Ce montant fut cependant réduit par la suite en appel à 10 000 LTL
au motif, encore une fois, qu’il n’avait pas été établi que les informations
avaient été publiées intentionnellement.
Invoquant l’article 8 de la Convention , les requérantes soutenaient que, alors que
les tribunaux nationaux avaient pourtant jugé que le journal avait
gravement porté atteinte à leur vie privée, le montant des dommages-intérêts
qui leur avaient été octroyés était dérisoire. Elles alléguaient notamment que,
en pratique, le plafonnement insuffisamment élevé du montant des
dommages-intérêts pour préjudice moral prévu par le droit lituanien à l’époque
protégeait les médias des procès pour atteinte à la vie privée.
Article 8
Dans les deux affaires, la Cour ne voit aucune raison de s’écarter
des conclusions des juridictions nationales, lesquelles ont reconnu qu’il y
avait eu ingérence dans le droit des requérants au respect de leur vie privée.
En particulier, le fait que M. Armonas et de Mlle Biriuk habitent un village renforçait la possibilité que
leurs voisins et proches aient connaissance de leur maladie, et le risque pour
eux d’humiliation publique et d’exclusion de la vie sociale du village. Par
ailleurs, à l’instar des juridictions internes, la Cour estime que l’article
n’a contribué en aucune manière à un débat d’intérêt général pour la société.
En outre, la Cour est particulièrement préoccupée par le fait que,
selon le journal, les informations relatives à la maladie de M. Armonas et de Mlle Biriuk
ont été confirmées par le personnel médical. Il est indispensable que le droit
interne garantisse la confidentialité des informations concernant les patients
et empêche toute divulgation de données personnelles, eu égard tout
particulièrement à l’impact négatif de telles divulgations sur la propension
d’autres personnes à se soumettre volontairement à des tests de dépistage du
HIV et aux traitements appropriés.
La Cour conclut que, dans un cas aussi flagrant d’abus de la liberté
de la presse, les restrictions sévères imposées par la loi au pouvoir
discrétionnaire du juge de réparer le préjudice subi par la victime et donc de
dissuader l’occurrence de tels abus à l’avenir, entraînent que les requérantes
ont été privées des mesures de protection de leur vie privée qu’elles étaient
en droit d’espérer. En fait, cette conclusion a depuis lors été traduite dans
l’ordre interne puisque le plafonnement des indemnités octroyées par les juges,
qui était prévu à l’article 54 § 1 de la loi sur la diffusion d’informations au
public, a été supprimé en juillet 2001 par le nouveau code civil.
En conséquence, la Cour conclut dans les deux affaires à la
violation de l’article 8.
Armonas c. Lituanie no 36919/02 25/11/2008 Exception préliminaire jointe au
fond et rejetée (victime) ; Violation de l'art. 8 ; Préjudice moral -
réparation Opinions Séparées Les juges Popović
et Tsotsoria ont exprimé une opinion en partie
dissidente, et le juge Zagrebelsky a exprimé une
opinion dissidente.
Droit en Cause Articles 22 and 30
of the Constitution; Articles 7 and 6.250 of the Civil Code; sections 14 and 54
of the Law on the Provision of Information to the Public; section 52 of the Law
on the Health System
Jurisprudence : Amuur c. France,
arrêt du 25 juin 1996, Recueil 1996-III, § 36 ; Cumpana
et Mazare c. Roumanie [GC], n° 33348/96, §§ 113-114,
CEDH 2004-XI ; Dudgeon c. Royaume-Uni, arrêt du 22 octobre 1981, série A n° 45,
pp. 18-19, § 41 ; Evans c. Royaume-Uni [GC], n° 6339/05, § 75, CEDH 2007-... ; Funke c. France, arrêt du 25 février 1993, série A n°
256-A, p. 25 ; I. c. Finlande, n° 20511/03, § 35, 17 juillet 2008 ; Johnston et
autres c. Irlande, arrêt du 18 décembre 1986, série A n° 112, § 55 ; Niemietz c. Allemagne, arrêt du 16 décembre 1992, série A n°
251-B, p. 33, § 29 ; Nölkenbockhoff c. Allemagne,
décision of 12 décembre 1984, D.R. 40, p. 187, § 4 ; Observer et Guardian c.
Royaume-Uni, arrêt du 26 novembre 1991, série A n° 216, pp. 29-30, § 59 ;
Prisma Presse c. France (déc.), nos 66910/01 et 71612/01, 1 juillet 2003 ; Rees
c. Royaume-Uni, arrêt du 17 octobre 1986, série A n° 106, § 37 ; Chevanova c. Lettonie, n° 58822/00, § 69, 15 juin 2006 ; Streletz, Kessler et Krenz c. Allemagne [GC], nos 34044/96, 35532/97 et
44801/98, § 112, CEDH 2001-II ; Stubbings et autres
c. Royaume-Uni, 22 octobre 1996, §§ 62-63, Recueil 1996-IV ; Von Hannover c. Allemagne, n° 59320/00, §§ 57, 63, 69, CEDH
2004-VI ; X et Y c. Pays-Bas, 26 mars 1985, § 24, série A n° 91 ; X c. France,
arrêt du 31 mars 1992, série A n° 234-C, p. 11, § 26 ; Z c. Finlande, arrêt du
25 février 1997, Recueil 1997-I, §§ 95-96 Sources Externes Resolution
428 of the Parliamentary Assembly
of the Council of Europe (Declaration on Mass
Communication Media and Human Rights);
Recommendation no. R (89) 14 on the ethical issues of HIV infection in the health
and social settings
Biriuk c. Lituanie no 23373/03 25/11/2008 Exception préliminaire jointe au fond et
rejetée (victime) ; Violation de l'art. 8 ; Préjudice moral - réparation
Opinions Séparées Les juges Popović et Tsotsoria ont exprimé une opinion en partie dissidente, et
le juge Zagrebelsky a exprimé une opinion dissidente.Jurisprudence : Amuur
c. France, arrêt du 25 juin 1996, Recueil 1996-III, § 36 ; Cumpana
et Mazare c. Roumanie [GC], n° 33348/96, §§ 113-114,
CEDH 2004-XI ; Dudgeon c. Royaume-Uni, 22 octobre 1981, §§ 40-41, série A n° 45
; Evans c. Royaume-Uni [GC], n° 6339/05, § 75, CEDH 2007-... ; I. c. Finlande,
n° 20511/03, § 35, 17 juillet 2008 ; Johnston et autres c. Irlande, arrêt du 18
décembre 1986, série A n° 112, § 55 ; Niemietz c.
Allemagne, arrêt du 16 décembre 1992, série A n° 251-B, p. 33, § 29 ; Norris c.
Irlande, arrêt du 26 octobre 1988, série A n° 142, § 30 ; Observer et Guardian
c. Royaume-Uni, arrêt du 26 novembre 1991, série A n° 216, pp. 29-30, § 59 ;
Prisma Presse c. France (déc.), nos 66910/01 et 71612/01, 1 juillet 2003 ; Rees
c. Royaume-Uni, arrêt du 17 octobre 1986, série A n° 106, § 37 ; Religionsgemeinschaft der Zeugen
Jehovas et autres c. Autriche, n° 40825/98, § 90, 31 juillet 2008 ; Chevanova c. Lettonie, n° 58822/00, § 69, 15 juin 2006 ; Streletz, Kessler et Krenz c. Allemagne [GC], nos 34044/96, 35532/97 et
44801/98, § 112, CEDH 2001-II ; Stubbings et autres
c. Royaume-Uni, 22 octobre 1996, §§ 62-63, Recueil 1996-IV ; Von Hannover c. Allemagne, n° 59320/00, §§ 57, 63, 69, CEDH
2004-VI ; X et Y c. Pays-Bas, 26 mars 1985, § 24, série A n° 91 ; Z c.
Finlande, arrêt du 25 février 1997, Recueil 1997-I, §§ 95-96
Qualifier le requérant de
« membre » des organisations illégales dans le rapport de police
était susceptible de nuire à sa réputation et la conservation et la
communication au juge pénal de ce rapport inexact ont porté atteinte au droit
au respect de la vie privée Cemalettin Canlı c. Turquie
18.11.2008
Le requérant, Cemalettin
Canlı, est un ressortissant turc né en 1969 et
habitant à Ankara. En 2003, alors qu’il était poursuivi pénalement, un rapport
de police intitulé « note d’information sur les autres infractions »
fut produit devant le juge, faisant état de deux actions pénales dirigées
contre lui dans le passé pour appartenance à des organisations illégales. Or,
en 1990, le requérant avait été acquitté à l’issue de la première action pénale
et la seconde avait été abandonnée. Le requérant estimait que les dossiers
conservés par la police et la publication dans la presse nationale d’éléments
tirés de ceux-ci avaient eu des conséquences néfastes sur sa vie privée au sens
de l’article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale). Il invoquait
également les articles 6 § 2 (présomption d’innocence) et 13
(droit à un recours effectif).
La Cour constate que M. Canlı
n’a jamais été reconnu coupable par un tribunal pour sa prétendue appartenance
à des organisations illégales. Elle estime donc que qualifier le requérant de
« membre » de celles-ci dans le rapport de police était susceptible
de nuire à sa réputation et que la conservation et la communication au juge
pénal de ce rapport inexact ont porté atteinte au droit au respect de la vie
privée de M. Canlı. La Cour note que la
réglementation applicable donnait obligation à la police d’indiquer dans ce
dossier toutes les informations concernant l’issue de chaque action pénale
portant sur des accusations. Or non seulement les informations données dans le
rapport étaient fausses, mais il n’était nulle part fait mention de
l’acquittement du requérant et de l’abandon des poursuites en 1990. En outre,
les décisions rendues en 1990 n’étaient pas jointes au rapport lorsqu’il a été
produit devant le juge en 2003. Pour la Cour, ces manquements étaient
contraires aux obligations sans équivoque de la réglementation policière et ont
écarté un certain nombre de garanties procédurales importantes prévues par le
droit national aux fins de la protection des droits dont jouit le requérant en
vertu de l’article 8. La Cour estime donc que la rédaction et la communication
au tribunal du rapport en question par la police n’étaient pas « prévu[es]
par la loi ». La Cour conclut, à l’unanimité, à la violation de l’article
8 et dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner séparément les griefs sur le terrain
des articles 6 et 13. M. Canlı se voit attribuer
5 000 EUR pour dommage moral et 1 500 EUR pour frais et
dépens. (L’arrêt n’existe qu’en anglais.)
Cemalettin Canlı c. Turquie Jurisprudence : : Amann c. Suisse
[GC], n° 27798/95, § 65 CEDH 2000-II ; Boudaïeva et
autres c. Russie, nos 15339/02, 21166/02, 20058/02, 11673/02 et 15343/02, §
110, CEDH 2008-... (extraits) ; Craxi c. Italie (n° 2), n° 25337/94, § 82, 17
juillet 2003 ; Hilal c. Royaume-Uni (déc.), n° 45276/99, 8 février 2000 ; Ivan Vassilev c. Bulgarie, n° 48130/99, § 56, 12 avril 2007 ;
Malone c. Royaume-Uni, 2 août 1984, § 67, série A n° 82 ; Pfeifer
c. Autriche, n° 12556/03, § 35, CEDH 2007-... ; Rotaru
c. Roumanie [GC], n° 28341/95, § 43, CEDH 2000-V
Les juridictions civiles italiennes ont
déclaré l’enfant adoptable alors que la procédure pénale à l’encontre du père
était pendante. Après l’acquittement du père, saisies des recours en opposition
à la déclaration d’adoptabilité, elles déboutèrent les parents de leurs
demandes. La Cour estime que les motifs indiqués par les juridictions internes
pour justifier la décision d’adoptabilité n’étaient pas suffisants au regard de
l’intérêt de l’enfant
CLEMENO
ET AUTRES c. Italie
21.10.2008
Deux violations de l’article 8
A la suite d’accusations d’abus sexuels et
de viols portées par X, mineure et nièce de M. Lucanto,
celui-ci fut renvoyé en jugement avec cinq autres membres de sa famille. X
ayant déclaré craindre que sa cousine Y eût aussi été victime d’abus sexuels et
viols de la part des mêmes personnes, le tribunal pour enfants de Milan
ordonna, en novembre 1995, la prise en charge de Y par les services sociaux et
son placement dans un centre d’accueil pour enfants. Il décida également
d’interrompre les contacts avec ses parents et son frère. En avril 1997, dans
le but de lui assurer une situation familiale stable, et s’appuyant, d’une part,
sur un rapport d’expertise et, d’autre part, sur le comportement des parents,
le tribunal décida de déclarer la mineure adoptable. Malgré l’opposition des
parents devant les juridictions internes et alors même que M. Lucanto fut acquitté en juin 2001, l’adoptabilité de Y
devint définitive en novembre 2002. Les intéressés invoquaient notamment
l’article 8.
Selon la Cour, le recours à une procédure
d’urgence pour éloigner Y s’inscrit parfaitement dans les démarches que les
autorités nationales sont en droit d’entreprendre dans les affaires de sévices
sexuels qui constituent incontestablement un type odieux de méfaits qui
fragilisent les victimes. Le contexte délictueux pouvait raisonnablement amener
les autorités nationales à considérer que le maintien de Y dans son foyer
pouvait lui porter préjudice. Par conséquent, la Cour estime que la prise en
charge et l’éloignement de Y peuvent passer comme des mesures proportionnées et
nécessaires dans une société démocratique pour la protection de la santé et des
droits de l’enfant, et conclut à la non-violation de l’article 8 à cet égard.
La Cour constate que les
juridictions civiles italiennes ont déclaré l’enfant adoptable alors que la
procédure pénale à l’encontre du père était pendante. Après l’acquittement du père,
saisies des recours en opposition à la déclaration d’adoptabilité, elles
déboutèrent les parents de leurs demandes. La Cour estime que les motifs
indiqués par les juridictions internes pour justifier la décision
d’adoptabilité n’étaient pas suffisants au regard de l’intérêt de l’enfant.
Selon la Cour, l’intérêt de l’enfant commande que seules des circonstances tout
à fait exceptionnelles puissent conduire à une rupture du lien familial, et que
tout soit mis en œuvre pour maintenir les relations personnelles et, le cas
échéant, le moment venu, reconstituer la famille. En l’espèce, aucun programme
de rapprochement entre Y et sa famille naturelle n’a été mis en place, bien que
la mère n’ait fait l’objet d’aucune procédure pénale. La Cour souligne qu’à partir
de sa prise en charge, Y n’a jamais pu rencontrer aucun membre de sa famille
naturelle et que la rupture de tout lien avec sa famille naturelle a été totale
et définitive. Les autorités internes n’ont nullement essayé de prendre des
mesures aptes à maintenir les relations de Y avec sa famille, sa mère et son
frère notamment, ou à aider la famille à surmonter les éventuelles difficultés
dans ses relations avec Y et à reconstituer la famille.
Par conséquent, la Cour conclut à
l’unanimité à la violation de l’article 8 quant à l’absence de contact entre Y
et sa famille naturelle pendant la période de prise en charge et quant à la
décision de la déclarer adoptable. (L’arrêt n’existe qu’en français.)
Clemeno et autres c. Italie Numéro de requête 19537/03 21/10/2008 Conclusion Partiellement
irrecevable ; Non-violation de l'art. 8 ; Violations de l'art. 8 ; Préjudice
moral - réparation Articles 8 , 8-2 , 29-3 , 41 Opinions Séparées Oui Droit en
Cause Articles 330, 333 et 336 du code civil et loi no 184 de 1983 tels que
modifiés par la loi no 149 du 28 mars 2001 Jurisprudence : A. c. Royaume-Uni du 23 septembre 1998,
Recueil 1998-VI, § 22 ; Covezzi et Morselli c. Italie, précité, §§ 103, 118, 9 mai 2003 ; E.P.
c. Italie, no 31127/96, § 62, 16 novembre 1999 ; Elsholz
c. Allemagne [GC], no 25735/94, §§ 70-71, CEDH 2000-VIII ; Eriksson c. Suède,
22 juin 1989, série A no 156, pp. 26-27, § 71 ; Gnahoré
c. France, no 40031/98, §§ 50, 51, 52, CEDH 2000-IX ; Havelka
et autres c. République tchèque, no 23499/06, §§ 34-35, 21 juin 2007 ;
Ignaccolo-Zenide c. Roumanie, no 31679/96, § 94, CEDH
2000-I ; Johansen c. Norvège, précité, p. 1008, § 78
; K. et T. c. Finlande [GC], précité, § 166 ; Kutzner
c. Allemagne, no 46544/99, §§ 56, 67, CEDH 2002-I ; Marckx
c. Belgique, arrêt du 13 juin 1974, série A no 31, § 45 ; Margareta
et Roger Andersson c. Suède, 25 février 1992, série A no 226-A, p. 30, § 91 ; Nuutinen c. Finlande, no 32842/96, § 127, CEDH 2000-VIII ; Olsson c. Suède (no 2), 27 novembre 1992, série A no 250,
pp. 35-36, § 90 ; Olsson c. Suède (no 1) du 24 mars
1988, série A no 130, § 81 ; P., C. et S. c. Royaume-Uni, no 56547/00, § 150,
CEDH 2002-VI ; Pisano c. Italie, (déc.), no 10504/02, 29 septembre 2005 ; Roda
et Bonfatti c. Italie, précité, §§ 113-114 ; Scozzari et Giunta c. Italie [GC], nos 39221/98 et
41963/98, Recueil 2000-VIII, § 177 ; Stubbings et
autres c. Royaume-Uni du 24 septembre 1996, Recueil 1996-IV, § 64 ; Ticli et Mancuso c. Italie, no
38301/97 du 23 mars 1999 ; W., B. et R. c. Royaume-Uni, 8 juillet 1987, série A
no 121, respectivement p. 27, § 60, p. 72, § 61, et p. 117, § 65 ; Wallová et Walla c. République
tchèque, no 23848/04, § 47, 26 octobre 200 ; Z. et autres c. Royaume-Uni [GC],
no 29392/95.
Les mots « prévue par la loi » imposent
non seulement que la mesure incriminée ait une base en droit interne, mais
visent aussi la qualité de la loi en cause : ainsi, celle-ci doit être
accessible au justiciable et prévisible.
REYHAN C.
TURQUIE (NO 2)
23.09.2008
Violation de l’article 8 § 2
L’affaire concerne l’interception
par les autorités pénitentiaires de deux cassettes audio en langue kurde qui
étaient destinées au requérant. L’intéressé se plaignit en vain de l’illégalité
de cette interception devant les juridictions turques, celles-ci se référant à
une instruction du ministère de la Justice qui interdisait l’introduction en
prison de cassettes en langue kurde. Il invoquait notamment l’article 8 (droit
au respect de la correspondance).
La Cour estime que l’interception des
cassettes audio adressées au requérant par courrier constituait une ingérence
dans son droit au respect de sa correspondance au sens de l’article 8 § 2 de la
Convention. Pareille ingérence méconnaît l’article 8 sauf si, « prévue par
la loi », elle poursuit un ou des buts légitimes au regard du paragraphe 2
et, de plus, est « nécessaire dans une société démocratique » pour
les atteindre.
La Cour rappelle sa jurisprudence constante
selon laquelle les mots « prévue par la loi » imposent non seulement
que la mesure incriminée ait une base en droit interne, mais visent aussi la
qualité de la loi en cause : ainsi, celle-ci doit être accessible au
justiciable et prévisible L’accessibilité signifie que « le citoyen doit
pouvoir disposer de renseignements suffisants, dans les circonstances de la
cause, sur les normes juridiques applicables à un cas donné ». L’exigence
d’accessibilité s’avère remplie dès lors que la « base légale » a
fait l’objet d’une publication.
En l’espèce, la direction de la prison
informa le requérant, le lendemain, que deux cassettes audio en langue kurde
avaient été interceptées conformément à l’instruction du ministère de la
Justice. À l’époque des faits, le contrôle de la correspondance des détenus
reposait sur les articles 144 et 149 du règlement relatif à la direction des
établissements pénitentiaires et à l’exécution des peines. À cet égard, la Cour
rappelle avoir déjà eu l’occasion de constater que la réglementation en
question n’indique pas avec suffisamment de clarté l’étendue et les modalités
du pouvoir d’appréciation des autorités dans le domaine considéré. Elle a de
même relevé que son application pratique n’apparaissait pas pallier cette
carence.
Quant à l’instruction ministérielle évoquée
par l’administration pénitentiaire pour justifier l’interception des cassettes
à destination du requérant, la Cour note qu’il s’agit d’une instruction donnée
sur requête du procureur de la République d’Aydın. Confrontée à la
question de l’introduction de cassettes en langue kurde dans la prison, l’administration
pénitentiaire a consulté, par l’intermédiaire du procureur de la République, le
ministère de la Justice. En réponse, le ministère rédigea l’instruction du
26 mai 1997, laquelle fut communiquée à l’administration pénitentiaire le
4 juin 1997.
À supposer que l’instruction ministérielle
du 26 mai 1997 constitue une « base légale » au sens de l’article 8
de la Convention, la Cour estime qu’elle n’était pas accessible pour le
requérant. Sur ce point, elle observe que le requérant n’a pu avoir accès à ladite
instruction que le 23 décembre 1999. À cette date, il demanda à
l’administration pénitentiaire la remise d’une copie de l’instruction
litigieuse aux fins d’introduction de la présente requête. C’est ainsi que le
requérant a pu obtenir une copie de l’instruction et avoir accès à son contenu.
Il ne ressort pas des éléments du dossier que l’instruction en question ait
fait l’objet d’une publication ou que les détenus aient été informés de son
contenu, notamment au moyen d’un affichage. Le Gouvernement n’allègue
d’ailleurs pas que le document en question était publié ou que le requérant
avait pris connaissance de son contenu avant le 23 décembre 1999. Dans ces
conditions, la Cour conclut que l’exigence d’accessibilité n’était pas remplie
dans la présente affaire et que, par conséquent, l’ingérence dans le droit du
requérant au respect de sa correspondance n’était pas prévue par la loi.
Partant, il y a eu violation de l’article 8 de la Convention.
Reyhan
c. Turquie 23 septembre 2008 Jurisprudence : Ospina Vargas c. Italie, no 40750/98,
§ 43, 14 octobre 2004 ; Calogero
Diana c. Italie, arrêt du 15 novembre 1996, Recueil des arrêts et décisions
1996-V, p. 1775, § 28 ; Rotaru c. Roumanie [GC], no
28341/95, § 52, CEDH 2000- V ; Sunday Times c. Royaume-Uni (no 1),
arrêt du 26 avril 1979, série A no 30, § 49, et Silver et autres, § 87 ; Karademirci et autres c. Turquie, nos 37096/97 et 37101/97,
§ 36, CEDH 2005-I ; Tan c.
Turquie, no 9460/03, §§ 22-24, 3 juillet 2007.
La perquisition effectuée en l’absence d’un
contrôle judiciaire préalable est une atteinte au droit au respect de son
domicile, laissée à la discrétion de la police
30.09.2008
violation de l’article 8
En novembre 2000, un policier s’introduisit
dans l’atelier professionnel du requérant, affecté également à un usage
d’habitation, sans y avoir été invité par l’intéressé et sans mandat
judiciaire. La perquisition fut effectuée à la suite d’informations fournies
par des artisans riverains concernant la consommation de produits stupéfiants.
Le requérant porta plainte le lendemain, mais aucune enquête pénale ne put être
engagée à l’encontre du policier dans la mesure où le conseil d’administration
de la sous-préfecture, statuant sur le rapport d’enquête établi par le
commissaire de police qui avait été chargé d’instruire l’affaire, décida de ne
pas l’autoriser. Invoquant les articles 8 (droit au respect de la vie privée et
familiale) et 13 (droit à un recours effectif), le requérant se plaignait de
l’atteinte portée à son droit au respect de son domicile.
La Cour relève qu’à l’époque des
faits, la police pouvait procéder à une perquisition sans autorisation
préalable dans les cas où un retard pouvait être préjudiciable à une enquête et
qu’elle avait compétence pour apprécier seule l’opportunité d’une perquisition
et l’ampleur de celle-ci. En l’espèce, la Cour ne voit pas de raison pour
justifier l’absence d’un contrôle judiciaire préalable et dit qu’il s’agissait
d’une atteinte au droit du requérant au respect de son domicile, laissée à la
discrétion de la police. De surcroît, la Cour observe qu’à l’époque des faits
le requérant ne bénéficiait pas d’une voie de recours
effective pour faire contrôler, par un juge, la légalité et le bien-fondé de la
perquisition. Par conséquent, la Cour conclut à l’unanimité à la violation de
l’article 8. (Arrêt en français.)
Isildak C. Turquie 30 septembre 2008 Jurisprudence : Assenov
et autres c. Bulgarie, arrêt du 28 octobre 1998, Recueil 1998-VIII, § 86 ; Camenzind c. Suisse, arrêt du 16 décembre 1997, Recueil
1997-VIII, §§ 44-45 ; Chappell c. Royaume-Uni, arrêt du 30 mars 1989, série A
no 152-A, pp. 12-13, § 26, et p. 26, § 63 ; Fazil
Ahmet Tamer et autres c. Turquie, no 19028/02, § 75,
24 juillet 2007 ; Khamidov c. Russie, no 72118/01, §
131, CEDH 2007-... (extraits) ; Miailhe
c. France, arrêt du 25 février 1993, série A no 256-C, p. 89, §§ 36-37 ; Nazif Yavuz c. Turquie, no
69912/0, § 49, 12 janvier 2006 ; Niemietz c.
Allemagne, arrêt du 16 décembre 1992, §§ 30, 31, série A no 251-B ; Prokopovitch c. Russie, no 58255/00, § 36, CEDH 2004-XI
(extraits) ; R.L. et M.-J.D. c. France (déc.), no 44568/98, 18 septembre 2003 ;
Senay Aksoy (Eroglu) c. Turquie (déc.), no 59741/00, 3 novembre 2005 ;
Société Colas Est et autres c. France, no 37971/97, §§ 40-41, CEDH 2002-III ; Sunal c. Turquie, no 43918/98, § 60, 25 janvier 2005 ;
Varga c. Roumanie, no 73957/01, §§ 60, 70, 72, 1 avril 2008 ; Yavuz et autres c. Turquie, (déc.), no 29870/96, 25 mai
2000
Les autorités disposent d'une ample marge
d’appréciation en matière d'enquête pour déterminer d’éventuelles mesures de
protection des enfants
K.T. c. NORVEGE
25/09/2008
Non-violation
de l'art. 8 ; Non-violation de l'art. 6-1
Le requérant qui avait, depuis le départ de son ex-femme pour la
Finlande en 2001, la garde de leurs deux garçons, se plaint d’une enquête menée
par les services de protection de l’enfance pour déterminer la nécessité
d’éventuelles mesures de protection des enfants. Il invoque l’article 8.
Il fait également grief aux juridictions norvégiennes d’avoir refusé d’examiner
son affaire sur le fond, en violation du droit d’accès à un tribunal et du
droit à un recours effectif).
A l’unanimité, la Cour conclut à l’absence de violation de
l’article 8, considérant que la deuxième enquête mise en cause par le
requérant, y compris les modalités de sa réalisation, pouvait passer pour
nécessaire au sens de l’article 8 § 2. Elle estime notamment que rien n’indique
que l’appréciation faite par les autorités de la nécessité de mener une
nouvelle enquête soit allée au-delà de l’ample marge d’appréciation dont ces
autorités disposaient, et que les services de protection de l’enfance n’ont pas
rompu le juste équilibre requis entre l’intérêt du requérant à maintenir la
confidentialité de certaines données personnelles et les intérêts supérieurs
des enfants.
Par six voix contre une, la Cour conclut à l’absence de violation
de l’article 6 § 1, relevant en particulier que si les juridictions inférieures
ont débouté le requérant sans examen au fond de ses griefs, la Cour suprême a
quant à elle procédé à pareil examen avant de statuer. La Cour juge par
ailleurs, à l’unanimité, qu’il ne s’impose pas d’examiner l’affaire sous
l’angle de l’article 13. (Arrêt en anglais.)
K.T. c. Norvege n° 26664/03 Opinions Séparées Oui Jurisprudence : Anne-Marie Andersson c.
Suède (déc.) n° 220022/92, 22 mai 1995 ; Anne-Marie Andersson c. Suède arrêt du
27 août 1997, Recueil of Judgments et Decisions 1997-IV ; Ashingdane c.
Royaume-Uni, arrêt du 28 mai 1985, série A n° 93, pp. 24-25, § 55 et § 57 ; De Geouffre de la Pradelle c.
France, arrêt du 16 décembre 1992, série A n° 253-B, p. 43, § 37 ; Fischer c.
Autriche, arrêt du 26 avril 1995, série A n° 312, p. 18, § 34 ; Fogarty c. Royaume-Uni [GC], n° 37112/97, § 117 et § 120,
CEDH 2001-XI (extraits) ; Golder c. Royaume-Uni,
arrêt du 21 février 1975, série A n° 18, § 36 et § 39 ; James et autres c.
Royaume-Uni, arrêt du 21 février 1986, série A n° 98 ; Johansen
c. Norvège, arrêt du 7 août 1996, Recueil of Judgments
et Decisions 1996-III, pp. 1003-1004, § 64 ; Kerojärvi c. Finlande, 19 juillet 1995, série A n° 322, p.
12, § 32 ; Kutzner c. Allemagne, n° 46544/99, § 66,
CEDH 2002-I ; Le Compte, Van Leuven et De Meyere c.
Belgique, arrêt du 23 juin 1981, série A n° 43, p. 20, § 44 ; Masson et Van Zon c. Pays-Bas, arrêt du 28 septembre 1995, série A n°
327-A, p. 19, § 49 ; McElhinney c. Irlande [GC], n°
31253/96, § 23, 21 novembre 2001 ; Sporrong et Lönnroth c. Suède, arrêt du 23 septembre 1982, série A n°
52, p. 30, § 81, et p. 32, § 88 ; Stubbings et autres
c. Royaume-Uni, arrêt du 22 octobre 1996, Recueil 1996-IV, pp. 1502-03, §§
51-52 ; Tolstoy Miloslavsky
c. Royaume-Uni, arrêt du 13 juillet 1995, série A n° 316-B, pp. 80-81, §§ 62-67
; Tre Traktörer AB c.
Suède, arrêt du 7 juillet 1989, série A n° 159, p. 18, § 40 ; Vilho Eskelinen et autres c.
Finlande [GC], n° 63235/00, §§ 40-64, CEDH 2007 ; Z c. Finlande, arrêt du 25
février 1997, Recueil of Judgments et Decisions 1997-I, §§ 81, 99 et 101 ; Zander
c. Suède, 25 novembre 1993, série A n° 279-B, p. 38, § 22 ; Zumtobel
c. Autriche, arrêt du 21 septembre 1993, série A n° 268-A, p. 10, § 32
La Cour estime que les autorités
judiciaires italiennes ont déployé tous les efforts nécessaires pour protéger
l’intérêt primordial de l’enfant
KOONS C. ITALIE
Le requérant, ressortissant américain, et
Mme S., hongroise naturalisée italienne se disputent la garde exclusive de leur
enfant devant les juridictions italiennes depuis 1994. M. Koons
se plaignait des décisions des juridictions italiennes, d’une part, de
maintenir l’enfant sur le territoire italien, empêchant ainsi son fils de se
rendre chez lui aux Etats-Unis, et, d’autre part, de confier sa garde à la
mère, puis aux services sociaux de Rome, puis à nouveau à la mère.
La Cour relève notamment que les autorités
italiennes se sont livrées à un examen approfondi de l’ensemble de la situation
familiale et à l’appréciation des intérêts respectifs de chacun, et surtout de
L.M., afin de parvenir à la solution la plus à même de fournir à ce dernier un
cadre de vie stable, condition nécessaire pour son développement sain et
équilibré. Elle estime que les autorités judiciaires italiennes ont déployé
tous les efforts nécessaires pour protéger l’intérêt primordial de l’enfant,
tout en reconnaissant toujours le droit de visite du requérant, dans une
situation difficile caractérisée par des querelles perpétuelles entre les
parties et leur incapacité à mettre le bien-être de leur fils au cœur de leurs
préoccupations. La Cour conclut par cinq voix contre deux à la non-violation de
l’article 8. (Arrêt en français.)
Koons c.
Italie n° 68183/01 30
septembre 2008 Jurisprudence : Eriksson c. Suède du 22 juin 1989, série
A no 156, pp. 26-27, § 71 ; Eskinazi et Chelouche c. Turquie (déc.), no 14600/05, CEDH 2005-..., §
62 ; Hokkanen c. Finlande du 23 septembre 1994, série
A no 299-A, §§ 55, 58 ; Iglesias Gil et A.U.I. c.
Espagne, no 56673/00, § 51, CEDH 2003-V ; Ignacolo-Zenide
c. Roumanie, no 31679/96, §§ 94, 95, CEDH 2000-I ; Keegan
c. Irlande du 26 mai 1994, série A no 290, p. 19, § 49 ; Maire c. Portugal, no
48206/99, §§ 68, 72, CEDH 2003-VII ; Margareta et
Roger Andersson c. Suède du 25 février 1992, série A no 226-A, p. 30, § 91 ; Olsson c. Suède (no 2) du 27 novembre 1992, série A no 250,
pp. 35-36, § 90 Sources Externes : Convention de La Haye du 25
octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants, Convention
relative aux droits de l’enfant du 20 novembre 1989
La Cour a énuméré les critères devant être utilisés pour
l'appréciation de la question de savoir si une mesure d'expulsion était nécessaire
dans une société démocratique et proportionnée au but légitime poursuivi. Ces
critères sont les suivants :– la nature et la gravité de
l'infraction commise par le requérant ;– la durée du séjour de
l'intéressé dans le pays dont il doit être expulsé ;– le laps
de temps qui s'est écoulé depuis l'infraction, et la conduite du requérant
pendant cette période ;– la nationalité des diverses personnes
concernées ;– la situation familiale du requérant, et
notamment, le cas échéant, la durée de son mariage, et d'autres facteurs
témoignant de l'effectivité d'une vie familiale au sein d'un
couple ;– la question de savoir si le conjoint avait
connaissance de l'infraction à l'époque de la création de la relation
familiale ;– la question de savoir si des enfants sont issus du
mariage et, dans ce cas, leur âge ; et– la gravité des
difficultés que le conjoint risque de rencontrer dans le pays vers lequel le
requérant doit être expulsé.
GRANDE CHAMBRE
MASLOV c.
Autriche
23 juin 2008
Le requérant se plaint de
l'interdiction de séjour prononcée contre lui et de son expulsion ultérieure
vers la Bulgarie. Il invoque l'article 8 de la Convention.
L'arrêt de la chambre
Décision de la Cour
Sur l'existence d'une ingérence dans le
droit du requérant au respect de sa vie privée et familiale
La
Cour estime que l'imposition et l'exécution de la mesure d'interdiction de
séjour prononcée contre le requérant constituent une ingérence dans l'exercice
par l'intéressé de son droit au respect de sa « vie privée et familiale ».
Elle rappelle que la question de l'existence d'une vie familiale au sens de
l'article 8 doit s'apprécier à la lumière de la situation à l'époque où la
mesure d'interdiction de séjour est devenue définitive.
Le
requérant était mineur au moment de l'imposition de l'interdiction de séjour.
Il a atteint l'âge de la majorité, c'est-à-dire dix-huit ans, lorsque la mesure
est devenue définitive, en novembre 2002, après le prononcé par la Cour
constitutionnelle de sa décision, mais il vivait encore avec ses parents. En
tout état de cause, la Cour a admis dans un certain nombre d'affaires
concernant de jeunes adultes qui n'avaient pas encore fondé leur propre famille
que leurs liens avec leurs parents et d'autres membres de leur famille proche
s'analysaient également en une « vie familiale ».
En
outre, la Cour rappelle que tous les immigrés établis, indépendamment de la
durée de leur résidence dans le pays dont ils sont censés être expulsés, n'ont
pas nécessairement une « vie familiale » au sens de l'article 8.
Toutefois, dès lors que l'article 8 protège également le droit de nouer et
entretenir des liens avec ses semblables et avec le monde extérieur et qu'il
englobe parfois des aspects de l'identité sociale d'un individu, il faut
accepter que l'ensemble des liens sociaux entre les immigrés établis et la
communauté dans laquelle ils vivent font partie
intégrante de la notion de « vie privée » au sens de l'article 8.
Indépendamment de l'existence ou non d'une « vie familiale »,
l'expulsion d'un immigré établi s'analyse en une atteinte à son droit au
respect de sa vie privée. C'est en fonction des circonstances de l'affaire
portée devant elle que la Cour décidera s'il convient de mettre l'accent sur
l'aspect « vie familiale » plutôt que sur l'aspect « vie
privée ».
En
conséquence, les mesures litigieuses portent atteinte à la fois à la « vie
privée » du requérant et à sa « vie familiale ».
Pareille
ingérence enfreint l'article 8 de la Convention, sauf si elle peut se justifier
sous l'angle du paragraphe 2 de cet article, c'est-à-dire si, « prévue par
la loi », elle poursuit un ou des buts légitimes énumérés dans cette
disposition et est « nécessaire, dans une société démocratique »,
pour le ou les atteindre.
« Prévue
par la loi »
La
mesure litigieuse avait une base en droit interne, à savoir l'article 36 §
1 de la loi de 1997 sur les étrangers. Le requérant ne maintient pas l'argument
selon lequel la Cour administrative a arbitrairement refusé d'appliquer
l'article 38 § 1 (4) de cette loi. La Grande Chambre observe, à l'instar de la
chambre, que, d'après la jurisprudence constante de la Cour administrative,
l'article 38 § 1 (4) s'applique uniquement aux étrangers ayant vécu en Autriche
depuis l'âge de trois ans au plus et qui ont résidé légalement dans ce pays. Le
requérant n'est arrivé en Autriche qu'à l'âge de six ans. La Grande Chambre ne
voit donc aucune raison de s'écarter de la conclusion de la chambre selon
laquelle l'ingérence litigieuse était « prévue
par la loi ».
But légitime
Il
n'est pas contesté que l'ingérence poursuit un but légitime, à savoir la
« défense de l'ordre et la prévention des infractions pénales ».
« Nécessaire dans une
société démocratique »
a) Principes
généraux
La
question essentielle à trancher est celle de savoir si l'ingérence est
« nécessaire dans une société démocratique ». Les principes
fondamentaux en la matière sont bien établis dans la jurisprudence de la Cour
et ont été récemment résumés comme suit:
« La Cour réaffirme
d'emblée que, d'après un principe de droit international bien établi, les Etats
ont le droit, sans préjudice des engagements découlant pour eux de traités, de
contrôler l'entrée des non-nationaux sur leur sol. La Convention ne garantit
pas le droit pour un étranger d'entrer ou de résider dans un pays particulier,
et, lorsqu'ils assument leur mission de maintien de l'ordre public, les Etats
contractants ont la faculté d'expulser un étranger délinquant. Toutefois, leurs
décisions en la matière, dans la mesure où elles porteraient atteinte à un
droit protégé par le paragraphe 1 de l'article 8, doivent avoir une base
légale et se révéler nécessaires dans une société démocratique, c'est-à-dire
justifiées par un besoin social impérieux et, notamment, proportionnées au but
légitime poursuivi.
La Cour considère que ces
principes s'appliquent indépendamment de la question de savoir si un étranger
est entré dans le pays hôte à l'âge adulte ou à un très jeune âge ou encore
s'il y est né. Elle renvoie sur ce point à la Recommandation 1504 (2001) sur la
non-expulsion des immigrés de longue durée, dans laquelle l'Assemblée
parlementaire du Conseil de l'Europe recommandait que le Comité des Ministres
invite les Etats membres, entre autres, à garantir que les immigrés de longue
durée nés ou élevés dans le pays hôte ne
puissent en aucun cas être expulsés. Si un certain nombre d'Etats contractants
ont adopté des lois ou des règlements prévoyant que les immigrés de longue
durée nés sur leur territoire ou arrivés sur leur territoire à un jeune âge ne
peuvent être expulsés sur la base de leurs antécédents judiciaires, un droit
aussi absolu à la non-expulsion ne peut être dérivé de l'article 8 de la
Convention, dont le paragraphe 2 est libellé en des termes qui autorisent
clairement des exceptions aux droits généraux garantis dans le paragraphe 1.
Même si, dans ces conditions,
l'article 8 de la Convention ne confère pas à une quelconque catégorie
d'étrangers un droit absolu à la non-expulsion, la jurisprudence de la Cour
démontre amplement qu'il y a des circonstances dans lesquelles l'expulsion d'un
étranger emporte violation de cette disposition .
La Cour a énuméré les critères devant être utilisés pour
l'appréciation de la question de savoir si une mesure d'expulsion était
nécessaire dans une société démocratique et proportionnée au but légitime
poursuivi. Ces critères sont les suivants :
– la nature et la
gravité de l'infraction commise par le requérant ;
– la durée du
séjour de l'intéressé dans le pays dont il doit être expulsé ;
– le laps de temps
qui s'est écoulé depuis l'infraction, et la conduite du requérant pendant cette
période ;
– la nationalité
des diverses personnes concernées ;
– la situation
familiale du requérant, et notamment, le cas échéant, la durée de son mariage,
et d'autres facteurs témoignant de l'effectivité d'une vie familiale au sein
d'un couple ;
– la question de
savoir si le conjoint avait connaissance de l'infraction à l'époque de la
création de la relation familiale ;
– la question de
savoir si des enfants sont issus du mariage et, dans ce cas, leur âge ; et
– la gravité des
difficultés que le conjoint risque de rencontrer dans le pays vers lequel le
requérant doit être expulsé.
La Cour souhaite expliciter
deux critères:
– l'intérêt et le
bien-être des enfants, en particulier la gravité des difficultés que les
enfants du requérant sont susceptibles de rencontrer dans le pays vers lequel
l'intéressé doit être expulsé ; et
– la solidité des
liens sociaux, culturels et familiaux avec le pays hôte et avec le pays de
destination.
Quant au premier point, la
Cour note qu'il se reflète déjà dans sa jurisprudence actuelle et qu'il rejoint
la Recommandation du Comité des Ministres Rec(2002)4
sur le statut juridique des
personnes admises au regroupement familial.
La Cour juge que ces critères s'appliquent à plus forte raison dans les cas
où les requérants sont nés dans le pays hôte ou y sont arrivés à un jeune âge.
En effet, le motif sous-jacent à la décision de faire de la durée du séjour
d'une personne dans le pays hôte l'un des éléments à prendre en considération
réside dans la supposition que plus longtemps une personne réside dans un pays
particulier, plus forts sont ses liens avec ce pays et plus faibles sont ses
liens avec son pays d'origine. A la lumière de ces considérations, il est
évident que la Cour tiendra compte de la situation particulière des étrangers
qui ont passé la majeure partie, sinon l'intégralité, de leur enfance dans le
pays hôte, qui y ont été élevés et qui y ont reçu leur éducation.
La
Cour a pris soin d'établir les critères – implicites dans sa jurisprudence
antérieure – à appliquer pour apprécier la nécessité, dans une société
démocratique, d'une mesure d'expulsion et son caractère proportionné au but
légitime poursuivi.
La
Cour souligne que si les critères ressortant de sa jurisprudence visent à
faciliter l'application de l'article 8 par les juridictions internes dans les
affaires d'expulsion, leur poids respectif varie inévitablement selon les
circonstances particulières de chaque affaire. En outre, il y a lieu de garder
à l'esprit que, lorsque, comme en l'espèce, l'ingérence dans l'exercice par le
requérant des droits protégés par l'article 8 poursuit le but légitime de la
défense de l'ordre et de la prévention des infractions pénales, les critères
susmentionnés doivent finalement aider à évaluer dans quelle mesure le
requérant risque de provoquer des troubles ou de se livrer à des actes
criminels.
Lorsque,
comme c'est le cas ici, la personne qui doit être expulsée est un jeune adulte
qui n'a pas encore fondé sa propre famille, les critères pertinents sont les
suivants :
– la nature et la gravité de
l'infraction commise par le requérant ;
– la durée du séjour de
l'intéressé dans le pays dont il doit être expulsé ;
– le laps de temps qui s'est
écoulé depuis l'infraction et la conduite du requérant durant cette
période ;
– la solidité des liens sociaux,
culturels et familiaux avec le pays hôte et avec le pays de destination.
La
Cour tient également à préciser que l'âge de la personne concernée peut jouer
un rôle dans l'application de certains des critères susmentionnés. Par exemple,
pour apprécier la nature et la gravité de l'infraction commise par un
requérant, il y a lieu d'examiner s'il l'a perpétrée alors qu'il était
adolescent ou à l'âge adulte.
Par
ailleurs, lorsque l'on examine la durée du séjour du requérant dans le pays
dont il doit être expulsé et la solidité de ses liens sociaux, culturels et
familiaux avec le pays hôte, la situation n'est évidemment pas la même si la
personne concernée est arrivée dans le pays dès son enfance ou sa jeunesse,
voire y est née, ou si elle y est seulement venue à l'âge adulte. Cette
différenciation apparaît également dans divers instruments du Conseil de
l'Europe, en particulier dans les recommandations Rec(2001)15
et Rec(2002)4 du Comité des Ministres.
Même
si l'article 8 ne confère pas à une quelconque catégorie d'étrangers, y compris
à ceux qui sont nés dans le pays hôte ou qui y sont arrivés à un jeune âge, un
droit absolu à la non-expulsion, la Cour a déjà estimé qu'il fallait tenir
compte de la situation spéciale des étrangers qui ont passé la majeure partie,
sinon l'intégralité, de leur enfance dans le pays hôte, qui y ont été élevés et
qui y ont reçu leur éducation.
En
résumé, la Cour considère que, s'agissant d'un immigré de longue durée qui a
passé légalement la majeure partie, sinon l'intégralité, de son enfance et de
sa jeunesse dans le pays d'accueil, il y a lieu d'avancer de très solides raisons
pour justifier l'expulsion, surtout lorsque la personne concernée a commis les
infractions à l'origine de la mesure d'expulsion pendant son adolescence.
Enfin,
la Cour rappelle que les autorités nationales jouissent d'une certaine marge
d'appréciation pour se prononcer sur la nécessité, dans une société
démocratique, d'une ingérence dans l'exercice d'un droit protégé par l'article
8 et sur la proportionnalité de la mesure en question au but légitime
poursuivi. Toutefois, selon la jurisprudence constante de la Cour, la tâche de
celle-ci consiste à déterminer si les mesures litigieuses ont respecté un juste
équilibre entre les intérêts en présence, à savoir, d'une part, les droits de
l'intéressé protégés par la Convention et, d'autre part, les intérêts de la
société. Cette marge d'appréciation va de pair avec un contrôle européen
portant à la fois sur la loi et sur les décisions qui l'appliquent, même quand
elles émanent d'une juridiction indépendante. La Cour a donc compétence pour
statuer en dernier lieu sur le point de savoir si une mesure d'expulsion se
concilie avec l'article 8.
b) Application des
principes susmentionnés au cas d'espèce
La nature et la gravité des infractions
commises par le requérant
La
Cour relève que le requérant a commis les infractions en question sur une
période de un an et trois mois, à savoir entre novembre 1998 et janvier 2000,
alors qu'il avait entre quatorze et quinze ans.
En
septembre 1999, l'intéressé fut reconnu coupable une première fois de
vingt-deux chefs de vol avec effraction aggravé commis en bande et de
tentatives de vol avec effraction aggravé en bande, de constitution d'une
bande, de chantage, de voies de fait et d'utilisation non autorisée d'un
véhicule. Il fut condamné à dix-huit mois d'emprisonnement, dont treize
assortis d'un sursis avec mise à l'épreuve. En outre, il fut sommé de suivre
une cure de désintoxication pour toxicomanie.
La
seconde fois, en mai 2000, le requérant fut reconnu coupable de dix-huit chefs
de vol avec effraction aggravé ou de tentatives de vol avec effraction aggravé
et se vit infliger une peine de quinze mois d'emprisonnement. Etant donné qu'il
n'avait pas suivi de cure de désintoxication, le tribunal révoqua le sursis
dont était assortie la première peine.
Avec
la chambre, la Grande Chambre estime que les infractions commises par le
requérant revêtaient une certaine gravité et que celui-ci a été sanctionné par
de lourdes peines, à savoir une peine ferme de deux ans et neuf mois au total.
D'après le Gouvernement, ces infractions doivent passer pour avoir le même
degré de gravité que les infractions à la législation sur les stupéfiants, le
requérant, toxicomane, les ayant perpétrées pour financer sa consommation de
stupéfiants. La Cour ne partage pas ce point de vue. Il est vrai que,
s'agissant de trafic de stupéfiants, elle conçoit que les autorités nationales
fassent preuve de fermeté à l'égard de ceux qui contribuent à la propagation de
ce fléau. Toutefois, elle n'a pas la même approche en ce qui concerne les
personnes condamnées pour consommation de stupéfiants.
De
l'avis de la Cour, l'aspect déterminant en l'occurrence est le jeune âge auquel
le requérant a commis les infractions et leur caractère non violent, à une
exception près. Après avoir examiné le comportement qui a valu au requérant
d'être condamné, la Cour relève que la plupart des infractions concernaient des
vols avec effraction de distributeurs automatiques, de voitures, de magasins et
de restaurants ainsi que des vols d'argent et de marchandises. Le requérant
s'est rendu coupable de la seule infraction avec violence en cause lorsqu'il a
poussé un autre garçon et lui a donné des coups de pied, lui infligeant ainsi
des contusions. Sans sous-estimer la gravité de ces actes et les dommages ainsi
causés, la Cour estime que l'on peut tout de même les tenir pour des actes de
délinquance juvénile.
Pour
la Cour, lorsque les infractions commises par un mineur sont à l'origine d'une
interdiction de séjour, il y a lieu de prendre en compte l'intérêt supérieur de
l'enfant. La jurisprudence de la Cour relative à l'article 8 fait état de cette
obligation dans divers contextes, y compris l'expulsion d'étrangers. La Cour
estime que l'obligation de tenir compte de l'intérêt supérieur de l'enfant
s'applique également lorsque la personne qui doit être expulsée est elle-même
mineure ou lorsque – comme en l'espèce – l'expulsion est motivée par des
infractions que l'intéressé a commises alors qu'il était mineur. A ce propos,
la Cour observe que le droit communautaire offre également aux mineurs une
protection particulière contre l'expulsion . En outre,
l'obligation de tenir compte de l'intérêt supérieur de l'enfant se trouve
consacrée à l'article 3 de la Convention des Nations unies relative aux droits
de l'enfant.
En ce
qui concerne l'expulsion d'un délinquant juvénile, la Cour estime que
l'obligation de tenir compte de l'intérêt supérieur de l'enfant exige aussi de
faciliter la réintégration de celui-ci. A cet égard, elle note que l'article 40
de la Convention relative aux droits de l'enfant fait de la réintégration un
but de la justice pour mineurs. De l'avis de la Cour, ce but ne peut pas être
atteint si les liens familiaux et sociaux sont rompus par l'expulsion, qui doit
demeurer une mesure de dernier recours dans le cas d'un délinquant juvénile. A
son sens, les autorités autrichiennes n'ont pas accordé suffisamment de
considération à ces aspects.
En
résumé, la Cour estime que l'expulsion d'un immigré de longue durée en raison
d'infractions pour la plupart non violentes commises alors qu'il était mineur
ne peut guère se justifier.
A
l'inverse, la Cour a bien précisé que des infractions à caractère très violent
peuvent justifier une expulsion, même lorsqu'elles sont commises par un mineur.
Toutefois, dans les affaires d'expulsion, pareille question ne se pose que dans
le cas où un long délai s'écoule entre la décision définitive imposant
l'interdiction de séjour et l'expulsion effective.
A cet
égard, la Cour souligne qu'elle a pour tâche d'apprécier la compatibilité avec
la Convention de l'expulsion effective du requérant, et non celle de l'arrêté
définitif d'expulsion. Il semblerait que ce soit là aussi, mutatis mutandis, la démarche adoptée par la Cour de
justice des Communautés européennes qui, dans son arrêt Orfanopoulos et Oliveri, a
dit que l'article 3 de la Directive 64/221 s'oppose à une pratique nationale
voulant que, pour vérifier la légalité de l'expulsion d'un ressortissant d'un
autre Etat membre, les juridictions nationales ne prennent pas en considération
des éléments de fait intervenus après la dernière décision des autorités
compétentes. Par conséquent, dans de telles affaires, il incombe à l'Etat
d'organiser son système de manière à pouvoir tenir compte de faits nouveaux.
Cette démarche n'est pas incompatible avec l'appréciation de l'existence d'une
« vie familiale » au moment où l'interdiction de séjour devient
définitive, en l'absence de tout élément indiquant que la « vie
familiale » du requérant a cessé après cette date. Et quand bien même ce
serait le cas, le requérant pourrait toujours invoquer la protection de son
droit au respect de sa « vie privée » au sens de l'article 8.
Le
Gouvernement signale à ce propos qu'une procédure permettant de contrôler si
les conditions justifiant une interdiction de séjour persistent peut être
engagée soit à la demande du requérant soit à l'initiative des autorités. Il
s'ensuit qu'en l'espèce les autorités internes avaient la possibilité de
procéder à une nouvelle appréciation.
Partant,
la Cour tiendra compte de la conduite du requérant depuis le moment où il a
commis sa dernière infraction, en janvier 2000, jusqu'à son expulsion
effective, en décembre 2003. Sur cette période de près de trois ans et onze
mois, l'intéressé a passé deux ans et trois mois et demi en prison, du 11
février 2000 au 24 mai 2002. Après sa libération et jusqu'au 27 novembre
2003, date à laquelle il a été placé en détention en vue de son expulsion, il
est resté encore un an et demi en Autriche sans commettre de nouvelles infractions.
Toutefois, la Cour ne sait pas grand-chose sur la conduite du requérant en
prison – si ce n'est qu'il n'a pas bénéficié d'une libération anticipée – et
elle ignore encore davantage dans quelle mesure la situation de l'intéressé
s'est stabilisée après sa libération. Dès lors, à la différence de la chambre,
elle estime que « le laps de temps écoulé depuis les infractions et la
conduite du requérant pendant cette période » revêtent moins d'importance
par rapport aux autres critères, en particulier le fait que le requérant a
commis des infractions pour la plupart à caractère non violent alors qu'il
était mineur.
La solidité des liens sociaux,
culturels et familiaux avec le pays hôte et le pays d'origine
La
Cour observe que le requérant a passé les années de formation de son enfance et
de sa jeunesse en Autriche. Il parle la langue allemande et a reçu toute son
éducation en Autriche, où vivent tous ses proches. Il a donc ses principaux
liens sociaux, culturels et familiaux dans ce pays.
Quant
aux liens de l'intéressé avec son pays d'origine, la Cour relève qu'il a
expliqué de manière convaincante qu'au moment de son expulsion il ne parlait
pas la langue bulgare, étant donné que sa famille appartenait à la communauté
turque en Bulgarie. Le requérant ne lisait ni n'écrivait le cyrillique, ce qui
n'est pas contesté, puisqu'il n'a jamais été scolarisé en Bulgarie. Il n'a pas
non plus été démontré ni même allégué qu'il avait d'autres liens étroits avec
son pays d'origine.
La durée de l'interdiction de séjour
Enfin,
pour apprécier la proportionnalité de l'ingérence, la Cour tient compte de la
durée de l'interdiction de séjour. Se référant à la jurisprudence de la Cour,
la chambre a souligné à juste titre que la durée d'une mesure d'interdiction de
séjour devait passer pour un facteur parmi d'autres.
La
Grande Chambre partage l'avis de la chambre selon lequel la durée limitée de
l'interdiction de séjour n'est pas décisive en l'espèce. Vu son jeune âge, dix
ans d'interdiction de séjour représentent presque autant que ce que le
requérant a vécu en Autriche, alors qu'il se trouve à une période déterminante
de son existence.
Conclusion
Eu
égard à ce qui précède, en particulier au caractère non violent à une exception près –
des infractions commises par le requérant alors qu'il était mineur et à
l'obligation de l'Etat de faciliter la réintégration de l'intéressé dans la
société, à la durée pendant laquelle le requérant a séjourné légalement en
Autriche, à ses liens familiaux, sociaux et linguistiques avec l'Autriche et à
l'absence de liens démontrés avec le pays d'origine, la Cour estime que
l'imposition de l'interdiction de séjour, même pour une période de temps
limitée, était disproportionnée au but légitime poursuivi, à savoir « la
défense de l'ordre et la prévention des infractions pénales ». Dès lors,
cette mesure n'était pas « nécessaire dans une société
démocratique ».
PAR CES MOTIFS, LA COUR
- Dit, par seize voix contre
une, qu'il y a eu violation de l'article 8 de la Convention ;
- Dit, par seize voix
contre une,
que l'Etat défendeur doit verser au requérant, dans
un délai de trois mois, 3 000 EUR (trois mille euros) pour dommage moral,
plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt, et 13 097,06 EUR
(treize mille quatre-vingt-dix-sept euros et six centimes) pour frais et
dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt par le requérant.
MASLOV
c. Autriche 23 juin 2008 Jurisprudence : : Akdivar
et autres c. Turquie, arrêt du 16 septembre 1996, Recueil 1996-IV, p. 1210, §
65 ; Baghli c. France, n° 34374/97, § 48, CEDH
1999-VIII ; Berrehab c. Pays-Bas, arrêt du 21 juin
1988, série A n° 138, p. 15, § 28 ; Bouchelkia c.
France, arrêt du 29 janvier 1997, Recueil 1997-I, p. 63, § 41, et p. 65, § 51 ;
Boultif c. Suisse, n° 54273/00, §§ 47, 48 et 51, CEDH
2001-IX ; Dalia c. France, arrêt du 19 février 1998,
Recueil 1998-I, p. 92, § 54 ; El Boujaïdi c. France,
arrêt du 26 septembre 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-VI, p. 1990, §
33 ; Ezzouhdi c. France, n° 47160/99, §§ 25, 26, 34
et 35, 13 février 2001 ; Ferhat Kilic c. Danemark, n°
20730/05; 22 janvier 2007 ; Hizir Kilic
c. Danemark, n° 20277/05, 22 janvier 2007 ; Jakupovic
c. Autriche, n° 36757/97, § 27 et § 37, 6 février 2003 ; Jankov
c. Allemagne (déc.), n° 35112/92, 13 janvier 2000 ; Kaya c. Allemagne, no
31753/02, § 57, 28 juin 2007 ; Mokrani c. France, n°
52206/99, § 34 et § 43, 15 juillet 2003 ; Moustaquim
c. Belgique, arrêt du 18 février 1991, série A n° 193, p. 19, § 44 ; Radovanovic c. Autriche, n° 42703/98, § 35 et § 37, 22
avril 2004 ; Radovanovic c. Autriche (satisfaction
équitable), n° 42703/98, § 11, 16 décembre 2004 ; Saadi c. Italie [GC], n°
37201/06, § 133, 28 février 2008 ; Scozzari et Giunta
c. Italie [GC], nos. 39221/98 et 41963/98, § 148, CEDH 2000-VIII ; Slivenko c. Lettonie [GC], n° 48321/99, § 113, CEDH 2003-X
; Société Colas Est et autres c. France, n° 37971/97, § 47, CEDH 2002-III ; Üner c. Pays-Bas [GC], n° 46410/99, §§ 54-55, 57-58, 59 et
65, CEDH-2006 ; Yildiz c. Autriche, n° 37295/97, §§
24-26, 34, 45 et 51, 31 octobre 2002 ; Yilmaz c. Allemagne, n° 52853/99, §§
48-49, 17 avril 2003
13 mai 2008
Les requérants expliquent
qu'ils entretiennent une relation homosexuelle durable. Le second requérant,
T.A., épousa Mme B.V.
Le 17 décembre 1993, l'épouse
de T.A. déposa une requête devant le tribunal de première instance de Bruges en
vue d'obtenir le divorce pour faute à charge de son mari, elle introduisit
auprès du président de ce même tribunal, une demande de mesures provisoires
pour la durée de la procédure concernant notamment les contributions
alimentaires à son égard ainsi qu'à celui des enfants communs, l'exercice de
l'autorité parentale et leur hébergement.
Dans le cadre de cette
procédure, B.V. fit état de la relation amoureuse entretenue par les requérants
et déposa des lettres et documents privés appartenant à T.A. parmi lesquels se
trouvaient des lettres à caractère amoureux échangées par les requérants.
N.N. déposa une requête en
intervention volontaire auprès du président du tribunal de première instance de
Bruges. Se prévalant de son droit au respect de sa vie privée et au secret de
sa correspondance, N.N. sollicita l'interdiction de la production de ces
lettres ou leur exclusion des débats.
Dans ses conclusions, T.A.
qui ne contesta pas formellement son homosexualité, ni l'existence de sa
relation avec N.N., formula la même demande, faisant notamment valoir que ces
questions étaient relatives à celle de la faute des époux, et donc non
pertinente au stade des mesures provisoires. T.A. fit également valoir que,
pour entrer en possession de la correspondance, B.V. avait fracturé la serrure
de son porte-documents.
Dans l'intervalle, le conseil
de B.V. avait, par lettre du 13 juin 1994, invité T.A., à déposer plainte auprès
de la police au sujet de ce dernier point. T.A. ne donna aucune suite à cette
lettre.
Le président du tribunal de
première instance de Bruges rejeta les demandes des requérant, en faisant
valoir notamment les motifs suivants :
« (...) Hormis les
lettres émanant d'une personne tenue par le secret professionnel, les autres
lettres d'un tiers à un des conjoints peuvent être invoquées à titre de preuve.
La seule restriction à stipuler dans ce cas est que la personne souhaitant
faire usage de telles lettres ne soit pas entrée en leur possession de manière
illicite par le biais, par exemple, d'un délit.
Dans la mesure où il n'existe
aucune preuve concluante que cela serait le cas, la demande de la partie
intervenant volontairement et de la partie défenderesse doit être déclarée non
fondée. »
Le président ordonna
également une série de mesures provisoires sans faire aucune référence à la
correspondance litigieuse.
Les requérants interjetèrent
appel. Ils firent notamment valoir que des lettres privées ne pouvaient être communiquées à des tiers sans l'accord de
leur auteur ou destinataire sans violer l'article 8 de la Convention. Ils
soutinrent également que, puisque la demande de mesures provisoires ne
concernait ni directement ni indirectement la question de la faute d'un des
époux, il n'existait pas, en l'espèce, d'intérêt supérieur pour déroger au
principe du secret de la correspondance et ce d'autant plus que, selon eux,
l'épouse du premier requérant était entrée illicitement en possession des
lettres en cause.
La cour d'appel de Gand
rejeta leurs recours et confirma pour l'essentiel, sans se référer à la
correspondance litigieuse, les mesures provisoires qui avaient été ordonnées
par le président du tribunal de première instance. S'agissant de la présence au
dossier de la correspondance litigieuse, selon cette cour, la problématique
était identique dans le cadre d'une procédure en divorce ou d'une demande de
mesures provisoires de sorte que la question de l'examen ou non de la faute
n'était pas pertinente. Elle jugea que si, en droit commun, des documents
privés ne pouvaient être déposés par un tiers, la jurisprudence et la doctrine
avaient admis une exception dans le cadre des procédures en divorce et,
partant, dans les demandes de mesures provisoires qui y sont relatives. Elle
releva qu'une double réserve existait à cet égard en ce sens que, ni l'auteur,
ni le destinataire ne pouvaient être soumis au secret professionnel et que
l'autre conjoint ne pouvait utiliser de moyen illicite pour entrer en
possession de ces lettres. Suivant sur ce point l'ordonnance du président du
tribunal de première instance, la cour d'appel estima, en outre, que les
requérants ne pouvaient soutenir à bon droit que l'épouse du premier requérant
avait usé de moyens illicites pour entrer en possession desdits documents
puisqu'ils n'en n'avaient pas rapporté la preuve. Selon la cour d'appel,
l'affirmation selon laquelle ces lettres avaient été laissées dans le domicile
conjugal était par ailleurs étayée par la circonstance que même un brouillon de
l'original retrouvé par B.V. dans la corbeille à papier avait été produit. La
cour d'appel ajouta que la simple affirmation de T.A. selon laquelle cette
correspondance se trouvait dans un porte-documents fermé par une serrure à
chiffres ne s'appuyait sur aucun fait concret et aurait dû, le cas échéant,
donner lieu à une plainte pénale pour vol et infraction, ce qui, à ce moment,
n'avait pas été le cas.
Les requérants se pourvurent
en cassation. Se prévalant de la violation de l'article 29 de la Constitution
belge qui garantit le secret de la correspondance et de l'article 8 de la
Convention, ils se plaignirent d'une violation de leur vie privée et plus
particulièrement du secret des lettres. Ils firent valoir qu'une exception au
principe du secret de la correspondance devait faire l'objet d'une
interprétation restrictive et que, par conséquent, une telle exception n'était
pas justifiée dans le cadre d'une demande de mesures provisoires pour la durée
d'une procédure en divorce au cours de laquelle la question d'une éventuelle
faute commise par un des époux n'était pas abordée.
La Cour de cassation rejeta
leurs moyens. D'après la Cour de cassation, ces dispositions ne comportaient
pas d'interdiction pour une personne, entrée régulièrement en possession de
lettres, d'utiliser celles-ci comme moyens de preuve dans le cadre d'une
procédure en divorce ou d'une demande de mesures provisoires durant l'instance
en divorce. La Cour de cassation jugea également que la circonstance que
l'examen de la demande de mesures provisoires ne portait pas sur le
comportement fautif d'un des époux ou du moins, dans une moindre mesure que
dans le cadre de la procédure de divorce elle-même, était sans incidence. En
outre, elle estima que la cour d'appel avait jugé irrévocablement que l'épouse
du premier requérant était entrée régulièrement en possession des lettres
litigieuses. Elle en conclut que les dispositions précitées n'étaient pas
violées en l'espèce.
Par un jugement du 12 mars
2004, le tribunal de première instance de Bruges se prononça sur le divorce de
T.A. et B.V. T.A. interjeta appel de ce jugement.
Le 23 février 2006, la cour
d'appel de Gand rendit un arrêt avant dire droit par lequel elle suspendit la
procédure, dans l'attente que la Cour statue sur la requête.
Les requérants se plaignent
de la violation de l'article 8 de la Convention
Le Gouvernement fait valoir
que l'utilisation de la correspondance d'un des époux peut être utilisée comme
un moyen de preuve dans le cadre d'une procédure en divorce. En raison du
caractère accessoire de la procédure de mesures provisoires, le stade au cours
duquel cette preuve est apportée est sans incidence. La base légale se trouve
dans les articles 213 et 229 du code civil sur le fondement desquels chaque
époux a le droit de vérifier si les devoirs conjugaux sont respectés et, le cas
échéant, d'apporter la preuve du contraire dans le cadre d'une procédure de
divorce. Ce principe repose sur une jurisprudence et une doctrine bien établies
et notamment les arrêts de la Cour de cassation du 27 février 1913 et de la
cour d'appel de Bruxelles du 14 mars 2001. Il existe d'ailleurs une profusion
de précédents jurisprudentiels allant dans le même sens et que, partant, la prévisibilité
était acquise. La jurisprudence précitée montre également que la règle est
énoncée avec clarté et constance et était par ailleurs accessible puisqu'elle a
fait l'objet de publications. Cette jurisprudence a posé des critères stricts,
répondant au principe d'interprétation restrictive quant à l'utilisation de la
correspondance à titre de preuve : ni l'émetteur, ni le destinataire des
lettres ne doivent être tenus au secret professionnel et le conjoint ne peut
pas être entré en possession de ces lettres de manière répréhensible. A cet
égard, il convient de relever, qu'en l'espèce, aucun des requérants n'étaient
liés par le secret professionnel. En outre, les requérants n'ont pas démontré
le caractère illicite de l'acquisition des lettres. La correspondance
litigieuse date en effet de la période durant laquelle T.A. vivait encore avec
B.V. et il n'a pas été démontré que
celle-ci était entrée en sa possession de manière illicite. Ainsi, le
fondement réside dans les devoirs conjugaux des époux et l'ingérence dans le
droit à la vie privée en cause a non seulement pour but de préserver l'ordre
public et les bonnes mœurs, mais aussi les droits et libertés d'autrui. En
effet, si le droit au respect de la vie privée devait être absolu entre les
époux, cela impliquerait qu'un certain nombre de faits survenant pendant le
mariage de deux personnes ne pourrait jamais être prouvés. Or, dans le cadre
des procédures judiciaires, il existe une nécessité absolue de pouvoir établir
des faits relevant de la vie privée et, dans les procédures de divorce, le
droit à la preuve prime clairement sur le droit à la vie privée. Selon le
Gouvernement, il serait déraisonnable de priver un conjoint, victime d'adultère
ou d'injures graves, de ce qui constitue bien souvent le seul moyen de preuve à
sa disposition. Quant à la nécessité de l'ingérence, celle-ci est pertinente et
proportionnée en raison du respect des critères susmentionnés et de la
nécessité qu'avait B.V. de prouver l'existence d'un motif de divorce. Il
importe peu que la correspondance ait été produite dans la procédure au fond ou
dans le cadre de la demande de mesures provisoires dont celle-ci est
l'accessoire. Enfin, N.N. devait raisonnablement s'attendre à ce que B.V.
apprenne l'existence de la relation qu'il entretenait avec son époux et utilise
leur correspondance comme moyen de preuve.
Décision de la Cour
Sur l'existence de l'ingérence
La Cour rappelle qu'il est de
jurisprudence constante que « la disposition de l'article 8 § 1 de la
Convention a essentiellement pour objet de protéger l'individu contre des
ingérences arbitraires des pouvoirs publics dans sa vie privée ou
familiale ». Elle estime que la production et le dépôt sans leur accord,
dans le cadre d'une procédure judiciaire, de lettres échangées entre deux
personnes par une tierce personne qui n'en est ni l'expéditrice, ni la
destinataire, peut s'analyser en une ingérence dans la vie privée de ces
personnes. Ce point n'est d'ailleurs pas contesté par le Gouvernement.
Selon la Cour, sont sans incidence sur ce qui
précède la circonstance que cette
tierce personne soit mariée à l'un des correspondants, le lieu et la manière
dont celle-ci a pris possession desdites lettres, ou le fait qu'un tel dépôt s'inscrive
dans le cadre d'une procédure en divorce ou d'une demande de mesures
provisoires.
Sur la justification de l'ingérence
La Cour rappelle qu'une
atteinte au droit d'une personne au respect de sa vie privée et de sa
correspondance viole l'article 8 si elle n'est pas « prévue par la loi »,
ne poursuit pas un but ou des buts légitimes visés par le paragraphe 2 et n'est
pas « nécessaire dans une société démocratique » en ce sens qu'elle
n'est pas proportionnée aux objectifs poursuivis. La question qui se pose en
l'espèce est de savoir si l'ingérence litigieuse se justifie au regard du
paragraphe 2 de l'article 8 de la Convention.
L'ingérence était-elle « prévue
par la loi » ?
La Cour constate, à l'instar
du Gouvernement, qu'une jurisprudence et une doctrine bien établies admettent
l'utilisation de la correspondance d'un des époux à titre de preuve de la faute
de celui-ci dans le cadre d'une procédure en divorce au fond. Dans ce cas de
figure, l'ingérence en cause est incontestablement prévue par la loi.
Cependant, la présente requête concerne la procédure de mesures provisoires
prises « en référé » et non une procédure en divorce.
La Cour note que la procédure
de mesures provisoires a pour but d'aménager une situation d'attente entre les
époux pendant la durée de la procédure de divorce et jusqu'à la dissolution du
mariage, sans pouvoir en principe préjuger du fond, c'est-à-dire reconnaître
l'existence d'une faute dans le chef d'un des époux ou encore organiser la
situation de manière irréversible. Elle est l'accessoire d'une procédure en
divorce dans la mesure où elle suppose l'introduction d'une telle procédure qui
implique, actuellement, la désunion irrémédiable des époux et, antérieurement,
que la vie commune leur était insupportable. Le président du tribunal, statuant
en référé, peut prendre un ensemble de mesures provisoires (pension
alimentaire, hébergement, garde et droit de visite des enfants, etc.) mais
celles-ci peuvent, en fait, se révéler être assez durables (en l'espèce, la
procédure en divorce dure depuis plus de dix ans). Pour ce faire, ce magistrat
doit tenir compte du contexte et est amené à envisager l'ensemble de la
situation en ce y compris les éléments la rendant conflictuelle, ce qui pouvait
à l'époque des faits de la cause englober des données susceptibles d'être considérées
au fond comme constitutives d'une faute. Il s'ensuit que la distinction entre
les deux procédures est assez formelle et qu'elle réside essentiellement dans
le caractère provisoire attaché aux mesures ainsi que dans l'interdiction faite
au juge de préjuger du fond, notamment en se prononçant sur le comportement
fautif éventuel d'un des époux.
Se fondant sur ces
considérations, le Gouvernement soutient que, puisque la procédure de mesures
provisoires est l'accessoire de la procédure en divorce, le stade auquel la
preuve d'un motif de divorce est apportée importe peu. Par ailleurs, selon
l'arrêt de la Cour de cassation, la circonstance que l'examen de la demande de
mesures provisoires ne portait pas sur le comportement fautif d'un des époux
ou, du moins, dans une moindre mesure que dans le cadre de la procédure de
divorce elle-même, était sans incidence.
De l'avis de la Cour, ces
affirmations ne sont pas suffisantes en elles-mêmes pour en déduire que
l'ingérence était prévue par la loi en ce qui concerne la procédure de mesures
provisoires. En effet, elle relève qu'aucune des décisions jurisprudentielles
citées par le Gouvernement ne concerne la procédure de mesures provisoires mais
qu'elles sont au contraire toutes relatives à la procédure de divorce elle-même,
hormis celles qui sont relatives à la présente affaire et une décision qui est
relative à une procédure de requête civile entre époux. Ne pouvant être
introduite qu'après le dépôt d'une demande de divorce, la procédure de mesures
provisoires impose à la personne qui réclame de telles mesures de prouver que
la poursuite de la vie commune entre les époux est devenue impossible ou, comme
le précisait l'ancien article 231 du code civil, insupportable. Ceci ne peut –
et ne pouvait – être déduit de la seule demande de divorce ou des déclarations
de l'époux qui le demande. Elle doit en principe être appuyée d'éléments de
preuve. Dans ces conditions, l'époux contre lequel la demande est dirigée doit
s'attendre à ce que son conjoint dépose, à l'appui de sa thèse, tous les
éléments de nature à établir l'impossibilité de poursuite de la vie commune.
Ceci était d'autant plus vrai en l'espèce dans la mesure où la procédure civile
est régie en droit belge par le « principe dispositif ». Ce principe,
qui consiste à donner aux parties des pouvoirs d'initiative et d'impulsion,
implique que la responsabilité de la marche de la procédure leur incombe. En
outre, c'est au demandeur que revient l'obligation d'apporter la preuve de ses
allégations, conformément à l'adage Actori incumbit probatio. Il en découle que les requérants
devaient s'attendre à ce que l'épouse du second requérant dépose en tant que
partie demanderesse des éléments de preuve dans le cadre de la procédure de
mesures provisoires qu'elle avait initiée. A l'estime de la Cour, il en résulte
que l'ingérence en cause peut être considérée comme « prévue par la
loi ».
L'ingérence visait-elle un
« but légitime » ?
La Cour relève que le but
poursuivi par l'ingérence était la protection des droits d'autrui, à savoir le
droit d'une personne mariée de mettre fin au lien matrimonial existant lorsque
la poursuite de la vie commune n'est plus possible. Dans la mesure où l'épouse
du second requérant faisait valoir que pareille impossibilité était due au
comportement fautif de celui-ci, il devait raisonnablement s'attendre à ce que
les preuves du comportement mis en
cause soient apportées par la partie demanderesse. Relevant également du droit
d'une partie à un procès de se voir offrir une possibilité raisonnable la présenter
sa cause – y compris ses preuves, un tel motif est un but légitime au sens du
paragraphe second de l'article 8 de la Convention.
L'ingérence était-elle
« nécessaire dans une société démocratique » ?
Il reste à examiner si
l'ingérence était « nécessaire dans une société démocratique »,
c'est-à-dire proportionnée au but légitime poursuivi. Pour ce faire, la Cour
est amenée à trancher le conflit existant en l'espèce entre, d'une part, le
droit d'une partie à un procès, de surcroît demanderesse (en l'espèce B.V.,
alors l'épouse de T.A.), de faire valoir l'ensemble des arguments et moyens de
preuve à l'appui de sa cause au regard de son droit à un procès équitable et,
d'autre part, le droit à l'intimité de l'autre partie qui peut imposer à l'Etat
l'obligation positive de faire obstacle à l'utilisation d'éléments de preuve
susceptibles de porter atteinte à son droit à la vie privée. De part et
d'autre, il s'agit de droits qui méritent a
priori un égal respect, ce qui amène la Cour à examiner l'ensemble de
la situation.
Selon la jurisprudence de la
Cour, les exigences découlant du droit à une procédure contradictoire sont en
principe les mêmes au civil comme au pénal et l'égalité
des armes implique l'obligation d'offrir, dans les différends opposant des intérêts de caractère
privé, à chaque partie une possibilité raisonnable de présenter sa cause dans
des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par
rapport à son adversaire. L'article 6
implique notamment, à la charge du « tribunal », l'obligation de se
livrer à un examen effectif des moyens, arguments et offres de preuve des
parties, sauf à en apprécier la pertinence pour la décision à rendre.
Par ailleurs, la Cour
rappelle que le choix des mesures propres à garantir l'observation de l'article
8 de la Convention dans les rapports interindividuels relève en principe de la
marge d'appréciation des Etats contractants. Il existe à cet égard différentes
manières d'assurer le « respect de la vie privée » et « la
nature de l'obligation de l'Etat dépend de l'aspect de la vie privée qui se
trouve en cause ».
La Cour note d'emblée que
l'affaire s'inscrit dans le cadre d'une procédure en divorce, qui est par
nature une procédure au cours de laquelle des éléments de l'intimité de la vie
privée et familiale des parties sont susceptibles d'être révélés. Le fait que
l'instance en cause soit spécifiquement relative aux mesures provisoires ne
saurait obvier ce constat, la distinction entre la procédure en référé et celle
au fond étant assez formelle et le magistrat statuant en référé amené à
envisager l'ensemble de la situation conflictuelle, y compris les éléments
susceptibles d'être considérés au fond.
Toutefois, aux yeux de la
Cour, les ingérences qui en découlent inévitablement doivent se limiter autant
que faire se peut à celles qui sont rendues strictement nécessaires par les
spécificités de la procédure, d'une part, et par les données du litige d'autre
part (ibid.).
La Cour relève tout d'abord
que la production de la correspondance dans le cadre d'une procédure en divorce
est soumise à deux conditions qui ont été précisées par la jurisprudence et qui
ont été jugées, par les juridictions internes, comme remplies en
l'espèce : que la personne qui la produit ne soit pas entrée
irrégulièrement en possession des pièces qu'elle produit et que ces pièces ne
soient pas couvertes par le secret professionnel. On peut donc en déduire que
la législation interne assortit de garanties suffisantes l'utilisation de
données relevant de la vie privée des parties dans ce type de procédure.
La Cour relève ensuite que le
second requérant ne soutient pas que la preuve de sa relation hors-mariage par
sa femme aurait dicté l'adoption de mesures
provisoires et il ne se plaint pas de celles qui ont été ordonnées. Il se
plaint seulement de la révélation de sa liaison avec le premier requérant et de
la publicité qui y fut donnée.
Il est vrai que ce requérant
n'a jamais, que ce soit au cours de la procédure des mesures provisoires ni au
fond, contesté la réalité de sa relation. Dans la mesure où les faits n'étaient
pas contestés et n'étaient, en outre, pas pertinents puisque la question de la
faute éventuelle d'un époux ne se posait pas à ce moment de la procédure, on
pourrait soutenir qu'il était dépourvu de toute nécessité de laisser les
lettres litigieuses dans le dossier. Toutefois, on ne saurait déterminer, a posteriori, des faits de l'espèce l'attitude que le second requérant
aurait adoptée si les pièces n'avaient pas été produites ou avaient été
écartées. On ne saurait donc tirer de cette circonstance que les juridictions
se devaient d'écarter ces lettres des débats en retirant ainsi à l'épouse du
second requérant la possibilité de les produire à l'appui de ses prétentions. La
publicité finalement donnée à la liaison des requérants résulte essentiellement
de leur action visant à l'interdiction de la production des pièces litigieuses.
La Cour relève aussi que le seul fait que les pièces litigieuses ont été
jointes au dossier de procédure de cette affaire et y figurent encore ne leur
confère pas un caractère public, vu le caractère restreint de l'accès aux
dossiers de ce type.
Dans ces conditions, le refus
des juridictions internes d'écarter en l'espèce les lettres litigieuses, s'il
peut faire l'objet de critiques, ne saurait passer pour être disproportionné
aux buts poursuivis.
Partant, il n'y a pas eu
violation de l'article 8 de la Convention.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À l'UNANIMITÉ,
Dit, qu'il n'y a pas eu violation de l'article
8 de la Convention.
N.N. et T.A. c. Belgique 13 mai 2008 Jurisprudence de Strasbourg : Marckx c. Belgique, arrêt du 13 juin 1979,
série A no 31, § 31 ; Scopelliti c. Italie, arrêt du 23 novembre
1993, série A no 278, § 25 ; Dombo Beheer B.V. c. Pays-Bas,
arrêt du 27 octobre 1993, série A no 274, § 33 ; Werner c. Autriche, arrêt du 24 novembre
1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-VII,
§ 66 ; arrêts Raffineries grecques Stran et Stratis Andreadis c. Grèce et Papageorgiou
c. Grèce du 9 décembre 1994, série A no 301-B, § 46, et Dombo Beheer B.V. c. Pays-Bas du 27 octobre 1993, série A no
274, § 33 ; Perez c. France [GC], no
47287/99, § 80, CEDH 2004-I, et Van de Hurk c. Pays-Bas, arrêt du 19 avril
1994, série A no 288, p. 19, § 59 ; Leempoel
et S.A. Ed. Cine revue c. Belgique, no
64772/01, 9 novembre 2006 ; Keegan c. Irlande, arrêt du 26 mai 1994, série
A no 290, p. 19, § 49, et Botta c.
Italie, arrêt du
24 février 1998, Recueil
1998-I, § 33 ; X et Y c. Pays-Bas,
arrêt du 26 mars 1985, série A no 91, p. 12, § 24 ; L.L. c. France, no 7508/02, §
45, CEDH 2006-....
Compte tenu de la situation de
vulnérabilité dans laquelle se trouve tout détenu en pareilles circonstances,
la Cour juge compréhensible que la requérante n’ait pu résister jusqu’au bout à
la pression exercée sur elle, considérant que l’examen gynécologique en cause
fut pratiqué sans que la requérante y eût consenti de manière libre et
éclairée, la Cour juge qu’il y a eu atteinte à la vie privée de l’intéressée
13.05.2008
Violation de
l’article 8
Non-violation de l’article 3
Violation de
l’article 6 § 1 (équité)
Soupçonnée d’appartenance au PKK (Parti des
travailleurs du Kurdistan), considéré comme une organisation armée illégale,
Eva Juhnke, fut arrêtée par des militaires turcs en
octobre 1997 et remise à des gendarmes stationnés à Hakkari
(Turquie). En septembre 1998, elle fut reconnue coupable des charges qui
pesaient sur elle et condamnée à 15 ans d’emprisonnement. Elle fut libérée en
décembre 2004 et expulsée vers l’Allemagne.
Devant la Cour, la requérante alléguait
notamment qu’elle avait fait l’objet d’une détention illégale et que durant
cette détention elle avait été soumise à des mauvais traitements et contrainte
à subir un examen gynécologique. Elle invoquait les articles 3 (interdiction
des traitements inhumains ou dégradants), 5 (droit à la liberté et à la sûreté)
et 8 (droit au respect de la vie privée et familiale). Dénonçant la présence
d’un juge militaire dans la formation de la cour de sûreté de l’Etat l’ayant
jugée et condamnée, elle se plaignait également, sous l’angle de l’article 6 §
1 (droit à un procès équitable), de ne pas avoir bénéficié d’un procès
équitable devant un tribunal indépendant et impartial. Invoquant par ailleurs
l’article 13 (droit à un recours effectif), elle affirmait que la réponse,
inadéquate selon elle, donnée par les autorités turques à ses griefs avait
entravé son droit à engager une procédure en réparation. Elle alléguait enfin
que le traitement auquel elle avait été soumise par les autorités avait été
motivé par son sexe et par ses opinions politiques, en quoi elle voyait une
violation de l’article 14 (interdiction de la discrimination).
Faute de preuves étayant l’allégation de la
requérante selon laquelle elle a été soumise à des mauvais traitements, la Cour
déclare cette partie de la requête irrecevable. Quant à l’allégation de
l’intéressée selon laquelle on lui a fait subir de force un examen
gynécologique, la Cour relève qu’elle n’a pas été étayée et conclut dès lors,
par cinq voix contre deux, à l’absence de violation de l’article 3 à cet égard.
En revanche, la Cour constate que la
requérante, après s’être initialement opposée à un examen gynécologique, finit
par se laisser convaincre d’y consentir. Compte tenu de la situation de
vulnérabilité dans laquelle se trouve tout détenu en pareilles circonstances,
elle juge compréhensible que la requérante n’ait pu résister jusqu’au bout à la
pression exercée sur elle à cet égard et décide d’examiner la question du point
de vue de l’article 8 de la Convention. Considérant que l’examen gynécologique
en cause fut pratiqué sans que la requérante y eût consenti de manière libre et
éclairée, elle juge qu’il y a eu atteinte à la vie privée de l’intéressée. Le
Gouvernement n’a pas démontré que l’atteinte en question fût « prévue par
la loi ». De surcroit, il apparaît que l’examen gynécologique en cause est
résulté d’une mesure prise de manière discrétionnaire par les autorités pour
prémunir contre de fausses accusations d’agression sexuelle les membres des
forces de sécurité qui avaient arrêté la requérante et l’avaient placée en
détention. La Cour estime que ce souci de protéger les fonctionnaires concernés
ne justifiait pas que les autorités cherchent à persuader la requérante de
consentir à une atteinte aussi intrusive et grave à son intégrité physique,
d’autant que l’intéressée ne s’était pas plainte d’avoir été agressée
sexuellement. La Cour conclut par ailleurs que l’atteinte litigieuse n’était
pas « nécessaire dans une société démocratique ». Elle juge en
conséquence, par cinq voix contre deux, qu’il y a eu violation de
l’article 8.
La Cour conclut par ailleurs, à
l’unanimité, à la violation de l’article 6 § 1, rappelant qu’elle a déjà, à de
nombreuses reprises, constaté la violation de cet article dans des affaires
soulevant une question similaire.
La Cour juge enfin, à l’unanimité, qu’il ne
s’impose pas d’examiner les autres griefs fondés par la requérante sur les
articles 6, 13 et 14 et déclare irrecevable le grief tiré de l’article 5.
Elle alloue à Mme Juhnke 4 000 EUR pour préjudice moral. (L’arrêt
n’existe qu’en anglais.)
Juhnke c. Turquie 13 mai 2008 Jurisprudence : : Akpinar et Altun c. Turquie, n° 56760/00, § 68, CEDH 2007 ...
(extraits) ; Aydin c. Turquie, arrêt du 25 septembre 1997, Recueil 1997 VI, §
107 ; Bati et autres c. Turquie, nos. 33097/96 et
57834/00, §§ 96 100, 3 juin 2004 ; Danemark, Norvège, Suède et Pays-Bas c.
Grèce (“the Greek case”), nos. 3321/67 et al., Commission's
rapport du 5 novembre 1969, Annuaire 12, p. 186 ; Devrim
Turan c. Turquie, n° 879/02, § 21, 2 mars 2006 ; Gençel c. Turquie, n° 53431/99, §§ 11 12, 23 octobre 2003 ;
Gennadi Naoumenko c.
Ukraine, n° 42023/98, §§ 108, 112, 10 février 2004 ; Glass c. Royaume-Uni, n°
61827/00, §§ 70, 82, CEDH 2004 II ; Herczegfalvy c.
Autriche, arrêt du 24 septembre 1992, série A n° 244, §§ 82, 89 ; Hurtado c. Suisse, Commission's
rapport du 8 juillet 1993, série A n° 280, p. 14, § 67 ; Incal
c. Turquie, arrêt du 9 juin 1998, Recueil 1998-IV, p. 1568, § 74 ; Jalloh c. Allemagne [GC], n° 54810/00, §§ 70-71, CEDH 2006
... ; K.Ö. c. Turquie, n° 71795/01, § 50, 11 décembre 2007 ; Keenan c. Royaume-Uni, n° 27229/95, § 110, CEDH 2001-III ; Labita c. Italie [GC], n° 26772/95, §§ 119-121, CEDH
2000-IV ; Mehmet et Suna Yigit
c. Turquie, n° 52658/99, § 43, 17 juillet 2007 ; Mouisel
c. France, n° 67263/01, §§ 37, 40, CEDH 2002-IX ; Narinen
c. Finlande, n° 45027/98, § 34, 1 juin 2004 ; Nevmerjitsky
c. Ukraine, n° 54825/00, § 94, 5 avril 2005 ; Özalp
c. Turquie (déc.), n° 74300/01, 11 octobre 2007 ; Özdemir
c. Turquie, n° 59659/00, §§ 35-36, 6 février 2003 ; Özel
c. Turquie, n° 42739/98, §§ 20-21, 33, 34, 7 novembre 2002 ; Peers c. Grèce, n° 28524/95, §§ 68 et 74, CEDH 2001-III ; Pretty c. Royaume-Uni, n° 2346/02, §§ 61 et 63, CEDH
2002-III ; Raninen c. Finlande, arrêt du 16 décembre
1997, Recueil 1997-VIII, pp. 2821-22, § 55 ; Sagat,
Bayram et Berk c. Turquie (déc.), n° 8036/02, 6 mars 2007 ; Siz
c. Turquie (déc.), n° 895/02, 26 mai 2005 ; Tanrikulu
et autres c. Turquie (déc.), n° 45907/99, 22 octobre 2002 ; Uzun
c. Turquie, n° 37410/97, § 64, 10 mai 2007 ; Wainwright
c. Royaume-Uni, n° 12350/04, § 43, CEDH 2006 ... ; Y.F. c. Turquie, n°
24209/94, §§ 23-26, 33, 34, CEDH 2003 IX ; Yildirim
c. Turquie (déc.), n° 0074/98, 30 mars 2006
Les communications téléphoniques se
trouvant comprises dans les notions de « vie privée » et de
« correspondance » au sens de l'article 8, leur interception,
enregistrement et éventuelle utilisation dans le cadre des poursuites pénales dirigées
contre le requérant s'analysent en une ingérence d'une autorité publique dans
l'exercice d'un droit protégé par cette disposition
KIROV c.
BULGARIE
Violation
des articles 8, 13 et 6§1
En octobre 1998, Nikolai George Kirovfut placé en détention provisoire à Sofia et inculpé
pour trafic de stupéfiants. L’enquête fit apparaître qu’entre mai et octobre
1998 les conversations téléphoniques du requérant furent interceptées à la
demande des services du ministère de l’Intérieur. Les enregistrements obtenus
furent détruits au bout de six mois en application d’une instruction interne
confidentielle du ministre de l’Intérieur. En mai 2003, les juridictions
bulgares prononcèrent la relaxe de l’intéressé pour insuffisance de preuves.
Invoquant les articles 8 (droit au respect de la vie privée et familiale) et 13
(droit à un recours effectif), le requérant se plaignait de l’interception de
ses communications téléphoniques par les autorités bulgares dans le cadre de la
procédure pénale dont il avait fait l’objet. Il invoquait également l’article 6
§ 1 (droit à un procès équitable dans un délai raisonnable).
Décision de la Cour
Il n'est pas contesté en
l'espèce que les conversations téléphoniques du requérant ont été interceptées
à la demande des services du ministère de l'Intérieur. Les communications
téléphoniques se trouvant comprises dans les notions de « vie
privée » et de « correspondance » au sens de l'article 8, leur
interception, enregistrement et éventuelle utilisation dans le cadre des
poursuites pénales dirigées contre le requérant s'analysent en une ingérence
d'une autorité publique dans l'exercice d'un droit protégé par cette
disposition. La Cour doit dès lors examiner si l'ingérence en question était
justifiée au regard du second paragraphe de l'article 8, à savoir si elle était
« prévue par la loi » et « nécessaire dans une société
démocratique ».
Sur la justification de l'ingérence
La Cour rappelle que l'expression « prévue par la loi », au sens de
l'article 8 § 2, exige d'abord le respect du droit interne
mais concerne aussi la qualité de la loi en cause, qui doit être accessible,
prévisible et compatible avec le principe de la prééminence du droit.
Dans le contexte de la
surveillance secrète exercée par les autorités publiques, le droit interne doit
offrir une protection contre l'ingérence arbitraire dans l'exercice du droit
d'un individu au regard de l'article 8. La loi doit user de termes assez clairs
pour indiquer aux individus de manière suffisante en quelles circonstances et
sous quelles conditions elle habilite les autorités publiques à prendre
pareilles mesures secrètes. Dans sa jurisprudence, la Cour a développé un
certain nombre de garanties minimales que doit contenir la loi nationale à cet
égard. Ainsi, la loi doit définir les catégories de personnes susceptibles de
faire l'objet d'une mesure de surveillance secrète et la nature des infractions
pouvant y donner lieu, fixer une limite à la durée de l'exécution de la mesure,
déterminer les procédures à suivre pour l'examen, l'utilisation et le stockage
des renseignements obtenus, ainsi que les circonstances dans lesquelles peut ou
doit s'opérer l'effacement ou la destruction des enregistrements. Elle doit en
outre prévoir un contrôle a posteriori
du bien-fondé de l'interception par une autorité indépendante et impartiale.
Quel que soit le système de
surveillance retenu, la Cour doit se convaincre de l'existence de garanties
adéquates et suffisantes contre les abus. Cette appréciation dépend de toutes
les circonstances de la cause, par exemple la nature, l'étendue et la durée des
mesures éventuelles, les raisons requises pour les ordonner, les autorités
compétentes pour les permettre, les exécuter et les contrôler, le type de
recours fourni par le droit interne.
En l'espèce, dans la mesure
où le requérant soutient que l'interception de ses communications n'a pas été
effectuée dans le respect de la réglementation interne, la Cour n'estime pas
nécessaire de trancher cette question car, à supposer même que la loi interne
pertinente ait été respectée, encore faut-il qu'elle présente les qualités
requises par l'article 8 de la Convention.
S'agissant de la
prévisibilité de la réglementation bulgare et de sa compatibilité avec le
principe de la prééminence du droit, la Cour a déjà jugé, dans l'arrêt Association pour l'intégration européenne et les
droits de l'homme et Ekimdjiev (précité,
§§ 85-94), que ladite réglementation – malgré le fait qu'elle prévoyait un
certain nombre de garanties – ne fournissait pas une protection suffisante
contre des atteintes arbitraires aux droits protégés par l'article 8 et qu'elle
ne satisfaisait dès lors pas à la condition de légalité exigée par cette
disposition. La Cour a plus particulièrement mis en évidence l'absence de contrôle
par une autorité indépendante de la mise en œuvre de mesures de surveillance
secrète, l'absence de règles précises concernant la conservation et la
destruction des renseignements obtenus, ainsi que l'impossibilité pour les
personnes intéressées d'obtenir des informations concernant l'existence d'une
surveillance, les circonstances de sa mise en œuvre, le respect des procédures
ou le sort des résultats obtenus, et donc l'impossibilité pour ces personnes de
rechercher une quelconque réparation en cas d'ingérence illégale.
La Cour estime que les constats ainsi
formulés valent pour la présente espèce, qui concerne la même réglementation
que celle ayant fait l'objet de l'arrêt susmentionné. En effet, les
circonstances de la présente affaire révèlent l'absence de tout contrôle a posteriori des mesures de surveillance par
une autorité externe aux services les ayant réalisées, qu'il soit effectué
automatiquement ou à la demande de la personne concernée. Elles mettent
également en évidence l'impossibilité pour le requérant, une fois mis au
courant des écoutes, d'obtenir des informations sur les circonstances de leur
autorisation, leur durée ou le sort des renseignements recueillis – étant donné
que de telles informations sont classées « secret d'Etat » ou encore que
les archives du tribunal de la ville de Sofia, supposées contenir
l'autorisation judiciaire de procéder aux écoutes, ont été détruites avant même
la fin de la procédure pénale engagée contre l'intéressé.
La Cour relève également l'absence de
règles claires et accessibles quant à l'utilisation et à la conservation des
enregistrements obtenus : dans le cas de l'espèce, ceux-ci ont été
détruits en application d'une instruction interne confidentielle du ministre de
l'Intérieur, qui n'était pas connue du requérant ni même de l'enquêteur chargé
de l'instruction pénale.
Au vu de ces observations, la
Cour estime que le requérant n'a pas joui du degré minimal de protection contre
l'arbitraire voulu par sa jurisprudence et que l'ingérence litigieuse ne
satisfaisait dès lors pas à la condition de légalité prévue à l'article 8 § 2
de la Convention. Cette conclusion dispense la Cour de rechercher si
l'ingérence en question était « nécessaire, dans une société
démocratique » à la poursuite d'un des buts légitimes visés par cette
disposition.
Partant, il y a eu violation
de l'article 8 de la Convention.
Sur la violation de l’article
13 combiné avec l’article 8
La Cour rappelle que
l'article 13 garantit l'existence en droit interne d'un recours permettant de
se prévaloir des droits et libertés consacrés par la Convention. Cette
disposition exige donc un recours interne habilitant l'instance nationale
compétente à connaître du contenu d'un grief défendable de violation de la
Convention et à offrir le redressement approprié. Ce recours doit être
« effectif » en pratique comme en droit.
En l'espèce, compte tenu de
sa conclusion concernant le grief fondé sur l'article 8 de la Convention, la
Cour estime que le requérant disposait bien d'un grief « défendable »
appelant l'application de l'article 13.
La Cour rappelle ensuite que
la portée de l'obligation que l'article 13 fait peser sur les Etats
contractants varie en fonction de la nature du grief en cause. En matière de
surveillance secrète, le recours voulu par l'article 13 doit être aussi
effectif qu'il peut l'être eu égard à sa portée limitée, inhérente à tout
système de surveillance. En revanche, si un mécanisme objectif de contrôle peut
être suffisant aussi longtemps que les mesures restent secrètes, une fois les
mesures divulguées des voies de recours doivent s'ouvrir à l'individu.
En l'espèce, hormis
l'indication d'une action en réparation en application de la loi sur la
responsabilité de l'Etat, le Gouvernement n'a pas fourni d'information
concernant l'existence d'un recours accessible au requérant qui eût permit à
une autorité indépendante de contrôler la légalité des mesures de surveillance
réalisées et d'accorder éventuellement une réparation. Or l'action indiquée
permet de demander une indemnisation pour une accusation qui s'est révélée
injustifiée et ne vise pas les cas d'écoutes illégales. Aucune décision interne
où la loi en question aurait été appliquée dans de telles circonstances n'a au
demeurant été produite devant la Cour.
En tout état de cause, la
Cour voit mal comment une telle action pourrait se révéler efficace compte tenu
de l'impossibilité pour le requérant, en pratique comme en droit, d'obtenir des
informations concernant la délivrance d'une autorisation judiciaire pour la
réalisation d'écoutes ou encore la conservation ou la destruction des
enregistrements réalisés, de telles informations étant classées « secret
d'Etat ».
Au vu de ces considérations,
la Cour conclut que le requérant n'avait pas à sa disposition un recours
interne efficace pour remédier à son grief tiré de l'article 8 de la
Convention. Partant, il y a lieu de rejeter l'exception soulevée par le
Gouvernement et de conclure à la violation de l'article 13.
La Cour conclut, á l’unanimité :
- á la violation des articles 8 et 13,
- à la violation des articles 6 § 1 et 13 en
raison de la durée excessive – quatre ans et sept mois – de la procédure pénale
dirigée à l’encontre du requérant. (L’arrêt n’existe qu’en français.)
RESPECT
DE LA VIE PRIVEE - TORTURE TRAITEMENT DEGRADANT TRAITEMENT INHUMAIN
La Cour note que la
requérante n’a pas eu la moindre activité politique en Ouganda. Considérant que
les informations dont elle dispose sur ce pays montrent que même les activistes
modérés ne risquent pas de subir des persécutions, la Cour ne voit aucune raison
de croire qu’une personne qui n’a jamais été active du tout coure un risque du
simple fait qu’elle est la fille d’une personne détenue
NNYANZI c. ROYAUME-UNI
08/04/2008
Non violation des articles 3, 5 et 8
La
requérante alléguait que son expulsion vers l’Ouganda emporterait violation de
ses droits garantis par les articles 3 (interdiction des traitements inhumains
ou dégradants), 5 (droit à la liberté et à la sûreté) et 8 (droit au respect de
la vie privée et familiale).
Décision de la Cour
Article 3
La
Cour note que la forme la plus grave de persécution que la requérante ait
connue en Ouganda avant de se rendre au Royaume-Uni est son arrestation et sa
détention pendant 24 heures ainsi que l’interrogatoire qu’elle a subi. Nul n’a
laissé entendre qu’elle avait été maltraitée pendant sa détention ; de
fait, elle a été autorisée à se rendre à l’hôpital le plus proche après qu’elle
eut déclaré se trouver mal. Dès lors, la Cour ne considère pas que les
circonstances de sa détention aient atteint le seuil minimum de gravité requis
pour relever de l’article 3. La Cour estime de plus que son retour volontaire
en Ouganda et son optimisme montrent que sa détention n’a eu que peu de
conséquences négatives sur elle.
La
Cour observe que la requérante n’a pas eu d’autres ennuis jusqu’à fin 1997. En
outre, elle n’a subi aucun harcèlement entre son retour en Ouganda en janvier
1997 et l’interrogatoire qu’elle aurait subi fin 1997. Elle a par la suite pu
obtenir un autre passeport établi à un autre des noms qu’elle utilisait
régulièrement et qui était connu, ce qui lui a permis de se rendre sans
difficulté au Kenya en juillet 1998 avant de retourner de son propre gré en
Ouganda.
La
Cour considère que le fait que la requérante ait eu l’intention de se rendre au
Royaume-Uni avec un visa de tourisme montre que la situation en Ouganda ne lui
inspirait aucune crainte avant la fouille opérée à son domicile familial. Les
autorités nationales ont aussi considéré que ni la requérante ni aucun membre de
sa famille n’avait été maltraité au cours de cette perquisition. Enfin, la
requérante a réussi à quitter l’Ouganda avec son propre passeport quelques
jours après cet incident sans qu’aucune difficulté ait été signalée.
Le
père de la requérante se trouvait alors en détention en Ouganda depuis près de
10 ans. Si les autorités avaient voulu obtenir des informations le concernant,
elles auraient probablement plutôt cherché à placer la requérante en détention
avant d’arrêter son père. On n’a pas expliqué pourquoi la requérante aurait été
censée détenir plus d’informations au sujet des activités politiques de son
père que celui-ci, sachant notamment qu’elle résidait à l’étranger depuis près
de 10 ans.
La
Cour conclut donc à l’absence de motifs sérieux et avérés de croire que les
autorités ougandaises continuent de s’intéresser particulièrement à la
requérante ou que celle-ci serait persécutée à son retour dans ce pays.
La
Cour note que la requérante n’a pas eu la moindre activité politique en
Ouganda. Considérant que les informations dont elle dispose sur ce pays3
montrent que même les activistes modérés ne risquent pas de subir des
persécutions, la Cour ne voit aucune raison de croire qu’une personne qui n’a
jamais été active du tout coure un risque du simple fait qu’elle est la fille
d’une personne détenue.
Dès
lors, après avoir examiné la situation individuelle de la requérante à la
lumière de la situation qui règne actuellement de manière générale en Ouganda,
la Cour conclut qu’il n’existe pas de motifs sérieux et avérés de croire que
celle-ci courrait un risque réel d’être soumise à la torture ou à des
traitements inhumains ou dégradants au sens de l’article 3 en cas d’expulsion.
Dès lors, son expulsion vers l’Ouganda n'emporterait pas violation de cette
disposition.
Article
5
La
Cour dit à l’unanimité qu’il ne se pose aucune question distincte sur le
terrain de l’article 5.
Article
8
La
Cour ne juge pas nécessaire de déterminer si les études de comptabilité que
mène la requérante, ses activités au sein de son Eglise et son amitié d’une
durée non précisée avec un homme pendant son séjour de près de 10 ans au
Royaume-Uni sont constitutifs d’une vie privée au sens de l’article 8. A
supposer même que cela soit le cas, son expulsion vers l’Ouganda serait
« prévue par la loi » et viserait un but légitime, à savoir le contrôle
de l’immigration. Quant à la nécessité de l’ingérence, après avoir mis en
balance l’intérêt de la requérante à faire respecter la vie privée qu’elle a pu
construire pendant son séjour au Royaume-Uni et l’intérêt public légitime à
contrôler l’immigration de manière effective, la Cour juge que son expulsion ne
constituerait pas une ingérence disproportionnée. La requérante n’est pas une
immigrante installée et n’a jamais obtenu le droit de demeurer au Royaume-Uni.
Son séjour, dans l’attente de l’issue de ses demandes d’asile et requêtes en
matière de droits de l’homme, a toujours été précaire, et son expulsion, après
le rejet de ces plaintes, n’est pas rendue disproportionnée du fait du retard
avec lequel les autorités auraient examiné ces demandes.
La Cour
ne juge pas non plus qu’il existe des preuves suffisantes de ce que l’expulsion
de la requérante, alors qu’elle souffre d’asthme – aggravé selon elle par le
stress –, aurait des effets néfastes sur son intégrité physique et morale au
point d’emporter violation dans son chef des droits garantis par l’article 8.
Dès
lors, l’expulsion de la requérante vers l’Ouganda n’emporterait pas violation
de l’article 8.
La
Cour conclut, à l’unanimité, que l’expulsion de la requérante vers l’Ouganda n’emporterait pas violation de l’article 3 ni de l’article 8
de la Convention.
Nnyanzi c.
Royaume-Uni
(requête no 21878/06).Applicabilité
Article 39 du Règlement de la Cour Non-violation de l'art. 3 (en cas de retour
en Ouganda) ; Non-violation de l'art. 8 (en cas de retour en Ouganda) Articles
3 ; 8 ; 29-3 ; 35-1 Jurisprudence de Strasbourg Abdulaziz,
Cabales et Balkandali c. Royaume-Uni, arrêt du 28 mai
1985, série A n° 94, § 67 ; Ahmed c. Autriche, arrêt du 17 décembre 1996, Recueil
1996-VI, §§ 38, 39 ; Al-Moayad c. Allemagne (déc.),
n° 35865/03, §§ 65-66, 20 février 2007 ; Bensaid c.
Royaume-Uni, n° 44599/98, arrêt du 6 février 2001 at § 46 ; Boujlifa
c. France, arrêt du 21 octobre 1997, Recueil 1997-VI, § 42 ; Chahal c. Royaume-Uni, arrêt du 15 novembre 1996, Recueil
1996-V, §§ 85, 86, 96, 99, 100 ; Costello-Roberts c. Royaume-Uni, arrêt du 25
mars 1993, série A n° 247-C, pp. 60-61, § 36 ; Fatgan
Katani et autres c. Allemagne (déc.), n° 67679/01, 31
mai 2001 ; H.L.R. c. France, arrêt du 29 avril 1997, Recueil 1997 III, §§ 34,
37 ; Hilal c. Royaume-Uni (déc.), n° 45276/99, 8 février 2000 ; Hilal c.
Royaume-Uni, n° 45276/99, § 60, CEDH 2001-II ; Jabari
c. Turquie, n° 40035/98, § 38, CEDH 2000-VIII ; Jalloh
c. Allemagne [GC], n° 54810/00, § 67, 11 juillet 2006 ; Mamatkulov
et Askarov c. Turquie [GC], nos. 46827/99 et
46951/99, §§ 67, 69, 3, CEDH 2005-I ; Mouisel c.
France, n° 67263/01, § 37, CEDH 2002-IX ; Moustaquim
c. Belgique, arrêt du 18 février 1991, série A n° 193, p. 18, § 36 ; Müslim c. Turquie, n° 53566/99, §§ 67, 68, 26 avril 2005 ;
N. c. Finlande, n° 38885/02, § 167, 26 juillet 2005 ; Price c. Royaume-Uni, n°
33394/96, § 24, CEDH 2001-VII ; Saadi c. Italie, [GC], n° 37201/06, arrêt du 28
février 2008, §§ 124, 125, 128, 129, 131, 133 ; Said
c. Pays-Bas, n° 2345/02, § 54, 5 juillet 2005 ; Salah Sheekh
c. Pays-Bas, n° 1948/04, § 135, 11 janvier 2007 ; Soering
c. Royaume-Uni, arrêt du 7 juillet 1989, série A n° 161, §§ 90 91.
La Cour rappelle que l’acquittement au pénal
d’un fonctionnaire ne dégage pas nécessairement un Etat de ses obligations en
vertu de la Convention. L’absence d’intention ou de mauvaise foi des agents
communaux responsables ne libère aucunement la Suisse de sa propre
responsabilité internationale au titre de la Convention
HADRI-VIONNET c. SUISSE
14.02.2008
Violation de l’article 8
L’affaire concerne le fait que la
requérante n’ait pas pu assister à l’enterrement de son enfant mort-né et le
transport de son cadavre dans une camionnette de livraison ordinaire.
Mme Hadri-Vionnet
arriva en Suisse le 10 juin 1996 et y demanda l’asile politique. Le 4 avril
1997, elle donna naissance à un enfant mort-né dans un foyer pour demandeurs
d’asile de la commune de Buchs. La requérante était sous le choc. Lorsque la
question leur fut posée par la sage-femme, l’intéressée et le père de l’enfant
affirmèrent qu’ils ne souhaitaient pas voir le corps de l’enfant. Après avoir
subi une autopsie, le corps de l’enfant fut transporté dans une camionnette de
livraison au cimetière en vue de son enterrement dans la fosse commune des
enfants mort-nés. Cet enterrement eut lieu sans cérémonie et en l’absence de la
requérante. L’assistant social et l’officier d’état-civil prirent notamment en
compte le fait que les parents n’avaient pas exprimé le souhait de voir le
corps avant son autopsie et estimèrent que, compte tenu de son état psychique,
la requérante n’était pas en mesure d’assister à son inhumation.
Dans ce contexte, la requérante déposa une
plainte pénale à l’encontre des deux agents communaux responsables pour ces
actes. Cette procédure pénale, dans laquelle la requérante s’était constituée
partie civile, fut classée sans suite par le parquet du canton d’Argovie. Les
recours formés par l’intéressée devant le tribunal supérieur du canton
d’Argovie furent déclarés irrecevables, au motif que les éléments constitutifs
de l’infraction relative à l’atteinte à la paix des morts n’étaient pas réunis
en l’espèce, l’élément intentionnel faisant défaut. S’agissant du transport de l’enfant,
le tribunal supérieur admit que l’officier d’état civil avait enfreint
l’ordonnance sur la circulation routière, puisqu’aucune autorisation n’avait
été donnée, mais estima qu’il fallait relativiser la faute de l’agent, peu
expérimenté en la matière, ainsi que les effets réels de son comportement. Le
Tribunal fédéral débouta la requérante de ses recours.
Par une décision du 23 mars 1998, le
conseil communal de Buchs autorisa l’exhumation du corps de l’enfant, laquelle
eut lieu le 20 mai 1998 et fut suivie par le transfert du corps au nouveau
domicile de la requérante à Genève. L’enterrement eut lieu après une cérémonie
catholique.
La requérante se plaignait de ce que le
cadavre de son enfant mort-né lui a été retiré et a été enterré à son insu dans
une fosse commune et qu’il a été amené au cimetière dans un véhicule
inapproprié. Elle invoquait l’article 8.
Décision de la
Cour
Article 8
La Cour constate l’applicabilité de
l’article 8 à la question de savoir si la requérante était en droit d’assister
à l’enterrement de son enfant, éventuellement accompagné d’une cérémonie, et de
voir son corps transporté dans un véhicule approprié.
La Cour souligne qu’elle n’a nullement
l’intention de mettre en doute la bonne foi de l’agent chargé d’ordonner le
transport et l’enterrement du corps de l’enfant, tâche particulièrement
sensible, compte tenu notamment du fait que la requérante se trouvait dans un
état de choc et qu’il convenait d’agir avec une certaine rapidité.
Cela étant, la Cour rappelle que
l’acquittement au pénal d’un fonctionnaire ne dégage pas nécessairement un Etat
de ses obligations en vertu de la Convention. L’absence d’intention ou de
mauvaise foi des agents communaux responsables ne libère aucunement la Suisse
de sa propre responsabilité internationale au titre de la Convention. La Cour
estime dès lors que l’enterrement aussi bien que le transport du corps
s’analysent en une ingérence dans le droit de la requérante au respect de sa
vie privée et familiale.
Sur le point de savoir si une telle
ingérence était « prévue par la loi », la Cour décèle d’emblée une
contradiction entre un texte législatif clair et la pratique suivie dans le cas
de la requérante. En effet, la Cour constate que l’officier d’état civil a
procédé à l’enterrement sans avoir consulté les proches, alors même que le
règlement sur le cimetière et les pompes funèbres de la commune de Buchs
prescrit une telle consultation. En outre, ce règlement prévoit que
l’inhumation soit organisée par les proches.
S’agissant du transport de la dépouille de
l’enfant, la Cour rappelle que le tribunal supérieur du canton d’Argovie a
admis – sans que le Tribunal fédéral remette en cause ce constat – que le
transport était intervenu en méconnaissance de l’ordonnance sur la circulation
routière, aucune autorisation n’ayant été donnée.
Partant, la Cour conclut que les ingérences
dans le droit au respect de la vie privée et familiale de la requérante ne
reposaient pas sur une base légale, en violation de l’article 8.
La Cour conclut, à l’unanimité :
- à la violation de l’article 8 de la Convention.
En application de l’article 41 de la
Convention, la Cour alloue à la requérante 3 000 euros (EUR)
pour préjudice moral, ainsi que 5 000 EUR pour frais et dépens. (L’arrêt n’existe qu’en français.)
Hadri-Vionnet c. Suisse n° 55525/00 du 14 février 2008 Jurisprudence
: : Avsar c. Turquie, no 25657/94, § 284, CEDH
2001-VII (extraits) ; Bottazzi c. Italie [GC], no
34884/97, § 22 et § 30, CEDH 1999-V ; Dammann c.
Suisse, no 77551/01, § 55, 25 avril 2006 ; Elli Poluhas Dödsbo c. Suède, no
61564/00, § 24, CEDH 2006 ; Hertel c. Suisse, arrêt du 25 août 1998, Recueil
1998-VI, p. 2334, § 63 ; Kopp c. Suisse, arrêt du 25
mars 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-II, § 73 ; Linnekogel
c. Suisse, no 43874/98, § 49, 1 mars 2005 ; Pannullo
et Forte c. France, no 37794/97, § 36, CEDH 2001-X ; Pretty
c. Royaume-Uni, no 2346/02, § 61, CEDH 2002-III ; Ribitsch
c. Autriche, arrêt du 4 décembre 1995, série A no 336, p. 26, § 34 ; Scordino c. Italie (no 1) [GC], no 36813/97, § 183, CEDH
2006-V . Smith et Grady c. Royaume-Uni, nos 33985/96
et 33986/96, § 72, CEDH 1999-VI ; X c. République fédérale d'Allemagne,
décision du 10 mars 1981, no 8741/79, Décisions et rapports 24, p. 137 ;
Zimmermann et Steiner c. Suisse, arrêt du 13 juillet 1983, série A no 66, p.
14, § 36 ; Znamenskaya c. Russie, no 77785/01, § 27,
2 juin 2005
INTERDICTION DE LA DISCRIMINATION
La
requête porte sur le refus des autorités françaises de faire droit à la demande
d’agrément pour adopter de la requérante en raison, selon elle, de son
orientation sexuelle.
La
requérante déposa auprès des services sociaux du département du Jura une
demande d’agrément pour adopter un enfant. Durant la procédure d’adoption, elle
fit part de son homosexualité et de sa relation stable avec R.
Sur
le fondement des rapports rendus par une assistante sociale et une psychologue,
la Commission chargée d’examiner les demandes d’agrément rendit un avis
défavorable. Peu après, le président du conseil général du Jura prit une
décision de refus de la demande d’agrément. Suite à un recours de la
requérante, le président du conseil général confirma son refus. Ses deux
décisions furent motivées par le défaut de « repères
identificatoires » dû à l’absence d’image ou de référent paternel et par
l’ambiguïté de la situation de la compagne de la requérante par rapport à la
procédure d’adoption.
Saisi
par la requérante, le tribunal administratif de Besançon annula les deux
décisions du président du conseil général. Le département du Jura interjeta
appel de ce jugement. La cour administrative d’appel de Nancy annula le
jugement du tribunal administratif; elle estima que le refus d’agrément n’était
pas fondé sur le choix de vie de la requérante et n’avait donc pas entraîné de
violation des articles 8 et 14 de la Convention.
La
requérante forma un pourvoi en cassation, faisant notamment valoir que sa
demande d’adoption avait été rejetée en raison de ses orientations sexuelles.
Le Conseil d’Etat rejeta le pourvoi d’E.B., au motif notamment que la cour
administrative d’appel n’avait pas fondé sa décision sur une position de
principe concernant les orientations sexuelles de l’intéressée, mais avait tenu
compte des besoins et de l’intérêt d’un enfant adopté.
Invoquant l’article
14 de la Convention, combiné avec l’article 8, la requérante alléguait avoir
subi, à toutes les phases de la procédure de demande d’agrément en vue
d’adopter, un traitement discriminatoire fondé sur son orientation sexuelle et
portant atteinte à son droit au respect de sa vie privée.
Décision de la Cour
La
Cour rappelle tout d’abord que si le droit français et l’article 8 ne garantissent pas le droit d’adopter ou de
fonder une famille, ce dont les parties conviennent, la notion de « vie
privée », au sens de l’article 8, est quant à elle un concept large qui
comprend un certain nombre de droits. S’agissant en l’espèce d’une allégation
de discrimination en raison de l’homosexualité de la requérante, la Cour
rappelle également que si l’article 14 n’a pas d’existence indépendante, son
application ne présuppose pas nécessairement la violation de l’article 8 : il
suffit que les faits de la cause tombent « sous l’empire » de ce
dernier. Tel est le cas dans la présente affaire, dès lors que la
législation française accorde expressément aux personnes célibataires le droit
de demander l’agrément en vue d’adopter et qu’elle établit une procédure à
cette fin.
En
conséquence, la Cour estime que l’Etat, qui est allé au-delà de ses obligations
découlant de l’article 8 en créant pareil droit, ne peut ensuite prendre des
mesures discriminatoires dans sa mise en application. Or la requérante se
plaint d’une discrimination dans l’exercice de son droit accordé par la
législation interne en raison de son orientation sexuelle, notion couverte par
l’article 14.
L’article
14 de la Convention, combiné avec l’article 8, s’applique donc en l’espèce.
Article 14 de la Convention, combiné avec l’article 8
Après
avoir opéré un parallèle avec une précédente affaire, la Cour
relève que les autorités administratives internes, puis les
juridictions saisies du recours de la requérante, se sont principalement
fondées sur deux motifs pour rejeter la demande d’agrément en vue
d’adopter : l’absence de référent paternel dans le foyer de la requérante,
ainsi que le comportement de la compagne déclarée de celle-ci.
La
Cour considère que l’attitude de la compagne de la requérante n’est pas sans
intérêt et sans pertinence pour l’appréciation de la demande d’agrément. A ses
yeux, il est légitime que les autorités s’entourent de toutes les garanties en
vue de l’accueil éventuel d’un enfant dans une famille, notamment si elles
constatent la présence non pas d’un mais de deux adultes dans le foyer
d’accueil. Pour la Cour, un tel motif est étranger à toute considération sur
l’orientation sexuelle de l’intéressée.
S’agissant
du motif tiré de l’absence de référent paternel, la Cour estime que cela ne
pose pas nécessairement problème en soi, mais qu’il est permis de s’interroger
sur son bien-fondé en l’espèce, la demande d’agrément étant présentée par un
célibataire et non par un couple. Aux yeux de la Cour, un tel motif aurait donc
pu conduire à un refus arbitraire et servir de prétexte pour écarter la demande
de la requérante en raison de son homosexualité, et le Gouvernement n’a pas été
en mesure de prouver que son utilisation au plan interne ne conduisait pas à
des discriminations. La Cour ne conteste pas l’intérêt d’un recours
systématique à l’absence de référent paternel, mais bien l’importance que lui
accordent les autorités internes s’agissant d’une adoption par une personne
célibataire.
Le
fait que l’homosexualité de la requérante ait été aussi présente dans les
motivations des autorités internes est significatif, bien que les juridictions
aient jugé qu’elle ne fondait pas la décision litigeuse.
Outre leurs considérations sur les « conditions de vie » de la
requérante, les juges internes ont surtout confirmé la décision du président du
Conseil général, proposant et justifiant
pour l’essentiel de rejeter la demande pour les deux motifs litigieux : la
rédaction de certains avis révélait une prise en compte déterminante de
l’homosexualité de la requérante ou, parfois, de son statut de célibataire pour
le contester et lui opposer alors même que la loi prévoit expressément le droit
pour les célibataires de demander l’agrément.
Pour
la Cour, la référence à l’homosexualité de la requérante était sinon explicite
du moins implicite et l’influence de son homosexualité sur l’appréciation de sa
demande est non seulement avérée, mais a également revêtu un caractère décisif.
Partant,
elle considère que la requérante a fait l’objet d’une différence de traitement.
Si cette dernière se rapporte uniquement à l’orientation sexuelle, elle
constitue une discrimination au regard de la Convention. En tout état de cause,
il faut des raisons particulièrement graves et convaincantes pour la justifier
s’agissant de droits tombant sous l’empire de l’article 8. Or de telles raisons
n’existent pas en l’espèce, puisque le droit français autorise l’adoption d’un
enfant par un célibataire, ouvrant ainsi la voie à l’adoption par une
personne célibataire homosexuelle. De plus, le code civil reste muet quant à la
nécessité d’un référent de l’autre sexe et, par ailleurs, la requérante
présentait, pour reprendre les termes de l’arrêt du Conseil d’Etat, « des qualités
humaines et éducatives certaines ».
La
Cour ayant constaté que la situation de la requérante a fait l’objet d’une
appréciation globale par les autorités internes, lesquelles ne se sont pas
fondées sur un motif à titre exclusif, mais sur « l’ensemble » des
éléments, les deux principaux motifs utilisés doivent être appréciés
cumulativement : ainsi, le caractère illégitime d’un seul (absence de
référent paternel) a pour effet de contaminer l’ensemble de la décision.
La
Cour conclut, par dix voix contre sept, à la violation
de l’article 14 combiné avec l’article 8 de la Convention.
En
application de l’article 41 de la Convention, la Cour, par onze voix contre
six, alloue à la requérante 10 000 Euros pour dommage moral,
ainsi que 14 528 EUR pour frais et dépens.
E.B. c. France (requête no
43546/02). Les juges Lorenzen et Jebens ont
exprimé une opinion concordante, et les juges Costa, Türmen,
Ugrekhelidze, Jočienė,
ainsi que les juges Zupančič, Loucaides et Mularoni des
opinions dissidentes
Jurisprudence de
Strasbourg Evans c. Royaume-Uni [GC], n° 6339/05, § 75 et §§ 77-81, CEDH
2007 ; Hokkanen c. Finlande, arrêt du 23 septembre
1994, série A n° 299-A, p. 20, § 55 ; Keegan c.
Irlande, arrêt du 26 mai 1994, série A n° 290, p. 19, § 49 ; Mikulic c. Croatie, n° 53176/99, § 59, CEDH 2002-I ; P., C.
et S. c. Royaume-Uni, n° 56547/00, § 122, CEDH 2002-VI ; Reinhardt et Slimane-Kaïd c. France (judgment of 31
mars 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-II, p. 666, §§ 106-107 ; Riha c. France (déc.), n° 71443/01, 24 juin 2004 ; V.S. c.
Allemagne (déc.), n° 4261/02, 22 mai 2007
Sources Externes Convention des Nations Unies relative aux
droits de l'enfant ; Convention du 29 mai 1993 sur la protection des enfants et
la coopération en matière d'adoption international ; Convention européenne en
matière d'adoption des enfants
ETABLISSEMENT
DE LA FILIATION BIOLOGIQUE
L'expertise biologique est de droit en matière de filiation,
sauf s'il existe un motif légitime de ne pas y procéde .
L'arrêt frappé de pourvoi avait jugé que la demande tendant
à voir ordonner une expertise biologique n'est recevable que s'il a été
recueilli au préalable des indices ou présomptions de paternité.
L'Assemblée plénière de la Cour de Cassation juge que
l'expertise biologique état de droit en matière de filiation, sauf s'il existe
un motif légitime de ne pas y procéder, la cour d'appel a violé les
articles 340 et 311-12 du code civil, dans leur rédaction applicable à
l'espèce.
05-17.975, 06-10.039
Arrêt n° 562 du 23 novembre 2007
Cour de cassation - Assemblée plénière
NOTA F& C :
"En finir avec les adminicules…"
Le
"respect" de la "vie familiale" exige que "la réalité biologique
et sociale prévale sur une présomption légale heurtant de front tant les faits
établis que les vœux des personnes concernées, sans réellement profiter à
personne"(CEDH)
par Bertrand FAVREAU
Ainsi que le suggérait M. Régis de Gouttes,
premier avocat général dans son avis : "à la date où il a été rendu
[9 avril 2004], la motivation de l'arrêt était conforme à l'article 340 du code
civil alors applicable, qui disposait :"La
paternité hors mariage peut être judiciairement déclarée. La preuve ne peut en
être rapportée que s'il existe des présomptions ou indices graves". Et
il rappelait que , dès avant la réforme de l'ordonnance du 4 juillet 2005, la
Cour de cassation, dans des arrêts de la première chambre civile des 28 mars
2000 et 12 mai 2004 , a décidé, au visa des articles 340 et 311-12
du code civil, que "l'expertise
biologique est de droit en matière de filiation, sauf s'il existe un motif
légitime de ne pas y procéder".
Un arrêt ultérieur de la première chambre civile du 14 juin
2005 devait confirmer cette position en
jugeant qu'encourt la cassation l'arrêt qui énonce que c'est à tort que les
premiers juges ont ordonné, dans une action en recherche de paternité, un
examen comparé des sangs, aucun indice grave ou présomption n'étant rapporté en
l'espèce, alors que l'expertise biologique est de droit en matière de filiation
sauf s'il existe un motif légitime de ne pas y procéder.
C'est donc cette
interprétation qui a été consacrée par le nouvel article 327 du code civil issu
de l'ordonnance n° 2005-759 du 4 juillet 2005 portant réforme de la filiation :
"La paternité hors mariage peut être
judiciairement déclarée. L'action en recherche de paternité est réservée à
l'enfant".
Et comme le souligne M.
Régis de Gouttes : "Dans ce nouveau texte, l'exigence
d'adminicules préalables disparaît clairement." Au regard de l'état
actuel du droit, la motivation de
l'arrêt attaqué était donc inappropriée
ce que la cour d'appel a énoncé à tort que "la demande tendant à
voir ordonner une expertise biologique n'est recevable que s'il a été recueilli
au préalable les indices ou présomptions de paternité", alors qu'une telle
demande ne peut désormais être refusée que s'il existe un motif légitime de ne
pas ordonner d'expertise. Dont acte.
Il est regrettable que le pourvoi ne se soit pas placé sous
l'angle de l’article 8 de la Convention
Européenne des Droits de l'Homme, ainsi libellé :« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et
familiale, de son domicile et de sa correspondance ", ce qui en cas de
dénouement malheureux devant la Cour régulatrice aurait facilité la
recevabilité ultérieure de la Cour européenne; La Cour de Strasbourg
a dit à maintes reprises que les procédures ayant trait à la paternité
tombent sous l’empire de l’article 8 (Mikulić
c. Croatie, arrêt du 7 février 2002
no 53176/99, CEDH 2002-I § 51 ou Mizzi c. Malte,
arrêt du 12 janvier 2006, n° 26111/02, CEDH 2006, § 104).
Le droit de connaître son ascendance se trouve bien dans le
champ d’application de la notion de « vie privée », qui englobe des
aspects importants de l’identité personnelle dont l’identité des géniteurs fait
partie (Odièvre c. France [GC], arrêt
du 13/02/2003, no 42326/98,
§ 29, CEDH 2003-III, et Mikulić, précité,
§ 53). La Cour a également dit dans les
affaires Mikulić et Jäggi qu'il n'y a
"aucune raison de principe de considérer la notion de « vie
privée » comme excluant l’établissement d’un lien juridique ou biologique
entre un enfant né hors mariage et son géniteur". (Mikulić,
précité ; Jäggi c. Suisse, n° 58757/00, CEDH 2006, §
25). Par conséquent, les faits de la cause tombaient sous l’empire de l’article
8 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme.
Si l’article 8 a essentiellement pour objet de prémunir
l’individu contre les ingérences arbitraires des pouvoirs publics, on sait que
des obligations positives inhérentes à un respect effectif de la vie privée ou
familiale s’ajoutent à cet engagement négatif . Elles
peuvent impliquer l’adoption de mesures visant au respect de la vie privée
jusque dans les relations des individus entre eux (voir Mikulić
c. Croatie, précité, § 57 ; Mizzi c. Malte,
précité, § 105.)
Ce qui concerne l'action en reconnaissance de paternité est
transposable à toute action en contestation de paternité dès lors qu'elle
reposerait sur une volonté d'établir une filiation biologique véritable.
En termes de droits fondamentaux, le droit de contester une paternité
juridique lorsque celle-ci ne correspond pas à la réalité biologique est
incontestable. Ainsi la Cour a-t-elle pu condamner la Russie pour la brièveté
du délai de prescription de l'action qui entravait le droit fondamental d'un
requérant (Chofman c. Russie, arrêt du 24 novembre 2005),
ou plus encore condamner le fait pour un homme marié de ne pas
pouvoir contester sa paternité alors même qu'un test ADN démontre qu'il n'est
pas le père de l'enfant (Mizzi c. Malte , précité).
Conformément à sa jurisprudence constante, la Cour de
Strasbourg rappelle qu'elle n'a point
pour tâche de se substituer aux autorités nationales compétentes pour trancher
les litiges au niveau national mais d’examiner sous l’angle de la Convention
Européenne des Droits de l'Homme les décisions que ces autorités ont rendues
dans l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire (arrêts Mikulić,
précité, § 59, Hokkanen c. Finlande,
23 septembre 1994, série A no 299-A, p. 20, § 55 ).
En matière de paternité, lorsqu'elle est saisie, elle
s'efforce d'apprécier si l’Etat
défendeur, en traitant l’action en contestation de paternité du requérant, a
agi en méconnaissance de son obligation positive découlant de l’article 8 de la
Convention Européenne des Droits de l'Homme. (Mizzi c. Malte, précité, § 107). Dès lors, force est d'admettre
qu'un requérant est fondé à se plaindre
de toute entrave à son action et ce que l'avocat général Régis de Gouttes
appelle, avec un bonheur d'expression dont il a le secret, des " adminicules préalables " ne
constitue pas le seul obstacle. Il existait d'autres entraves dans les articles
du code civil, dans la version en vigueur avant 2006, l’ont empêché de
former une demande ayant des chances d’être accueillie par les juridictions
nationales.
·
Le délai de
prescription pour engager la procédure
en contestation de paternité qui a empêche
l’intéressé d’exercer une action en désaveu de paternité, faute pour lui
d’avoir pris conscience dans l’année suivant la naissance de l’enfant qu’il
pouvait ne pas être le père de celui-ci, n’était pas proportionnée aux buts
légitimes poursuivis. (Chofman c. Russie, 24 novembre 2005 n°
74826/01.)
Tel est le cas de l'affaire Paulik où était en cause
l'impossibilité pour un père de contester une paternité juridiquement établie
en présence d'une analyse ADN, prouvant qu’il n’était pas le père de la
personne en question parce que l'état de la législation du pays n'offrait pas
de procédure permettant de rendre la
situation juridique conforme à la réalité biologique. Dans un tel cas la CEDH
avait déjà conclu "que l’ordre juridique interne a manqué à garantir le
respect de la vie privée".
Au-delà des présomptions légales, il convient que les
législations internes tirent effectivement toutes les
conséquences de l'expertise biologique .
En effet, la Cour a déjà dit qu'une situation dans laquelle
une présomption légale peut prévaloir sur la réalité biologique ne saurait être
compatible avec l’obligation de garantir le « respect » effectif de
la vie privée et familiale, même eu égard à la marge d’appréciation dont
jouissent les Etats.
Aux yeux de la Cour, le "respect" de la "vie
familiale" exige que "la réalité biologique et sociale prévale sur
une présomption légale heurtant de front tant les faits établis que les vœux
des personnes concernées, sans réellement profiter à personne", et
cela même eu égard à la marge
d’appréciation dont jouissent les
Etats. (arrêt Kroon et autres, précité, § 40).
La Cour a aussi constaté que cela ne pouvait aboutir a empêcher la consécration du principe de la reconnaissance
de la réalité biologique que au regard des articles 8 et 14 de la
Convention (par exemple arrêt du 27
octobre 1994, Kroon et autres c. Pays-Bas, arrêt du
27 octobre 1994, série A n° 297-C,)
et cela même à propos de l'établissement de filiation réelle d'un enfant
mort-né ( Znamenskaya c. Russie n° 77785/01,
arrêt du 2 juin 2005, § 31 )
De même, dans son arrêt du 18 mai 2006 (Rozanski c. Pologne), la Cour a
considéré que le fait pour un père biologique d'avoir été empêché d'établir sa
paternité constitue une violation du droit
au respect de la vie familiale au
sens de l’article 8.
Il est plus important encore de souligner que la Cour en a
souligné le motif : les autorités avaient simplement répété dans leurs
décisions que le simple fait que l’enfant avait été légalement reconnu par un
autre homme suffisait pour justifier le rejet des demandes du requérant tendant
à la reconnaissance de sa paternité biologique.
(Rózanski c. Pologne, arrêt du 18 mai 2006, n°
55339/00, § 77.
Ce qui est valable pour le père est valable pour l'enfant,
car il s'agit d'une seule et même vérité. Ainsi que la rappelé la Cour , l'expression « toute personne » de
l'article 8 de la Convention s'applique à l'enfant comme à la mère.
D'un côté, il y a le droit à la connaissance de ses origines
qui trouve son fondement dans l'interprétation extensive du champ d'application
de la notion de vie privée. L'intérêt vital de l'enfant dans son épanouissement
est également largement reconnu dans l'économie générale de la Convention
(voir, parmi beaucoup d'autres, les arrêts Johansen
c. Norvège, 7 août 1996, Recueil 1996-III, p. 1008, § 78, Mikulić précité, § 64, ou Odièvre c. France [GC], arrêt du 13 février 2003 n°
42326/98,CEDH 2003-III § 44. ). D'un
autre côté, il existe sur un plan plus général
le respect de la vie familiale qui
"exige que la réalité biologique et sociale prévale sur une présomption
légale heurtant de front tant les faits établis que les vœux des personnes
concernées, sans réellement profiter à personne", et cela " même eu
égard à la marge d’appréciation dont ils jouissent" . (Kroon et autres c. Pays-Bas, arrêt du 27 octobre 1994, série A n° 297-C,
§§ 31, 40 ).
Dès lors, il appartient au système
juridique de l'Etat concerné de prévoir des mesures effectives permettant
d'obvier au défaut de consentement de l'intéressé.
Dans l'affaire Mikulic, la Cour a
considéré qu'"un système qui ne
prévoit aucun moyen d’obliger le père allégué de se conformer à une ordonnance
de justice lui intimant de se soumettre à des tests ADN, peut en principe être
considéré comme compatible avec l’article 8, même en tenant compte de la marge de l'appréciation dont ils
jouissent". (Mikulić, précité, §
7.2.2002 § 64). Mais , dans l'affaire Mikulić, où elle a constaté une violation de l'article
8, la Cour avait relevé que le droit
interne ne prévoyait aucune mesure permettant de contraindre le père à se
conformer aux ordonnances du tribunal lui intimant de se soumettre à des tests
ADN. Il ne comportait en outre aucune disposition régissant les conséquences du
refus de l’intéressé.
Si la Cour a
toujours mis en exergue la "nécessité de protéger les tiers", cette
réserve n'a pas à intervenir en l'espèce. En effet, dans l'affaire Mikulić,
comme en l'espèce, le tribunal
de première instance avait omis, pour résoudre la question de paternité en
l’espèce, d’apprécier d’autres éléments pertinents. (Mikulić,
précité, § 61).
Dans l’affaire Jäggi c. Suisse, la Cour a considéré
que les personnes essayant d’établir leur ascendance ont "un intérêt vital, protégé par la Convention Européenne des Droits
de l'Homme, à obtenir les informations qui leur sont indispensables pour
découvrir la vérité sur un aspect important de leur identité personnelle".
Pour examiner si la nécessité de protéger les tiers peut
exclure la possibilité de contraindre ceux-ci à se soumettre à quelque analyse
médicale que ce soit, notamment à des tests ADN, la Cour a donc mis en balance les intérêts en présence, à savoir le
droit du requérant à connaître son ascendance et le droit des tiers à
l’intangibilité du corps du défunt, le droit au respect des morts ainsi que
l’intérêt public à la protection de la sécurité juridique.
Elle a estimé que l’intérêt que peut avoir un individu à
connaître son ascendance ne cesse nullement avec l’âge, bien au contraire et
que pour s’opposer au prélèvement ADN, qualifié par la Cour de "
mesure relativement peu intrusive", la famille n’avait invoqué
aucun motif d’ordre religieux ou philosophique.
Enfin , à propos du
prélèvement de l’ADN d'un défunt dont doit être prélevé qui pas définition ne
saurait y consentir, la Cour a également posé le principe selon lequel
" la protection de la sécurité
juridique ne saurait à elle seule suffire comme argument pour priver le
requérant du droit de connaître son ascendance".
En vertu de la jurisprudence de la Cour, une situation
faisant prévaloir une présomption légale sur une réalité biologique et sociale,
sans tenir compte de celle-ci et des souhaits des personnes concernées et sans
que la décision ait réellement profité à quiconque, n’était pas compatible, eu
égard même à la marge d’appréciation dont l’Etat défendeur jouissait en la
matière, avec l’obligation de garantir à la requérante un « respect »
effectif de sa vie privée et familiale.
En l'occurrence il s'agit d'une motivation que la Cour a
déjà été amenée à déclarer non pertinente dès lors que les " autorités ont
simplement répété dans leurs décisions que le simple fait que l’enfant avait
été légalement reconnu par un autre homme suffisait pour justifier le rejet des
demandes du requérant tendant à la reconnaissance de sa paternité
biologique". (Rózanski c. Pologne, arrêt du 18 mai 2006, n°
55339/00, § 77). D'une façon plus
générale, la Cour a constaté dans
l'affaire Mikulic c. Croatie, que la procédure
existante n'a pas ménagé " un juste équilibre entre le droit de la
requérante de voir dissiper sans retard inutile son incertitude quant à son
identité personnelle et le droit de son père présumé de ne pas subir de tests ADN " et que "
l'inefficacité des tribunaux a maintenu la requérante dans un état
d'incertitude prolongée quant à son identité personnelle". (Mikulic c. Croatie, précité, §§ 65-66).
Il n'est pas certain à ce jour que la législation française
et la pratique des juridictions ait totalement achevé son aggiornamento pour permettre sans entrave l'établissement de la
filiation biologique, ce qui n'est qu'une élémentaire manifestation ou
reconnaissance de la vérité consubstantielle à la justice.
Bertrand FAVREAU
Avocat à la Cour
DROIT AU RESPECT DE LA VIE PRIVEE - INTERDICTION DE LA DISCRIMINATION
La requête porte sur le refus des autorités
françaises de faire droit à la demande d’agrément pour adopter de la requérante
en raison, selon elle, de son orientation sexuelle.
La requérante déposa auprès des services
sociaux du département du Jura une demande d’agrément pour adopter un enfant.
Durant la procédure d’adoption, elle fit part de son homosexualité et de sa
relation stable avec R.
Sur le fondement des rapports rendus par
une assistante sociale et une psychologue, la Commission chargée d’examiner les
demandes d’agrément rendit un avis défavorable. Peu après, le président du
conseil général du Jura prit une décision de refus de la demande d’agrément.
Suite à un recours de la requérante, le président du conseil général confirma
son refus. Ses deux décisions furent motivées par le défaut de « repères
identificatoires » dû à l’absence d’image ou de référent paternel et par
l’ambiguïté de la situation de la compagne de la requérante par rapport à la
procédure d’adoption.
Saisi par la requérante, le tribunal
administratif de Besançon annula les deux décisions du président du conseil
général. Le département du Jura interjeta appel de ce jugement. La cour
administrative d’appel de Nancy annula le jugement du tribunal administratif;
elle estima que le refus d’agrément n’était pas fondé sur le choix de vie de la
requérante et n’avait donc pas entraîné de violation des articles 8 et 14 de la
Convention.
La requérante forma un pourvoi en
cassation, faisant notamment valoir que sa demande d’adoption avait été rejetée
en raison de ses orientations sexuelles. Le Conseil d’Etat rejeta le pourvoi
d’E.B., au motif notamment que la cour administrative d’appel n’avait pas fondé
sa décision sur une position de principe concernant les orientations sexuelles
de l’intéressée, mais avait tenu compte des besoins et de l’intérêt d’un enfant
adopté.
Invoquant l’article 14 de la
Convention, combiné avec l’article 8, la requérante alléguait avoir subi, à
toutes les phases de la procédure de demande d’agrément en vue d’adopter, un
traitement discriminatoire fondé sur son orientation sexuelle et portant
atteinte à son droit au respect de sa vie privée.
Décision de la
Cour
La Cour rappelle tout d’abord que si le
droit français et l’article 8 ne garantissent
pas le droit d’adopter ou de fonder une famille, ce dont les parties
conviennent, la notion de « vie privée », au sens de l’article 8, est
quant à elle un concept large qui comprend un certain nombre de droits.
S’agissant en l’espèce d’une allégation de discrimination en raison de
l’homosexualité de la requérante, la Cour rappelle également que si l’article
14 n’a pas d’existence indépendante, son application ne présuppose pas
nécessairement la violation de l’article 8 : il suffit que les faits de la
cause tombent « sous l’empire » de ce dernier. Tel est le
cas dans la présente affaire, dès lors que la législation française
accorde expressément aux personnes célibataires le droit de demander l’agrément
en vue d’adopter et qu’elle établit une procédure à cette fin.
En conséquence, la Cour estime que l’Etat,
qui est allé au-delà de ses obligations découlant de l’article 8 en créant
pareil droit, ne peut ensuite prendre des mesures discriminatoires dans sa mise
en application. Or la requérante se plaint d’une discrimination dans l’exercice
de son droit accordé par la législation interne en raison de son orientation
sexuelle, notion couverte par l’article 14.
L’article 14 de la Convention, combiné avec
l’article 8, s’applique donc en l’espèce.
Article 14 de la
Convention, combiné avec l’article 8
Après avoir opéré un parallèle avec une
précédente affaire, la Cour relève que les autorités
administratives internes, puis les juridictions saisies du recours de la
requérante, se sont principalement fondées sur deux motifs pour rejeter la
demande d’agrément en vue d’adopter : l’absence de référent paternel dans
le foyer de la requérante, ainsi que le comportement de la compagne déclarée de
celle-ci.
La Cour considère que l’attitude de la
compagne de la requérante n’est pas sans intérêt et sans pertinence pour
l’appréciation de la demande d’agrément. A ses yeux, il est légitime que les
autorités s’entourent de toutes les garanties en vue de l’accueil éventuel d’un
enfant dans une famille, notamment si elles constatent la présence non pas d’un
mais de deux adultes dans le foyer d’accueil. Pour la Cour, un tel motif est
étranger à toute considération sur l’orientation sexuelle de l’intéressée.
S’agissant du motif tiré de l’absence de
référent paternel, la Cour estime que cela ne pose pas nécessairement problème
en soi, mais qu’il est permis de s’interroger sur son bien-fondé en l’espèce,
la demande d’agrément étant présentée par un célibataire et non par un couple.
Aux yeux de la Cour, un tel motif aurait donc pu conduire à un refus arbitraire
et servir de prétexte pour écarter la demande de la requérante en raison de son
homosexualité, et le Gouvernement n’a pas été en mesure de prouver que son
utilisation au plan interne ne conduisait pas à des discriminations. La Cour ne
conteste pas l’intérêt d’un recours systématique à l’absence de référent
paternel, mais bien l’importance que lui accordent les autorités internes
s’agissant d’une adoption par une personne célibataire.
Le fait que l’homosexualité de la requérante
ait été aussi présente dans les motivations des autorités internes est
significatif, bien que les juridictions aient jugé qu’elle ne fondait pas la
décision litigeuse. Outre leurs considérations sur
les « conditions de vie » de la requérante, les juges internes ont
surtout confirmé la décision du président du Conseil général, proposant et justifiant pour l’essentiel de
rejeter la demande pour les deux motifs litigieux : la rédaction de
certains avis révélait une prise en compte déterminante de l’homosexualité de
la requérante ou, parfois, de son statut de célibataire pour le contester et
lui opposer alors même que la loi prévoit expressément le droit pour les
célibataires de demander l’agrément.
Pour la Cour, la référence à
l’homosexualité de la requérante était sinon explicite du moins implicite et
l’influence de son homosexualité sur l’appréciation de sa demande est non
seulement avérée, mais a également revêtu un caractère décisif.
Partant, elle considère que la requérante a
fait l’objet d’une différence de traitement. Si cette dernière se rapporte
uniquement à l’orientation sexuelle, elle constitue une discrimination au
regard de la Convention. En tout état de cause, il faut des raisons
particulièrement graves et convaincantes pour la justifier s’agissant de droits
tombant sous l’empire de l’article 8. Or de telles raisons n’existent pas en
l’espèce, puisque le droit français autorise l’adoption d’un enfant par un
célibataire, ouvrant ainsi la voie à l’adoption par une personne
célibataire homosexuelle. De plus, le code civil reste muet quant à la
nécessité d’un référent de l’autre sexe et, par ailleurs, la requérante
présentait, pour reprendre les termes de l’arrêt du Conseil d’Etat, « des
qualités humaines et éducatives certaines ».
La Cour ayant constaté que la situation de
la requérante a fait l’objet d’une appréciation globale par les autorités
internes, lesquelles ne se sont pas fondées sur un motif à titre exclusif, mais
sur « l’ensemble » des éléments, les deux principaux motifs utilisés
doivent être appréciés cumulativement : ainsi, le caractère illégitime
d’un seul (absence de référent paternel) a pour effet de contaminer l’ensemble
de la décision.
La Cour conclut, par dix voix contre sept, à la violation de l’article 14 combiné avec l’article
8 de la Convention.
En application de l’article 41 de la
Convention, la Cour, par onze voix contre six, alloue à la requérante
10 000 Euros pour dommage moral, ainsi que 14 528 EUR
pour frais et dépens.
E.B. c.
France (requête
no 43546/02). Les
juges Lorenzen et Jebens
ont exprimé une opinion concordante, et les juges Costa, Türmen,
Ugrekhelidze, Jočienė,
ainsi que les juges Zupančič, Loucaides et Mularoni des
opinions dissidentes
Jurisprudence de Strasbourg Evans c.
Royaume-Uni [GC], n° 6339/05, § 75 et §§ 77-81, CEDH 2007 ; Hokkanen
c. Finlande, arrêt du 23 septembre 1994, série A n° 299-A, p. 20, § 55 ; Keegan c. Irlande, arrêt du 26 mai 1994, série A n° 290, p.
19, § 49 ; Mikulic c. Croatie, n° 53176/99, § 59,
CEDH 2002-I ; P., C. et S. c. Royaume-Uni, n° 56547/00, § 122, CEDH 2002-VI ;
Reinhardt et Slimane-Kaïd c. France (judgment of 31 mars 1998, Recueil des arrêts et décisions
1998-II, p. 666, §§ 106-107 ; Riha c. France (déc.),
n° 71443/01, 24 juin 2004 ; V.S. c. Allemagne (déc.), n° 4261/02, 22 mai 2007
Sources Externes Convention des Nations Unies relative aux
droits de l'enfant ; Convention du 29 mai 1993 sur la protection des enfants et
la coopération en matière d'adoption international ; Convention européenne en matière
d'adoption des enfants
RESPECT DE LA VIE FAMILIALE
KEARNS c. FRANCE
10/01/2008
Non-violation de l'art. 8
La
requête concerne la demande de restitution d’un enfant suite à un accouchement
anonyme, et ce au-delà des délais prévus par la loi pour accueillir une telle
demande.
Mariée et résidant en Irlande, la
requérante accoucha le 18 février 2002, en France, d’une petite fille née d’une
relation extraconjugale.
Demandant le secret de cette naissance, la
requérante signa un procès-verbal d’admission de l’enfant comme pupille de
l’Etat et donna son consentement à son adoption le 19 février 2002. Les
conditions et les conséquences d’un accouchement anonyme lui furent exposées durant
deux entretiens avec les services sociaux, notamment quant au délai de deux
mois suivant l’acte de remise de l’enfant par la mère pour en demander la
restitution. Durant ces entretiens, la requérante fut assistée d’une infirmière
et d’un médecin parlant anglais et qui firent fonction d’interprètes.
Le 7 mai 2002, l’enfant fut placé, par les
services de l’Etat, dans une famille d’accueil en vue de son adoption plénière.
Les 25 et 26 juillet 2002, la requérante se
présenta auprès de la maternité de l’hôpital, puis des services sociaux
français en demandant la restitution de l’enfant. Sa demande se heurtant à un
refus en raison de l’expiration du délai de rétractation de deux mois, la
requérante saisit le tribunal de grande instance de Lille. Elle faisait valoir
que son consentement, tel qu’exprimé le 19 février 2002, avait été vicié en
raison des pressions familiales auxquelles elle avait été soumise et qu’elle
n’avait pas eu une parfaite conscience des implications d’un accouchement
anonyme.
Le
tribunal rejeta les demandes de la requérante. La cour d’appel de Douai,
considérant que la requérante « de nationalité irlandaise, de langue
anglaise et ne parlant pas le français » n’avait pas été mise en mesure de
connaître « les conséquences en droit français d’un accouchement sous
X », infirma le jugement. Le 6 avril 2004, la Cour de cassation cassa et
annula l’arrêt de la cour d’appel.
L’adoption plénière de l’enfant par la
famille d’accueil fut prononcée le 17 juin 2004.
Le père biologique de l’enfant a saisi les
juridictions irlandaises en vue de voir reconnaître ses droits sur l’enfant.
Invoquant l’article 8 de la Convention, la
requérante dénonce la brièveté du délai de deux mois qui lui a été laissé pour
réclamer son enfant. Elle se plaint également de ce que les autorités
françaises n’ont pas pris toutes les dispositions pour qu’elle comprenne
exactement la portée de ses actes, soulignant qu’elle n’a pas bénéficié d’une
aide linguistique suffisante pour lui permettre de comprendre toutes les
modalités et les délais.
Décision de la Cour
Article 8
Sur la durée du délai de rétractation
La Cour observe qu’il n’existe pas de
consensus international en matière d’adoption, et relève que, s’agissant du délai
de rétractation, il existe une diversité législative considérable parmi les
Etats membres du Conseil de l’Europe ayant établi un tel délai, la rétractation
du consentement étant permise dans certains systèmes juridiques jusqu’au
jugement d’adoption, alors que dans d’autres, à l’inverse, le consentement est
irrévocable. Pour les Etats qui ont prévu un délai fixe de rétractation,
celui-ci varie de dix jours à trois mois. Dès lors que la question soulevée en
l’espèce se rapporte à un domaine sur lequel il n’y a pas de convergence entre
les législations et les pratiques des Etats membres, la Cour rappelle que la
latitude dont bénéficie l’Etat est plus ample pour ménager un équilibre entre
les intérêts publics et privés concurrents une fois qu’il s’est saisi de la
question. Dans la mise en balance d’intérêts difficilement conciliables, ceux
de la mère biologique, ceux de l’enfant, ceux de la famille d’accueil, ainsi
que l’intérêt général, la Cour estime que c’est l’intérêt supérieur de l’enfant
qui doit primer.
Elle souscrit à cet égard aux arguments
avancés par le Gouvernement, résultant des travaux menés par les professionnels
de l’enfance, qui ont souligné que l’intérêt de l’enfant était de bénéficier le
plus rapidement possible de relations affectives stables dans sa nouvelle
famille. Elle relève également que le tribunal de grande instance a retenu que
la sérénité et la sécurité psychologique comme juridique de l’enfant devaient
être recherchées.
La Cour estime qu’en l’espèce, si le délai
de deux mois peut sembler bref, il paraît néanmoins suffisant pour que la mère
biologique ait le temps de réfléchir et de remettre en cause le choix
d’abandonner l’enfant. Tout en reconnaissant la détresse psychologique que Mme
Kearns a dû éprouver, la Cour observe que cette dernière était alors âgée de 36
ans, qu’elle était accompagnée par sa mère et qu’elle a été longuement reçue à
deux reprises après l’accouchement par les services sociaux.
Dans ces conditions, la Cour estime que le
délai prévu par la législation française vise à atteindre un équilibre et une
proportionnalité suffisants entre les intérêts en cause.
Par ailleurs, la Cour souligne que l’action
intentée par le père de l’enfant auprès des autorités irlandaises n’a pas
d’incidence sur la conclusion à laquelle elle parvient.
Sur l’information donnée à la requérante
La Cour relève que la requérante, de
nationalité irlandaise et résidant à Dublin, a fait le choix de venir accoucher
en France pour bénéficier de la possibilité, inconnue en droit irlandais, d’un
accouchement anonyme. A cet égard, elle note que la requérante s’est présentée
à la maternité, la semaine précédant l’accouchement, assistée notamment d’un
avocat. Par ailleurs, les deux longs entretiens avec les services sociaux ont
eu lieu en présence de personnes faisant fonction d’interprètes.
La Cour considère, au vu du formulaire de
consentement à l’adoption signé par la requérante et des différents documents
qui lui firent remis, qu’aucune ambiguïté ne pouvait subsister dans son esprit
sur les délais et conditions de restitution de sa fille.
La Cour estime que les autorités françaises
ont fourni à Mme Kearns une information suffisante et détaillée, en la faisant
bénéficier d’une assistance linguistique non prévue par les textes et en
s’assurant qu’elle soit informée aussi complètement que possible des
conséquences de son choix. En conséquence, toutes les dispositions pour qu’elle
comprenne exactement la portée de ses actes ayant été prises, il n’y a pas eu
violation de l’article 8.
Kearns
c. France (requête no
35991/04). Numéro 35991/04 Droit en
Cause Articles L.224-4 à 6 du code de l'action sociale et des familles ;
Articles 347 et 348-3 du code civil
Jurisprudence
Evans c. Royaume-Uni [GC], n° 6339/05, § 75 et §§ 77-81, CEDH 2007 ; Hokkanen c. Finlande, arrêt du 23 septembre 1994, série A
n° 299-A, p. 20, § 55 ; Keegan c. Irlande, arrêt du
26 mai 1994, série A n° 290, p. 19, § 49 ; Mikulic c.
Croatie, n° 53176/99, § 59, CEDH 2002-I ; P., C. et S. c. Royaume-Uni, n°
56547/00, § 122, CEDH 2002-VI ; Reinhardt et Slimane-Kaïd
c. France (judgment of 31 mars 1998, Recueil des
arrêts et décisions 1998-II, p. 666, §§ 106-107 ; Riha
c. France (déc.), n° 71443/01, 24 juin 2004 ; V.S. c. Allemagne (déc.), n°
4261/02, 22 mai 2007
Sources Externes Convention des Nations Unies relative aux
droits de l'enfant ; Convention du 29 mai 1993 sur la protection des enfants et
la coopération en matière d'adoption international ; Convention européenne en
matière d'adoption des enfants
Vous pouvez trouver les décisions de la Cour européenne des Droits de l'Homme
sur le site de la Cour :
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F & C